Interview de Eric  Bourguignon : Directeur de la gestion taux et crédit chez Swiss Life Asset Managers

Eric Bourguignon

Directeur de la gestion taux et crédit chez Swiss Life Asset Managers

La Fed a rassuré les marchés

Publié le 18 Juin 2015

Que retenez-vous du communiqué de la Fed et de la conférence de presse de sa présidente Janet Yellen hier soir ?
La Banque centrale a confirmé comme attendu qu'elle remonterait ses taux en 2015. Elle a insisté sur le fait que cette remonté serait très progressive compte tenu des fragilités persistantes de l'économie américaine. C'est exactement le type de discours que les marchés attendaient. Ils ont donc été rassurés.

En quoi le message délivré vous amène à penser que le premier relèvement se passera en septembre ?
La Fed n’est pas dans une optique de surprendre le marché de manière à ne pas engendrer de vives perturbations. Or le marché s’attend dans une grande majorité à une hausse des taux en septembre.

Quel devrait être, selon vous, le rythme de hausse de ces taux directeurs ?

Nous pourrions avoir entre 1% et 1,5% de hausse dans les 12 mois suivant le premier relèvement, ce qui n’est pas beaucoup. La prudence sera de mise pour éviter tout cataclysme obligataire, à moins d’avoir des données économiques très surprenantes sur le plan de la croissance ou de l’inflation.

Le risque d’accélération de l’inflation, sur fond d’une réévaluation plus importante des salaires, qui pourrait pousser la Fed à agir plus vite et plus fort est-il selon vous important ?
Il n’est pas nul. Le taux de chômage se rapproche du niveau au-delà duquel des tensions salariales pourraient s’amplifier.

L’importance de ce risque s’est-elle élevée dans votre scénario adverse ?

Quelque peu, du fait de l’amélioration continue du marché du travail. C’est d’ailleurs notre principal scénario alternatif s’agissant du comportement à venir de la Fed.

La visibilité vous parait-elle suffisante pour présager du niveau auquel la Fed souhaite placer ses taux directeurs à l’issu du processus de normalisation de sa politique monétaire ?

Cela parait difficile à dire. Ce processus de normalisation devrait s’étaler sur plusieurs années. Une augmentation entre 1% et 1,25% par an me parait compatible avec le discours de la Fed et les fragilités actuelles de l’économie américaine.

Quelle retombée cette normalisation des taux courts pourrait avoir sur les taux longs américains ?

La variation ne devrait pas être considérable. Les taux longs ne sont pas uniquement gouvernés par l’action de la Banque centrale sur les taux courts. Nous pourrions avoir un taux à dix ans américain en dessus de 3% à fin décembre. Le marché price un niveau quelque peu inférieur.

Pour autant, le dernier épisode de violente remontée des taux longs allemands vous fait-elle craindre un tel épisode sur les taux longs américains ? Le Bund à dix ans est passé de 0,05% à plus de 1% en l’espace de deux mois. Beaucoup attribuent le mouvement au changement de physionomie sur le marché obligataire et notamment à l’affaiblissement de la liquidité sur le marché secondaire en raison du moindre rôle joué par les teneurs de marché ?
La remontée des taux longs allemands ne s’explique pas par le manque de liquidité sur les marchés. C’est avant tout un déséquilibre entre l’offre et la demande et des considérations fondamentales (croissance et inflation) ainsi que certaines déclarations d’importants acteurs sur le marché comme Bill Gross (anciennement chez Pimco) ou Jamie Dimon (de JP Morgan) qui ont déclenché le rebond. Les débouclements de positions en catastrophe et l’amenuisement de la liquidité ont ensuite contribué à amplifier le phénomène de hausse.

Est-ce que le retrait massif des banques d’investissement de l’activité de teneur de marché pourrait provoquer un sursaut plus brutal des taux longs américains à la suite du premier relèvement des taux courts par la Fed ?

Nous ne sommes pas à l’abri d’une mauvaise surprise dans la mesure où ces taux sont exagérément faibles. Pour autant, si sursaut il y a, il sera vraisemblablement ponctuel. Les taux longs américains pourraient momentanément atteindre des niveaux aberrants, dans la mesure où les marchés ont tendance à exagérer, mais ils finiront par se stabiliser.

Est-ce qu’une hausse trop vive des taux longs américains pourrait avoir une incidence sur les taux européens ?

Nous admettions que le programme de quantitative easing de la BCE était de nature, pour des raisons de flux, à immuniser les taux européens de la remontée des taux américains. Le dernier épisode sur les taux des pays cœur de la zone euro nous a démontré que ce QE ne permettait pas de maintenir les taux européens au niveau plancher qu’ils avaient touché. Cette nouvelle donne a amené à fragiliser considérablement le marché des taux européens. Les investisseurs sur ce segment ont pris conscience que malgré l’intervention de la BCE, ces taux pouvaient s’élever. Certains d’entre eux qui étaient convaincus que se positionner sur du Bund à dix ans à 0,05% n’était pas risqué parce qu’un tel niveau serait soit maintenu soit abaissé ont perdu énormément d’argent. Une seule douche froide suffisant, une relative dissuasion de demeurer durablement exposés aux taux européens est apparue.

De ce fait il n’est pas illusoire de penser qu’une augmentation trop abrupte des taux longs américains puisse avoir un effet de contagion sur les taux longs allemands ainsi que sur les autres taux des pays de la zone euro.

Exception faite d’un défaut de la Grèce, à quelle suite des évènements vous attendez-vous pour les taux longs européens ?

Je pense que bien que son président, Mario Draghi, ait explicitement indiqué que la volatilité des taux n’était pas dans l’absolu un problème et que le marché devait s’efforcer de s’y habituer, la BCE est très embêtée que les taux longs des pays cœur de la zone euro aient dérapé à ce point. Par ailleurs, l’institution monétaire a relativement les moyens de freiner la poursuite éventuelle de ce dérapage si elle le souhaite. Une absence d’intervention déboucherait sur un échec cuisant de sa politique. La raison d’être du programme de quantitative easing mis en place est bien de limiter une hausse agressive des taux des Etats de la zone euro. Si malgré les opérations de rachat massif effectuées, cette hausse a lieu, cela mettrait à mal la crédibilité de la BCE.

Dans le cas où la BCE restaure une certaine confiance auprès des investisseurs, en l’absence d’un ajustement brutal de la Fed de ses taux ou d’une erreur de communication, si la conjoncture persiste à s’améliorer et que l’inflation continue à prendre de l’élan, le taux à dix ans allemand pourrait être maintenu en dessous de 1% de manière à éviter que les taux des pays périphériques ne croissent à un niveau au dessus de 3% qui pourrait se révéler très pénalisant au travers de la charge de la dette.

In fine, qu’en est-il de votre allocation sur les obligations souveraines américaines ou européennes ?

Je ne suis pas du tout investi sur les obligations souveraines ni américaines ni européennes du fait qu’ils ne sont pas du tout à leur juste prix en raison des politiques ultra accommodantes des banques centrales.

Propos recueillis par Imen Hazgui