Interview de Philippe  Waechter : Responsable des études économiques chez Natixis Asset Management

Philippe Waechter

Responsable des études économiques chez Natixis Asset Management

Zone euro : nul ne peut affirmer que l'épisode de violente remontée des taux longs allemands que nous venons de connaitre ne se reproduira pas

Publié le 16 Juin 2015

Quelle lecture faites-vous de la forte remontée du taux à dix ans allemand ces deux derniers moi ? Celui-ci est passé de 0,05% le 20 avril à plus de 1% le 10 juin ? Comprenez-vous cette variation ?
Ce mouvement a été essentiellement la conséquence de transactions sur le marché des futures. De nombreuses positions prises en début d’année ont été débouclées à partir de la fin du mois d’avril ainsi que tout au long du mois de mai.

D’aucuns justifient le déclenchement de la hausse par des considérations fondamentales, en particulier par l’éloignement de la menace de la déflation au sein de la zone euro. Qu’en pensez-vous ?
Il est clair que le taux à dix ans allemand de 0,05%, sur la base des modèles économétriques, était trop faible. La remontée de l’inflation sur fond d’une appréciation du cours du baril peut logiquement expliquer le déclenchement du mouvement de remontée.
Cependant, ce qui interpelle c’est la violence de la remontée. Aussi l’interrogation n’est pas tant de savoir si la variation du Bund est normale, mais si la brutalité de l’ajustement pour un actif considéré traditionnellement comme un actif refuge ne reflète pas une anomalie.

De quelle manière analysez-vous cette « brutalité de l’ajustement » ?

Par diverses considérations d’ordre technique. En premier lieu, un déséquilibre manifeste entre les émissions d’obligations du mois de mai et la capacité d’absorption des investisseurs a pesé dans le mouvement. On estime qu’il est resté 37 milliards d’euros de titres invendus après paiement des coupons et achats de la BCE au mois de mai. Ce chiffre était de -68 milliards d’euros en avril.

Un autre paramètre explicatif, largement admis, tient à la réduction de la liquidité sur le marché secondaire. Du fait des contraintes réglementaires, les banques ont été dans une large mesure obligées de restreindre leur activité de teneur de marché. L’insuffisante liquidité disponible a été un facteur favorable à la création d’un trou d’air.

A quelle suite des évènements vous attendez-vous ?

Nous ne pouvons pas admettre que l’économie européenne soit sur la route d’une croissance forte à l’heure actuelle. En d’autres termes, ce n’est parce que nous avons eu des chiffres positifs sur l’espace d’un trimestre, après quatre ans de croissance nulle, qu’on doit considérer que la zone euro est sortie d’affaires.
Beaucoup espèrent, la BCE en premier lieu, une amélioration de la dynamique cyclique. Nous n’en sommes cependant qu’aux balbutiements.
Aussi, pour voir se dessiner un véritable affermissement de la reprise, les contraintes qui pèsent sur l’économie européenne doivent être allégées au maximum, ce d’autant plus que l’environnement international n’est pas très porteur. C’est pourquoi, les taux d’intérêt doivent demeurent très bas.

Tel n’est pas le cas selon vous ?
Dans l’absolu, le taux à dix ans allemand, qui conditionne dans une certaine mesure la variation des autres taux souverains de la zone euro, apparait comme exceptionnellement bas. Cependant ces derniers doivent être appréciés sur un plan réel et pas nominal.

Que voulez vous dire ?

La remontée des taux est accentuée par le niveau amoindri de l’inflation. De ce fait, même si de prime abord, elle peut être appréciée comme étant modérée, elle peut se révéler très pénalisante.

Quelle variation escomptez-vous de ce fait pour le Bund à dix ans ? Certains observateurs tablent sur un taux d’équilibre de 1,20 ?

Je pense que le taux à dix ans allemand devrait rebaisser par rapport à son niveau actuel. Un taux d’équilibre à 1,20 me parait illusoire au stade actuel du cycle. Nous pensons qu’il se situe davantage dans une fourchette à 0,50%-0,70%.

Pensez-vous que nous pourrions connaitre un nouvel épisode d’une telle violence au cours des prochains mois ?

Nul ne peut affirmer que l’épisode que nous venons de connaitre ne se reproduira pas.
Sur le front fondamental, l’évolution de l’économie de la zone euro ne devrait pas justifier une accélération de la remontée des taux. De plus la BCE devrait continuer à déployer son programme de quantitative easing jusqu’à septembre 2016. En outre, les investisseurs institutionnels s’interrogent sur l’opportunité à entrer sur le marché s’il devient acquis que les taux de la BCE demeureront encore bas durablement.
Les facteurs techniques pourraient cependant amener à un tout autre scénario. Il faudra suivre très étroitement le marché des futurs.

Diriez-vous l’épisode que nous avons connu est source de préoccupation ?

Nous ne pouvons qu’être préoccupés car la vivacité de la hausse. Une menace actuellement pourrait provenir de l’apparition de fragilités au sein de certaines institutions financières surprises par la volatilité et l'ampleur du mouvement et ayant tardé à s'ajuster.

Pensez-vous que même si les taux se maintiennent à leur niveau actuel, cela pourrait occasionner des difficultés importantes pour certains acteurs sur les marchés ?

Le mouvement a engendré des fragilités dont la persistance pourrait être plus importante qu'imaginé.

Cette remontée des taux change-t-elle la donne s’agissant du rallye escompté sur les actions de la zone euro ?

Cela modifie quelque peu le scénario dans la mesure où les taux réels sont un peu plus élevés.



Propos recueillis par Imen Hazgui