Interview de Frédéric Rollin  : Conseiller en stratégie d'investissement chez Pictet Asset Management

Frédéric Rollin

Conseiller en stratégie d'investissement chez Pictet Asset Management

Comment les dernières annonces de la BCE et de la Fed ont influencé notre allocation d'actifs

Publié le 22 Mars 2016

De quelle manière avez-vous accueilli les dernières annonces faites par la BCE à l’issue du dernier Conseil des gouverneurs qui s’est tenu le 10 mars ?
Nous avons salué l’action de la BCE. Nous aurions pu penser compte tenu du léger rétablissement des marchés financiers que la banque centrale déciderait d’attendre avant de sortir l’artillerie lourde. Finalement tel n’a pas été le cas. Tant mieux.

Comment l’expliquez-vous ?

Nous pensons que deux facteurs ont poussé la BCE à agir ce mois-ci. Les dernières statistiques de crédit en particulier à destination des entreprises étaient relativement médiocres, principalement dans les pays périphériques. Par ailleurs les données sur l’inflation et sur les anticipations d’inflation ont également été décevantes. L’inflation cœur, hors prix des matières premières, a baissé. Les perspectives d’inflation de cinq ans dans cinq ans se sont établies en dessous de 1,5%, largement en dessous de l’objectif de la BCE de 2%.

Vous estimez que les mesures prises par la BCE sont appropriées et cohérentes ?

Au-delà d’une légère diminution des taux de dépôt, la BCE a indiqué que les taux ne seront pas dans les mois à venir sa variable principale. Elle a ainsi signifié qu’une politique de taux résolument négatif n’était pas pour l’instant d’actualité. Cette information a rassuré les marchés dans la mesure où des taux très négatifs pèsent sur la profitabilité des banques et peut s’avérer contre productif pour la croissance du crédit.
Parallèlement, il a été fait mention d’un renforcement du programme de quantitative easing, d’une part par une augmentation de la taille (de 60 milliards à 80 milliards d’euros par mois), et par un élargissement du champ des actifs éligibles aux obligations d’entreprises européennes bien notées. C’est une manière de libérer de la place dans le bilan des banques afin de leur permettre d’octroyer davantage de crédits aux entreprises.
Enfin, la BCE a signalé le lancement de quatre nouvelles opérations de refinancement des banques européennes à des conditions avantageuses qui peuvent inclure un taux équivalant au taux de facilité des dépôts, à condition de prêter à l’économie.

Escomptiez-vous une intervention de la BCE à ces trois niveaux ?

Nous avions l’ensemble de ces points à l’esprit. Cependant nous n’avions pas prévu un tel timing. Nous envisagions la communication de certaines de ces mesures comme celle portant sur les obligations d’entreprises européennes bien notées un peu plus tardivement dans l’année.

Quelle lecture faites-vous de la mauvaise réaction du marché, dans un premier temps, à la communication de la BCE ?

Il y a lieu d’être prudent sur les interprétations que l’on peut faire de la réaction du marché juste après des annonces phares. La baisse du marché de jeudi après midi pourrait par exemple trouver son explication dans des massives prises de bénéfices.

Ne pensez-vous pas qu’il y a eu de la déception ?

Si cette hypothèse n’est pas assurée, elle n’est pas à écarter. Une partie des opérateurs peut avoir été déçue par le manque de précisions notamment sur les montants d'obligations d’entreprises que la BCE veut acheter, ainsi que sur leur maturité.
Un autre élément qui peut éclairer sur le repli du marché est relatif à l’appréciation de l’euro qui a suivi la conférence de presse du président de la BCE, Mario Draghi. En choisissant de ne pas mettre les taux à un niveau résolument négatif, la BCE a poussé l’euro à monter contre le dollar.

Cette montée de l’euro induite par la volonté de la BCE de ne pas trop baisser les taux n’est pas somme toute une retombée foncièrement négative ?

L'appréciation de l'euro est marginalement négative pour l'économie européenne, mais surtout rassure les marchés mondiaux. Elle pose une certaine limite à une des inquiétudes du marché qui est une appréciation trop forte du dollar. Cette dernière nuit aux prix des matières premières, à la santé des pays émergents (baisse des matières premières, difficulté de se financer ou de rembourser sa dette avec un dollar cher) et pourrait au final déstabiliser les marchés mondiaux si le yuan venait par exemple à décrocher.

Êtes-vous d’avis que la BCE a informé pour 2016 de l’essentiel de ce qu’elle allait mettre en place ?

A ce stade, nous ne tablons pas sur d’autres annonces importantes. Nous pensons que la BCE voudra d’abord jauger les effets des nouvelles décisions qu’elle a prises avant de les relayer éventuellement avec d’autres actions.

Estimez-vous pour autant que les nouvelles mesures permettront de répondre aux deux problèmes clés identifiés : la distribution du crédit et les anticipations d’inflation ?

Tel est notre avis effectivement. Nous étions initialement moins inquiets que le marché sur ces deux questions et nous sommes renforcés dans notre confiance.

Quelles conséquences les annonces de la BCE ont-t-elles eu sur votre allocation d’actifs ?

Elles nous ont confortés sur notre positionnement sur les actions européennes et les obligations d’entreprises à haut rendement.

Le comité de pilotage de la Réserve fédérale américaine (FOMC) s’est réuni la semaine dernière. Quels enseignements tirez-vous du dernier communiqué publié et des propos tenus par la présidente de la Banque centrale américaine, Janet Yellen ?

La Fed a semblé insister un peu plus fortement sur les risques liés au contexte international. Ce qui a été particulièrement intéressant c’est la révision à la baisse des anticipations des membres du FOMC. En moyenne, deux hausses des taux sont à présent préconisées au lieu des quatre initialement. Ceci se justifie par des pressions inflationnistes très modérées, avec peu de tensions salariales, et une révision légèrement négatives des perspectives économiques des Etats-Unis.

Quel est votre scénario central pour la Fed cette année ?
Nous prévoyons deux hausses des taux en juin et décembre de 25 points de base.

De quelle manière l’attitude de la Fed a-t-elle influencé votre allocation d’actifs ?

Le comportement de la Fed a été jugé positif par le marché, eu égard singulièrement au risque de trop vive remontée de la valeur du dollar. De là, la crainte de voir la Chine procéder à une dévaluation agressive de sa monnaie s’est considérablement atténuée.
Aussi, cela nous a encouragé à maintenir le cap sur la dette émergente. Le rendement de la dette émergente en monnaie locale est de 6,5%. Il est de 5,90% sur la dette émergente en dollar. La performance de ces instruments est globalement positive depuis le début de l’année malgré le regain de volatilité.

Un dernier mot sur les principaux risques qu’il vous parait essentiel à surveiller aujourd’hui pour les marchés financiers au cours des prochains mois ?

Le risque d’un fort ralentissement économique voire d’une récession aux Etats-Unis nous parait très largement surestimé par le marché. Nous ne pensons pas qu’une mauvaise surprise pourrait émaner de là.
Au contraire en fin d’année, il se pourrait que la dynamique économique soit suffisamment solide pour soulever de nouveau une interrogation sur un resserrement de la politique monétaire de la Fed.

La principale menace que nous identifions pour l’heure est celle d’un essoufflement plus prononcé que prévu de l’économie chinoise compte tenu des énormes défis auxquels est confrontée le pays.



Propos recueillis par Imen Hazgui