Interview de Philippe Waechter : Directeur de la recherche économique chez Natixis Asset Management

Philippe Waechter

Directeur de la recherche économique chez Natixis Asset Management

Krach de la Bourse de Shanghai : les autorités chinoises sont dans une erreur méthodologique

Publié le 11 Août 2015

Selon vous, jusque-là, le commerce international était une clé majeure de transmission de la croissance d’une zone à une autre. Il ne joue plus ce rôle à présent. Comment l’expliquez-vous ?
Aucune des trois grandes zones économiques, Etats-Unis, Europe, Chine, n’a la capacité de croitre suffisamment fortement et durablement pour redynamiser les échanges et générer un effet de contagion qui se traduirait par une croissance mondiale plus rapide.

Est-ce une tendance structurelle ou conjoncturelle ?

Lorsque l’on analyse de près chacune des trois zones économiques précitées, nous ne pouvons pas avoir spontanément le sentiment que la croissance va s’accélérer rapidement. Aux Etats-Unis le PIB est en hausse de 2,1%, ce qui est très modéré par rapport à ce qu’on pouvait observer par le passé. Compte tenu des éléments d’information que nous avons à notre disposition, la baisse à venir du taux de chômage sera limitée et la tendance baissière du taux d’activité qui perdure depuis plusieurs années n’a pas vocation à s’inverser.
Le Chine ne parvient pas non plus à soutenir plus vivement sa croissance. Elle a tenté de générer un surplus d’endettement, a orchestré la formation d’une bulle immobilière, puis financière, sans que cela ne porte véritablement l’économie, au contraire. Le ralentissement de la dynamique chinoise semble s’accentuer.
Quant à l’Europe, celle-ci devrait aboutir à 2% en 2016, ce qui est notablement insuffisant pour relancer le commerce mondial.

La configuration semble donner raison à la thèse de la stagnation séculaire de Larry Summers ?

Selon cet économiste les acteurs économiques se sont fortement endettés depuis une quinzaine d’année. Ce taux reste très élevé, même s’il s’est quelque peu résorbé notamment aux Etats-Unis et au Royaume-Uni.
Cet endettement contraint les consommateurs. Parallèlement, le vieillissement de la population conduit naturellement à une moindre consommation.
En découle un véritable problème de demande.

L’ancien président de la Réserve fédérale américaine, Ben Bernanke, affirme cependant que la nouvelle technologie permettra d’éviter cette stagnation ?

Pour l’instant, tel n’est pas le cas. La technologie ne parvient pas encore à générer des gains de productivité spectaculaires, pas même aux Etats-Unis.
L’inertie du commerce international devrait se prolonger encore un moment ?
Il n’est pas exclu que cette inertie se prolonge encore au cours des trois à cinq années à venir.

Quelles conséquences devraient être induites de l’inertie du commerce international ?

Le déploiement de politiques économiques et monétaires très accommodante devrait persister. Chaque zone va devoir puiser au sein de sa propre économie sa capacité à croitre. Il ne sera pas possible d’attendre que le reste du monde aille mieux pour aller mieux.

Qu’est-ce que cela signifie, selon vous, pour le processus de hausse des taux de la Fed ?

La Fed remontera certainement ses taux d’ici la fin de l’année dans la mesure où elle n’a pas cessé de marteler ce message, en dépit du fait que le contexte n’est pas très propice en raison de la cherté du dollar et de la faiblesse de l’inflation.
Cependant, il est vraisemblable que le processus de remontée sera très graduel et étalé dans le temps. Le taux court terme pourrait atteindre 2% en 2016.

Peut-on présager que le programme de quantitative easing de la BCE se prolonge au-delà de septembre 2016 ?

Cela n’est pas impossible dans la mesure où l’inflation a du mal à redémarrer. Nous ne voyons quasiment pas de tensions sur les salaires en Europe. Les cours des matières premières, en particulier du pétrole, devraient rester relativement faibles.

Quid de la Banque centrale de Chine ?

Celle-ci devrait également s’efforcer de rendre plus accommodante sa politique monétaire. Nous avons pu le vérifier récemment. La Banque centrale de Chine a abaissé de presque 2 % le taux de référence du yuan, mardi 11 août, une décision « exceptionnelle ». Dans la foulée, la monnaie chinoise atteignait son plus bas niveau en près de trois ans. Cette baisse d’une ampleur inédite s’apparente à une brusque dévaluation et est à relier à l’annonce faite hier d’une chute des exportations chinoises en juillet de 8,3%.
L’intervention de la Banque centrale de Chine sera d’autant plus nécessaire eu égard à la forte chute du marché boursier local.

Quel regard portez-vous sur cette chute ?

La montée du marché boursier chinois a été très artificielle. En novembre 2014, les contraintes ont été réduites par les autorités pour emprunter et investir sur le marché actions. S’en est suivi un rebond de l’indice composite de Shanghai de plus de 100%.
Pour limiter l’envolée, les autorités ont essayé d’adopter des mesures plus sévères ce qui a provoqué un krach de plus de 30% et poussé à une nouvelle intervention de Pékin pour enrayer l’hémorragie. La décision d’investir 144 milliards de dollars a été prise pour maintenir à flot le marché.

D’après vous, la position de la Chine n’est pas la bonne...

Si l’on fait le lien avec ce qui s’est produit en 1987 aux Etats-Unis, après le krach de Wall Street, on peut penser que les autorités chinoises sont dans une erreur méthodologique.

Que voulez-vous dire ?

Après le krach de 1987, une task force a été mise en place pour mener une réflexion de fond et déterminer s’il fallait, face au choc subi, laisser le marché s’ajuster par lui-même en vue de trouver un point d’équilibre et de permettre une réallocation des ressources ou bloquer le marché pour qu’il ne descende pas plus bas au risque de réduire la capacité des acteurs économique à réallouer leurs ressources. La décision a été prise de laisser le marché se réajuster, estimant que c’était probablement la solution la plus efficace. La politique monétaire ayant été parallèlement efficiente, l’impact macroéconomique du choc boursier de 1987 outre Atlantique a été quasi nul.
En voulant à tout prix bloquer la baisse du marché boursier, les autorités chinoises réduisent la réallocation des ressources et n’améliorent pas les conditions de reprise de la croissance.

Escomptez-vous un interventionnisme plus poussée de la Banque centrale de Chine ?

La véritable question de fond à laquelle sont confrontées les autorités chinoises est celle de savoir comment transformer les entreprises publiques largement majoritaires en entreprises plus efficaces, génératrices de plus grands gains de productivité. Pour l’heure, cette question n’étant pas réglée, la politique monétaire de la Banque centrale de Chine se doit de demeurer très accommodante pour combler la faiblesse des gains de productivité.

Au-delà de la politique monétaire, tablez-vous sur la persistance d’une politique budgétaire très complaisante dans les trois grandes zones économiques ?

A fortiori, pour ne pas mettre à mal davantage la consommation des ménages et l’investissement des entreprises.

Concrètement, est-ce à dire que la Commission européenne devrait continuer à lâcher du lest vis-à-vis de la rigueur budgétaire dont doivent faire preuve certains pays, comme la France ou l’Italie ?

C’est ce à quoi je m’attends effectivement.

In fine, quelles conclusions tirez-vous pour les marchés financiers ?

Le commerce international en niveau est encore intense. La relocalisation des sites de production est encore très significative. Les échanges sont encore denses mais ne s’accélèrent plus et donc ne créent plus d’impulsion supplémentaire.
Une discrimination en faveur des sociétés davantage tournés sur le marché intérieur que sur l’international n’a pas forcément lieu d’être; d’autant que la dynamique à l’intérieur des zones n’est pas très robuste.
Ceci étant, il faudra s’attendre à ce que les taux d’intérêt restent bas. En cela, l’allocation vers les actions devrait encore être favorisée. Les entreprises qui offrent des rendements élevés devraient continuer à rencontrer l’engouement des investisseurs.


Propos recueillis par Imen Hazgui