Interview de Jean-Luc Buchalet : Président-directeur général de Pythagore, membre du Cercle des analystes indépendants,  auteur des livres

Jean-Luc Buchalet

Président-directeur général de Pythagore, membre du Cercle des analystes indépendants, auteur des livres "La Chine, une bombe à retardement" et "Chine, la face cachée"

Chine : malgré le récent rebond, la Bourse de Shanghai va continuer à s'effriter

Publié le 11 Août 2015

Quel regard portez-vous sur le ralentissement économique de la Chine ?
Ce qui arrive en ce moment dans le pays ne m’étonne pas outre mesure.

A-t-on raison de mettre en doute le chiffre de 7% de croissance du PIB ?

Je pense que oui.
Cela fait plusieurs mois que l’indice PMI du secteur manufacturier se situe en dessous de 50. Or, la production industrielle représente encore 48% du PIB.
Le coefficient marginal de capital, autrement dit, l’argent nécessaire à mettre sur la table pour créer la même quantité de croissance que par le passé, a doublé entre 2007 et 2014.
Les marges des entreprises chinoises sont de ce fait en souffrance dès lors qu’il faut mettre plus de capital dans le système par rapport aux bénéfices générés.

Une bulle immobilière continue à se dégonfler. Auparavant, nous avions un indice global pour rendre compte de la situation. Celui-ci a été sectionné en plusieurs morceaux, si bien que l’image est moins claire qu’elle ne l’était. Assurément, cependant, la tendance continue d’être à la baisse. La reprise des appartements par l’Etat se fait avec une décote d’au moins 30%. La fluidité du marché est rendue d’autant plus compliquée par le fait que si un bien est en vente, et que les nouveaux prétendants propriétaires entrent sur les lieux, ils ne peuvent plus être virés même s’il s’avère in fine qu’ils n’ont pas obtenu l’accord de prêt de la banque.

Afin de donner un autre moyen aux ménages chinois de s’enrichir, des mesures ont été prises pour sortir l’argent du shadow banking et le diriger vers le canal boursier chinois. Mais force est de constater que cette réorientation n’a pas été couronnée de succès.

D’aucuns estiment que se fier uniquement à l’évolution du secteur manufacturier ne suffit pas dès lors que la Chine a actionné un processus de changement de modèle de développement ?

Il est vrai que le secteur tertiaire représente un poids plus important. Cependant l’élargissement de ce secteur n’a pas pour effet de maintenir une consommation domestique en forte hausse. De nombreuses entreprises dans le secteur manufacturier, aidées par la montée en puissance de la robotique et de la technologie, détruisent des emplois.
Toutefois, les emplois créés dans les services génèrent une productivité plus faible et sont moins bien payés en relatif que les emplois industriels. Les salaires réels ont progressé d’environ 11% sur la période avec une productivité qui est à 6 ce qui contribue encore plus à la contraction des marges des entreprises chinoises.
Face à une très mauvaise répartition de la richesse, pour que la consommation des ménages augmente véritablement, il faudrait que soient mis en place un système de sécurité sociale et de retraite, ce qui a un cout énorme.

Ces réformes ont été avancées par les autorités ?

Elles ont été avancées sur le papier mais dans la réalité nous ne voyons pas d’évolution en la matière.

Vous estimez donc que les créations d’emplois dans les services ne permettent pas de justifier une hausse du PIB de 7%...

Difficile de savoir quelle sera exactement l’ampleur de la hausse du PIB. Nous sommes dans un épais brouillard. Mon avis est qu’elle sera en dessous des 7% officiellement présentés.

Quels sont les principaux indicateurs que vous surveillez ?

Les indices PMI, l’évolution des salaires réels, la productivité, le coefficient marginal de capital, le niveau de la dette. La Chine est confrontée à un sérieux problème de dette. Celle-ci représente 280% du PIB. Le plus inquiétant n’est pas tant le niveau mais la vitesse de l’endettement.

Que vous inspire la chute du marché boursier local de 30% ces dernières semaines ?

Les ménages chinois sont arrivés en bourse tardivement. La performance a été très vive. Les investisseurs à revenus modestes qui ont perdu beaucoup ne sont pas si nombreux. Le poids de la Bourse rapporté à l’épargne globale est assez minime. Je ne pense donc pas que les répercussions seront significatives sur l’effet richesse de la population.
Malgré le récent rebond, je pense que la Bourse va continuer à s’effriter… Très probablement l’indice composite de Shanghai se stabilisera à un niveau en dessous de 4000 points, d’autant plus dans un contexte de remontée des taux directeurs par la Réserve fédérale américaine.

Avez-vous été surpris par la violence du mouvement haussier puis baissier de la Bourse chinoise ?

Non. Si l’on reprend l’historique de la précédente bulle sur ce même marché, en l’espace de deux ans, l’indice composite de Shanghai est monté de 1000 points à 6000 points. Les premiers signes de la crise des subprimes apparus en octobre 2007 ont conduit à une baisse de l’indice de 80%. Par la suite, sous l’impulsion de l’hyper liquidité injectée par les banques centrales dans le système, la Bourse chinoise a repris de l’élan. La volonté d’éviter la récession a ensuite débouché sur un assèchement de cette liquidité à partir de 2011 par une politique monétaire restrictive pour assécher l’excès d'endettement. La diminution des marges et la surproduction dans le secteur industriel ont de nouveau entrainé un effondrement du marché.

Jusqu’où peut selon vous aller la baisse cette fois-ci ?

Difficile de dire où se situera le point bas, à 3000 points ou ailleurs… Ce qui parait certain c’est que la baisse n’est pas terminée.
Pour autant, je ne vois pas un scénario comparable à ce qu’a vécu la Russie ou l’Argentine. La monnaie nationale, le yuan, n’est pas convertible. Un interventionnisme peut se faire à grande échelle. Le président a tous les pouvoirs. Le premier ministre est l’ombre de lui-même. Des plans de relance seront vraisemblablement lancés.

C’est dans cette optique que la Banque centrale de Chine a abaissé de presque 2 % le taux de référence du yuan ?

L’effondrement de la Bourse ne s’est pas accompagné d’une chute de la monnaie, indexée sur le dollar. La Chine a perdu en compétitivité. La parité euro yuan est ainsi descendue de 10 à 6.
C’est pour remédier à cet handicap que la Banque centrale est intervenue.

Pensez-vous que cet interventionnisme remettra en cause l’intégration du yuan dans le panier des monnaies qui définissent le DTS au sein du FMI ?

Cette intégration dépendra étroitement du vote des Républicains au sein du Congrès américain. Il y a lieu de croire que ces derniers ne donneront pas leur accord pour porter préjudice à l’administration d’Obama.
Dans un tel cas, une lutte de pouvoirs pourrait s’intensifier. En réponse à la non intégration au FMI, la Chine pourrait décider de développer la banque créée avec les pays BRICS.

Vous attendez-vous à un effet de contagion de l’effondrement de la Bourse chinoise sur les autres places boursières internationales ?

Sur le plan boursier, je n’escompte aucun effet de contagion. Les investisseurs étrangers sont très peu présents. Les vannes ont été ouvertes de manière microscopique. Ce qui détermine les marchés actions américains et européens c’est essentiellement le changement de politique monétaire de la Fed pour éviter que la spéculation ne continue.
Ceci étant, un des secteurs qui pourrait être profondément affecté, est le secteur automobile, notamment les constructeurs allemands et américains. Il y a une très forte surcapacité. D’ici 2016, celle-ci devrait égaler 30%. On devrait voir une baisse des prix.

Le secteur des matières premières devrait continuer à souffrir.
De même en sera-t-il du secteur du luxe, à quelques exceptions près comme LVMH.

Il y a un effet psychologique induit de l’effondrement des prix des matières premières. Le chef d’orchestre ayant quitté la scène, de nombreux pays producteurs et exportateurs de matières premières sont mis à mal.



Propos recueillis par Imen Hazgui