Interview de Frédéric Rollin : Conseiller en stratégie d'investissement, Pictet AM

Frédéric Rollin

Conseiller en stratégie d'investissement, Pictet AM

Le contexte économique reste porteur pour les actions européennes

Publié le 18 Juillet 2016

Le scénario du Brexit vous parait-il aujourd’hui certain ?
L'application du référendum n'est pas automatique et doit obtenir l'aval du Parlement britannique. Il y a donc une incertitude sur ce point. Ceci étant, la question posée aux citoyens britanniques était sans ambiguïté, le taux de participation très élevé et le résultat a montré une majorité très claire pour le Brexit. Il parait donc très probable de voir le Royaume-Uni enclencher la procédure de sortie en invoquant l’article 50 du Traité de Lisbonne, probablement vers la fin de l’année.

Au-delà de cet évènement, un autre point semble concentrer l’inquiétude des investisseurs en Europe, à savoir l’état de santé du secteur bancaire italien. Qu’en pensez-vous ?
Le devenir du secteur bancaire italien va être étroitement surveillé dans les semaines à venir, ce d’autant plus que le référendum constitutionnel approche. Le niveau des prêts non performants au sein des banques italiennes est substantiel, de l'ordre de 12% du PIB. Un plan de sauvetage, sous forme par exemple de vente de mauvais prêts à un fonds monté à cet effet a été évoqué dans un premier temps, mais il semble que les montants nécessaires soient supérieurs à ce qui avait été mentionné. Or les institutions de l’Union européenne ne veulent pas, pour des considérations de saine concurrence et de contrôle des dettes publiques, que l’Etat intervienne dans le renflouement des banques. Cette volonté a d’ailleurs été consacrée par une directive européenne le 1er janvier 2016. Le gouvernement italien souhaite obtenir une dérogation, mais il n'est pas certain qu'il l'obtienne. C’est ce qui explique la baisse drastique des bancaires italiennes depuis le début de l’année.

De quelle manière voyez-vous la problématique évoluer ?

Il y aura négociation entre partenaires européens. Il est probable qu'un compromis soit trouvé, par exemple par la mise en place d'un fonds financé par l'Etat italien, auquel les banques pourraient céder une partie de leurs créances douteuses. Ce compromis sera probablement de nature insuffisante à régler le problème, mais permettra de prolonger la négociation. A terme, il n'est pas impossible que si le gouvernement italien n'obtient pas de dérogation, il outrepasse les règles européennes et recapitalise directement ses banques. Ce gouvernement ne souhaite pas revivre l'expérience du dernier trimestre de l'année dernière, ou des épargnants avaient perdu de grosses sommes d'argent. Le coût politique est trop important.

D’aucuns avancent que pour les prochains mois les opérateurs de marché seront globalement bien plus attentifs aux déclarations politiques qu’aux statistiques économiques ?
Le vote du Brexit fragilise l'espace politique européen, déja préoccupant. D'importantes échéances sont fixées entre aujourd'hui et fin 2017 : référendum constitutionnel en Italie, élections en France et en Allemagne. A ceci s'ajoutent les difficultés pour l'Espagne d'obtenir un gouvernement solide, un gouvernement minoritaire en Irlande, la crise chronique de la dette grecque, les volontés d'indépendance de la Catalogne et de l'Ecosse et la montée des partis anti-européens. Les investisseurs seront donc désormais très sensibles aux données politiques. Cependant, un point rassurant peut être relevé sur le front économique. De nombreux dirigeants européens affichent une volonté d’assouplir les contraintes budgétaires. Nous estimons qu’en agrégat, la relance budgétaire devrait être à l’origine d’un gain de croissance de 0,2% ou 0,3%. Ce facteur positif s’ajoutera au soutien massif entretenu par la BCE.

Attendez-vous de nouvelles actions de la part de la BCE ?
Sauf nouvelle panique sur les marchés, la BCE devrait se concentrer sur l’implémentation des mesures annoncées en début d’année et ne devrait pas prendre de nouvelles actions à court terme. Face à un certain constat d’une politique monétaire quelque peu arrivée au bout de ce qu’elle pouvait faire, la relance budgétaire devrait être observée également en dehors des frontières européennes, aux Etats-Unis, au Japon…
Il semble que les politiques monétaires sont de moins en moins efficaces. Par exemple, la baisse des taux incite dans un premier temps à souscrire un crédit pour consommer ou investir. Mais des taux d'intérêt négatifs fragilisent les banques qui en conséquence sont moins enclines à préter. De plus, il est probable que des taux résolument négatifs incitent les ménages à épargner plus pour obtenir une montant suffisant lorsqu'ils prennent leur retraite. Devant ce phénomène, les autorités politiques pourraient vouloir davantage se servir de l’arme budgétaire par le biais notamment de dépenses d’infrastructures. Les conventions républicaine et démocrate en vue de l'élection présidentielle américaine seront interessantes à suivre de ce point de vue.

Dans l’environnement actuel, votre stratégie d’investissement se caractérise par trois principaux axes... 
Nous avons pris une position acheteuse sur les grandes capitalisations britanniques suite au résultat du référendum, notamment pour des raisons de valorisation. Elles sont très exposées à l’international : plus de la moitié de leur chiffre d’affaires est réalisé en dehors de l’Union européenne. En outre, certaines valeurs du secteur énergétique et matières premières devraient tirer avantage du rebond des prix du pétrole et des matières premières. Enfin, l’assouplissement à venir de la politique monétaire de la Banque centrale d’Angleterre devrait constituer un élément d’appui.
Par ailleurs, nous avons fait le choix de continuer à nous orienter vers les obligations d’entreprises européennes high yield et les obligations émergentes en dollar. Les obligations d’entreprises européennes high yield jouissent d’un bon environnement. Nous allons avoir une croissance en Europe entre 1% et 1,5%, ce qui sera suffisant à la fois pour permettre aux entreprises européennes de rembourser leur dette et pour encourager les managements à poursuivre une politiuque financière prudente. La conservation des taux bas par la BCE sera également un facteur porteur.
Les obligations émergentes en dollar sont à considérer pour ceux qui cherchent du rendement. Les pays émergents bénéficient du dynamisme du consommateur américain, du rebond chinois et de la hausse des matières premières. Le Brexit peut constituer un avantage pour cette classe d'actifs : il prévient d'une hausse rapide des taux de la FED et pousse les investisseurs européens à considérer d'autres régions que la leur.

Dans un portefeuille équilibré 50/50, vous être plutôt surpondérés sur les actions ?
Oui. Le contexte économique reste porteur et les rendements des obligations gouvernementales ou des liquidités sont quasi-nuls. Pour protéger le portefeuille contre une remontée des risques, nous avons en revanche décidé de mettre de l’or en portefeuille.

Quid de votre positionnement sur les actions américaines ?
Nous sommes prudents. Les valorisations sont relativement élevées et les marges des entreprises américaines sont déja hautes. Elles pourraient être négativement impactées par des augmentations de salaires. Ce n'est pas le cas pour l'Europe.

Quels indicateurs clés surveillez-vous pour soit renforcer vos convictions actuelles ou au contraire les remettre en cause ?
Nous surveillons le traitement du dossier bancaire italien, la mise en œuvre des mesures de la BCE et les développements politiques qui suivront le référendum anglais. Et bien entendu la FED et la Chine. A cet égard, nous suivons de près l'économie chinoise, un peu décevante en regard du plan de relance des autorités pour stimuler l’économie du pays, l'investissement privé notamment restant faible. Enfin, nous suivons de près le marché de l'emploi américain, qui dictera à terme le dynamisme du consommateur, et celui de la FED.
Beaucoup d'incertitudes demeurent, qui peuvent paraître inquiétantes, mais n'oublions pas que nous avons aujourd'hui à la fois un bon emploi américain, des banques centrales accommodantes et des taux très bas à travers le monde.

Propos recueillis par Imen Hazgui