Interview de Philippe  Weber  : Responsable Etudes et Stratégie de CPR Asset Management

Philippe Weber

Responsable Etudes et Stratégie de CPR Asset Management

Il y eu une mauvaise compréhension par le marché des intentions de la Fed

Publié le 17 Mars 2016

Que retenez-vous du dernier communiqué de la Réserve fédérale américaine publié mercredi soir ?
J’ai été relativement surpris par certains commentaires que j’ai pu lire indiquant que la position retenue par la Fed hier soir était très accommodante. A mon sens, le diagnostic posé sur l’économie américaine est assez positif. Il a été fait mention que le marché de l’emploi s’est encore affermi, que l’inflation s’est redressée au cours des mois récents bien qu’elle reste inférieure à l’objectif de long terme, y compris dans sa composition sous jacente qui est à son plus haut niveau depuis quatre ans.
Les anticipations d’inflation restent faibles mais ont arrêté leur baisse. Un changement important a été fait dans le constat sur les risques internationaux. Le mois dernier, le FOMC avait signalé son intention de continuer à surveiller étroitement la répercussion des évolutions internationales et financières sur l’emploi et l’inflation. Cette fois-ci, le communiqué précise que bien que les risques internationaux n’aient pas disparu, l’attention de la Fed sera portée sur la variation de l’inflation.

Comment expliquez-vous ce report au second plan des risques internationaux ?

Principalement par l’atténuation des craintes portant sur un atterrissage brutal de l’économie chinoise, et par le rebond des prix du pétrole de 30% depuis le début de l’année.

Que pensez-vous du fait que la moyenne des prévisions des membres du FOMC de la Fed fait état de deux hausses de moins que la fois précédente...

Ces prévisions correspondent aux niveaux que les membres de la Fed jugent appropriés pour les taux directeurs en fin d’année eue égard à la lecture faite des statistiques économiques. La médiane de ces prévisions a baissé de 0,5% par rapport à celle de décembre.
Cependant il faut savoir que dans cette médiane sont inclus les prévisions des membres non votants du FOMC. Par ailleurs, ces prévisions sont fournies avant la réunion du FOMC et ne prennent pas compte des changements d’avis après les débats tenus au cours de cette réunion. Plus spécifiquement, les prévisions de cette fois-ci n’avaient même pas intégré les chiffres d’inflation publiés mercredi.

Quelle lecture faites-vous de la baisse du dollar à la suite des annonces de la Fed qui a quelque peu affecté le marché des actions européennes ?

Les marchés financiers ne sont pas toujours rationnels, en témoigne la survenance de bulles et de krachs. Je pense qu’il y eu une mauvaise compréhension des intentions de la Fed.
Cela n’est pas la première fois que les marchés saisissent de travers la position d’une banque centrale. Quelquefois cela s’explique par le fait que les opérateurs ne prennent pas le temps de lire dans leur intégralité les communiqués des banques centrales et se contentent souvent, en tout cas dans un premier temps, de simples extraits de déclarations repris dans des dépêches.

Vous attendez-vous à un ajustement des marchés à la suite de propos tenus par certains représentants de la Fed ?
Il est très probable que nous assistions à des interventions soulignant le fait que si les taux directeurs n’ont pas été remontés cette fois ci, pour autant les considérations relatives à l’emploi et à l’inflation militent pour un relèvement prochainement. Il faut bien saisir que le niveau des taux actuels est loin de correspondre à la réalité économique des Etats-Unis. Ces taux sont à 0,25% alors que le taux de croissance est de 2%, l’inflation à 1,5% et le taux de chômage à moins de 5%.
Dernièrement le président de la Fed de New York et vice président de la Réserve fédérale, William C. Dudley, avait insisté sur la nécessité de voir la Fed poursuivre son propre intérêt dans la conduite de sa politique monétaire sans se préoccuper outre mesure de ce que pourraient faire les voisins. Je pense effectivement que c’est ce qu’elle doit faire.

Que répondez vous aux observateurs qui mettent en cause la fiabilité des données économiques qui paraissent sur les Etats-Unis, estimant que ces dernières sont biaisés, et qui admettent de ce fait que l’économie américaine est très proche de son fin de cycle. Un exemple souvent avancé concerne le taux de chômage qui ne prendrait pas en compte les Américains qui ont abandonné toute recherche ou ceux qui sont en temps partiel forcé ?
Il est vrai que le taux de participation au marché de l’emploi aux Etats-Unis a baissé en raison d’un grand nombre de départs en retraite. Les autorités américaines calculent le taux de chômage étendu qui inclut notamment le taux de chômage classique sur la base de la définition internationale, le temps partiel subi, et la population marginalement rattaché au marché du travail. Ce taux s’élève à 10%, ce qui représente un niveau relativement bas.

Que tablez-vous dans votre scénario central ?

Sur trois hausses de taux à compter du mois de juin à hauteur de 0,25%. Les autres relèvements devraient se faire en septembre et décembre.

N’y a-t-il pas à craindre que d’autres augmentations de taux directeurs renchérissent le dollar et mettent à mal l’économie américaine ?

Il est manifeste que les mouvements sur le change surréagissent parfois par rapport aux mouvements de taux. La Banque centrale américaine n’a de toute façon pas une pleine maitrise de la valeur de la devise américaine.

Propos recueillis par Imen Hazgui