Interview de Catherine Boule : Directeur d'investissement, associé et membre du directoire de CapDecisif Management

Catherine Boule

Directeur d'investissement, associé et membre du directoire de CapDecisif Management

Secteur biotech français : la chaine entrepreneurs-analystes-investisseurs pourrait se gripper

Publié le 07 Mai 2015

Quel regard portez-vous sur le parcours boursiers des valeurs biotechs françaises depuis trois ans ?
Bien que le mouvement haussier du secteur puisse marginalement être emprunt d’une certaine euphorie, je suis assez convaincue que nous sommes face à une vague de fond. Une grande proportion des détenteurs de valeurs biotechs sont des particuliers préoccupés par leur santé et celle de leurs proches. Nous ne sommes pas à l’abri de contre performances liées à des déceptions sur les résultats cliniques. Cela pourrait provoquer un ralentissement du rallye mais probablement pas l’arrêter.

Pensez-vous qu’une discrimination est opérée ?

Je pense qu’une discrimination a bel et bien été faite en fonction des résultats scientifiques et des décisions prises par les équipes de management. Alors que certaines sociétés ont connu un très fort rebond, d’autres n’ont quasiment pas bougé ou ont notablement corrigé.

Il n’y a donc pas de complaisance dans le secteur ?

Nous ne pouvons pas nier que certaines sociétés sont portées par la dynamique du secteur indépendamment de leurs fondamentaux. En cela certaines valorisations peuvent être exagérées.

Pressentez-vous la formation d’une bulle dans la sphère biotech aux Etats-Unis ?
L’éclatement de cette bulle pourrait elle sensiblement affecter le segment des biotechs françaises.
Il parait indéniable qu’une vive correction aux Etats-Unis ne sera pas sans conséquence de ce coté-ci de l’Atlantique. Pour autant il est difficile de déterminer l’existence d’une bulle financière et encore plus compliqué d’en prévoir l’éclatement. Pour l’heure, une surchauffe pressentie ou avérée dans la sphère biotech américaine qui pourrait avoir des retombées néfastes dans la sphère biotech française n’est pas un sujet d’inquiétude majeur dans mon esprit.

Quelle vision avez-vous de la multiplication des IPO dans le secteur depuis 2014 ? D’aucuns craignent un déclin de la qualité des dossiers nouvellement introduits ?
C’est une crainte assez partagée par les intervenants du secteur. Dans la multitude des cotations que nous avons observées depuis plus d’un an, toutes ne présentaient pas des fondamentaux aussi solides. Certaines sociétés étaient clairement moins structurées et moins prêtes à affronter le marché car moins matures.
La sous performance de certains dossiers fragiles pourrait affecter la crédibilité de l’ensemble du secteur et le tirer vers le bas. La chaine entrepreneurs-analystes-investisseurs pourrait se gripper.

Trois problèmes sont identifiés en amont de ce déclin de la qualité des dossiers : une incompétence des autorités de régulation pour distinguer le bon grain de l’ivraie, une volonté affichée par l’opérateur boursier de multiplier les volumes d’échanges sur sa plateforme, et l’insuffisance de fonds d’investissement français spécialisés dans les biotechs ?

Je ne saurais m’exprimer sur la compétence des autorités de régulation. On peut comprendre la logique qu’il y a derrière l’activité de l’opérateur boursier. Si nous avions davantage de fonds de capital risque capables de soutenir des sociétés sur une plus longue durée, nous n’aurions certainement pas ou moins de sociétés prématurées sur le marché. Le problème manifeste qui se pose c’est que ces sociétés n’ont pas aujourd’hui d’autres solutions de financement.

Un autre sujet d’inquiétude réside dans le fait que les autorités ne mettent pas en place la dynamique nécessaire pour que les essais cliniques qui sont les éléments clés de la réussite des sociétés du secteur se fassent à des conditions moins laborieuses ?

Les difficultés rencontrées dans les essais cliniques sont communes à toutes les sociétés biotechs dans le monde. Il n’y a pas de spécificité en la matière pour la France. Ceci étant, le process des essais cliniques, bien que lourd, est bien jalonné et offre une certaine visibilité sur le cheminement des produits vers le marché.

D'aucuns avancent le fait que ce droit social dissuade notamment les grands laboratoires pharmaceutiques de racheter des biotechs françaises. Pensez-vous que les partenariats noués par les biotechs françaises l’ont été à défaut de rachat consentis par les grands laboratoires américains ?

Je ne saurais le dire. Cependant si ces partenariats étaient des lots de consolation, ce serait de beaux lots.
Le droit français est davantage un sujet de stress pour les investisseurs internationaux dans son volet social.

Propos recueillis par Imen Hazgui