Interview de Daniel Gérino : Président de Carlton Sélection

Daniel Gérino

Président de Carlton Sélection

Alexis Tsipras a gagné du temps

Publié le 22 Juillet 2015

Quel jugement portez-vous sur le « pré-accord » conclu le 13 juillet entre la Grèce et ses créanciers, qui ouvre la voie à un troisième plan d’aide en cinq ans ?
C’est un pansement sur une jambe de bois. Le vrai problème de la Grèce réside dans le manque de diversification de son économie. Celle-ci repose pour l’essentiel sur le tourisme, le transport maritime, et dans une moindre mesure sur l’agriculture et les énergies renouvelables. Depuis l’entrée du pays dans la zone euro, en 2001, aucun investissement n’a été fait dans les infrastructures ou dans la modernisation de l’Etat. Le pays a continué à vivre sur un modèle post-colonial et les transformations de la société grecque n’ont pas eu lieu. Aujourd’hui encore, avec ce nouveau plan d’aide, on ne s’attaque pas aux racines du problème. L’Europe, via le plan Juncker, devrait investir massivement dans l’économie grecque. Les entreprises européennes, allemandes en particulier, devraient s’y implanter afin d’offrir de vraies perspectives à ce pays.

L’Allemagne se montre inflexible avec la Grèce. Le ministre des Finances Wolfgang Schaüble évoque toujours la sortie temporaire du pays de la zone euro. Est-ce une posture selon vous ?

Je pense que Wolfgang Schaüble est très sérieux lorsqu’il évoque le Grexit. Pour lui c’est une façon de se débarrasser d’un problème mais je crois qu’il ne mesure pas les conséquences d’une telle décision pour l’avenir de la construction européenne. Sur le plan géopolitique et stratégique, il est important que la Grèce reste dans l’espace européen. J’ajoute que l’Allemagne a sa part de responsabilité dans la situation actuelle. Lorsque la Grèce est entrée dans la zone euro en 2001 elle ne respectait pas les critères en matière de déficit budgétaire et de balance des paiements. Mais les pays européens, au premier rang desquels l’Allemagne, ont voulu que le pays rejoigne la monnaie unique pour des raisons symboliques.

Comment expliquez-vous le revirement d’Alexis Tsipras, qui après avoir tenu tête à l’Union européenne et au FMI a fini par accepter la plupart de leurs exigences ?

Le gouvernement grec a conscience qu’une sortie de la zone euro serait un désastre sur le plan économique et social, pire encore que les mesures imposées par les créanciers. Je pense qu’Alexis Tsipras savait dès le départ qu’il devrait accepter de nouveaux sacrifices mais qu’il a cherché à gagner du temps. Le referendum sur les propositions des créanciers a permis de retarder de quelques semaines l’entrée en vigueur de ces mesures, notamment la hausse de la TVA. Je rappelle que l’on est en pleine période de vacances et que cette hausse va toucher surtout le tourisme qui est un secteur capital de l’économie grecque.

Faut-il effacer une partie de la dette grecque ?

La dette est un fardeau insupportable pour la Grèce. Il ne faut pas simplement un moratoire mais un véritable allègement de ce fardeau. Mais même avec une réduction de la dette le redémarrage de l’économie grecque sera très difficile compte tenu de la baisse annoncée du pouvoir d’achat et de l’absence d’un véritable plan de relance et d’investissement.

Quel impact peut avoir la récession annoncée sur le reste de l’économie européenne, et sur les marchés financiers ?
Je pense malheureusement que les marchés vont vite oublier cet épisode et laisser la Grèce se débattre avec ses créanciers. Même si la Grèce finissait par sortir de la zone euro, cela n’aurait pas d’impact significatif. Je rappelle que le pays ne représente que 1,5% du PIB européen. Déjà nous avons observé ces derniers jours un retour aux fondamentaux des marchés. La hausse des actions européennes est encouragée par la politique de taux bas de la BCE et par la faiblesse de l’euro. Je pense d’ailleurs que la BCE va renforcer son programme de rachat d’actifs au cours des douze prochains mois et que l’euro se stabilisera entre 1,10 et 1,15 dollar. L’inflation devrait rester basse et le prix du pétrole pourrait à nouveau baisser suite à un regain des activités de forage aux Etats-Unis et à l’accord conclu entre l’Iran et les grandes puissances. Dans ces conditions je verrais bien le CAC40 atteindre les 5500 points à la fin de l’année.

Propos recueillis par François Schott