Nicolas Forest
Responsable de la gestion obligataire, chez Candriam Investors Group
BCE : nous sommes probablement au début de la fin
Publié le 31 Mars 2017
Quel regard portez-vous sur la nouvelle hausse du taux directeur de la Fed ce mois de mars ?
Nous avons connu près de 10 ans d’assouplissement puis de statu quo dans la politique monétaire conduite par la Fed. Fin décembre 2015, nous avons eu une première remontée de taux. Celle-ci a été suivie par une nouvelle hausse un an plus tard, en décembre 2016.
Jusqu’en février, le marché était dans l’optique de voir la Fed continuer à s’inscrire dans ce rythme ralenti. Or un relèvement a été annoncé en mars, soit trois mois après la précédente intervention. De ce fait, nous pouvons affirmer que la Fed a accéléré sa cadence dans le resserrement de sa politique monétaire. Ce d’autant plus que sont attendus deux autres hausses de taux d’ici la fin de l’année, notamment en juin et en décembre.
En cela, la hausse du mois de mars apparait pilotée et anticipée alors qu’elle n’a été annoncée qu’un mois auparavant.
Comment expliquez-vous cette accélération ?
A mon sens la décision de la Fed d’accélérer son calendrier de hausse des taux s’explique par le fait que la croissance des Etats-Unis est plus solide et que l’inflation a connu une nette remontée en raison de pressions externes et domestiques. La politique monétaire menée était, et est toujours dans une moindre mesure, très accommodante. Selon la règle de Taylor, le taux d’équilibre des Etats-Unis se situe autour de 4%. Nous en sommes loin.
La réaction de la Fed a-t-elle été influencée par la politique budgétaire envisagée par Donald Trump ?
La politique monétaire américaine est en principe indépendante de la politique budgétaire. Ceci étant, il est raisonnable de penser qu’en intensifiant le processus de normalisation de sa politique, la Fed entend garder une marge de manœuvre pour redonner du souffle à l’économie américaine dans le cas où l’actuel président ne parvient pas à honorer ses engagements.
Ces trois hausses de taux pourraient-elles être réitérées en 2018 ? D’aucuns escomptent un taux directeur à 2,25% à la fin de l’année prochaine…
Livrer un scénario sur l’évolution de la politique monétaire de la Fed pour l’année prochaine parait hasardeux. Indéniablement cette dernière sera conditionnée par l’impulsion donnée par la politique budgétaire à la croissance américaine, plus particulièrement de la variation du taux de chômage et de l’inflation. Ce qui a priori fait sens, c’est que Janet Yellen quitte la présidence de l’institution avec un taux directeur à 2%.
Pensez-vous que la Fed touchera à son bilan cette année ?
Je pense que la Fed veillera à se diriger vers un taux de 2% avant d’enclencher une gestion de son bilan pour ne pas embrouiller le marché.
Cette gestion sera-t-elle active ou passive ?
Il serait plus simple pour la Fed que cette gestion soit passive. Autrement dit, que celle-ci se contente de ne plus réinvestir les coupons arrivés à maturité.
Consécutivement aux trois hausses de taux anticipées, à quel niveau voyez-vous le taux dix ans à la fin de cette année ?
Aujourd’hui le taux dix ans américain est à 2,37%. Le marché le price à 2,50% fin décembre. Il n’est pas exclu que l’on dépasse ce niveau pour approcher les 3%.
A quel principal risque est confronté la politique monétaire de la Fed selon vous ?
Le ralentissement de l’activité économique avec une remontée marquée de l’inflation, autrement dit une stagflation. Pour l’instant, les indicateurs avancés sont bons. Il faut que les données réelles suivent dans ce sens, par ailleurs.
Qu’est ce qui pourrait amener à ce retournement de cycle ?
Il pourrait émaner d’une crise des subprimes sur les prêts automobiles, de l’emballement qui se redessine sur le marché immobilier, des promesses non tenues par l’administration Trump…
Quelles conséquences pourraient avoir un taux directeur de la Fed à 1,75% cette année avec un taux dix ans au-dessus de 2,50% sur les différentes classes d’actifs américains ?
Les hausses de taux courts et de taux longs américains devraient être bien digérés par le marché boursier américain malgré sa forte valorisation. Le crédit américain sera à surveiller plus attentivement car il est dans sa dernière phase d’expansion.
A présent, quel est votre scénario pour la Banque centrale européenne ?
La BCE a diminué son programme d’achat d’actifs de 80 milliards d’euros à 60 milliards d’euros et a procédé à son dernier TLTRO. Nous sommes probablement au début de la fin.
D’ici décembre, nous nous attendons à ce que la BCE fasse de nouvelles annonces dans le sens d’une politique monétaire moins accommodante en raison du raffermissement de la reprise économique et de l’amenuisement du risque de déflation.
Deux options alternatives se présentent à la BCE. Soit celle-ci réduit davantage son programme d’achat à 40 milliards d’euros d’ici le quatrième trimestre 2017, puis à 20 milliards d’euros d’ici le premier trimestre 2018. Soit elle augmente son taux de rémunération des dépôts, aujourd’hui à -0,40% de 10 points de base à -0,30% à fin décembre 2017 puis à 0% au premier semestre 2018.
Pourquoi ces deux options ne seraient pas concomitantes ?
Le président de la BCE, Mario Draghi, a pleinement conscience que la zone euro conserve des points de fragilité économiques cuisants dans un environnement sous hautes tensions notamment politiques avec plusieurs rendez-vous électoraux. Celui-ci veillera à ce que ni l’euro, ni les taux européens remontent trop fortement en menant une politique de sortie graduelle qui se traduira par un compromis entre taux directeur et programme d’assouplissement.
Une de ces deux options vous parait-elle plus plausible ?
L’option de la hausse du taux de rémunération me parait plus logique. Elle n’est pas grandement anticipée par le marché car cela ne fait pas consensus auprès des gouverneurs.
Il y a un écart manifeste entre taux d’équilibre et taux de rémunération des dépôts. Si l’on considère l’Allemagne, cet équilibre est de près de 4%.
Si les élections qui se profilent en France et en Italie vont dans le sens de plus de stabilité et de relance budgétaire, c’est l’orientation que devrait prendre la BCE. Cela lui permettrait de surcroit de se reconstituer une marge de manœuvre en cas de stress éventuel.
Quand attendez-vous ces nouvelles annonces de la BCE ?
A l’automne.
Qu’est-ce que ces nouvelles annonces pourraient induire pour le taux à dix ans allemand et l’euro ?
Le taux à dix ans allemand pourrait remonter à 0,80%. L’euro devrait demeurer dans une zone 1.08-1.10.
Quelles répercussions pour les actifs européens ?
La poursuite de la normalisation de la politique monétaire de la BCE sera surtout négative pour le marché des taux et des obligations européens. Marquant le signe d’une stabilité de l’environnement économique, , elle sera positive pour le marché actions de la zone euro qui est le marché le plus sous-évalué de tous les marchés actions et qui est sans doute celui qui offre le potentiel de performance le plus élevé. En revanche elle pourrait amener à mettre sous pression les obligations non-financières de la zone euro.
Nous avons connu près de 10 ans d’assouplissement puis de statu quo dans la politique monétaire conduite par la Fed. Fin décembre 2015, nous avons eu une première remontée de taux. Celle-ci a été suivie par une nouvelle hausse un an plus tard, en décembre 2016.
Jusqu’en février, le marché était dans l’optique de voir la Fed continuer à s’inscrire dans ce rythme ralenti. Or un relèvement a été annoncé en mars, soit trois mois après la précédente intervention. De ce fait, nous pouvons affirmer que la Fed a accéléré sa cadence dans le resserrement de sa politique monétaire. Ce d’autant plus que sont attendus deux autres hausses de taux d’ici la fin de l’année, notamment en juin et en décembre.
En cela, la hausse du mois de mars apparait pilotée et anticipée alors qu’elle n’a été annoncée qu’un mois auparavant.
Comment expliquez-vous cette accélération ?
A mon sens la décision de la Fed d’accélérer son calendrier de hausse des taux s’explique par le fait que la croissance des Etats-Unis est plus solide et que l’inflation a connu une nette remontée en raison de pressions externes et domestiques. La politique monétaire menée était, et est toujours dans une moindre mesure, très accommodante. Selon la règle de Taylor, le taux d’équilibre des Etats-Unis se situe autour de 4%. Nous en sommes loin.
La réaction de la Fed a-t-elle été influencée par la politique budgétaire envisagée par Donald Trump ?
La politique monétaire américaine est en principe indépendante de la politique budgétaire. Ceci étant, il est raisonnable de penser qu’en intensifiant le processus de normalisation de sa politique, la Fed entend garder une marge de manœuvre pour redonner du souffle à l’économie américaine dans le cas où l’actuel président ne parvient pas à honorer ses engagements.
Ces trois hausses de taux pourraient-elles être réitérées en 2018 ? D’aucuns escomptent un taux directeur à 2,25% à la fin de l’année prochaine…
Livrer un scénario sur l’évolution de la politique monétaire de la Fed pour l’année prochaine parait hasardeux. Indéniablement cette dernière sera conditionnée par l’impulsion donnée par la politique budgétaire à la croissance américaine, plus particulièrement de la variation du taux de chômage et de l’inflation. Ce qui a priori fait sens, c’est que Janet Yellen quitte la présidence de l’institution avec un taux directeur à 2%.
Pensez-vous que la Fed touchera à son bilan cette année ?
Je pense que la Fed veillera à se diriger vers un taux de 2% avant d’enclencher une gestion de son bilan pour ne pas embrouiller le marché.
Cette gestion sera-t-elle active ou passive ?
Il serait plus simple pour la Fed que cette gestion soit passive. Autrement dit, que celle-ci se contente de ne plus réinvestir les coupons arrivés à maturité.
Consécutivement aux trois hausses de taux anticipées, à quel niveau voyez-vous le taux dix ans à la fin de cette année ?
Aujourd’hui le taux dix ans américain est à 2,37%. Le marché le price à 2,50% fin décembre. Il n’est pas exclu que l’on dépasse ce niveau pour approcher les 3%.
A quel principal risque est confronté la politique monétaire de la Fed selon vous ?
Le ralentissement de l’activité économique avec une remontée marquée de l’inflation, autrement dit une stagflation. Pour l’instant, les indicateurs avancés sont bons. Il faut que les données réelles suivent dans ce sens, par ailleurs.
Qu’est ce qui pourrait amener à ce retournement de cycle ?
Il pourrait émaner d’une crise des subprimes sur les prêts automobiles, de l’emballement qui se redessine sur le marché immobilier, des promesses non tenues par l’administration Trump…
Quelles conséquences pourraient avoir un taux directeur de la Fed à 1,75% cette année avec un taux dix ans au-dessus de 2,50% sur les différentes classes d’actifs américains ?
Les hausses de taux courts et de taux longs américains devraient être bien digérés par le marché boursier américain malgré sa forte valorisation. Le crédit américain sera à surveiller plus attentivement car il est dans sa dernière phase d’expansion.
A présent, quel est votre scénario pour la Banque centrale européenne ?
La BCE a diminué son programme d’achat d’actifs de 80 milliards d’euros à 60 milliards d’euros et a procédé à son dernier TLTRO. Nous sommes probablement au début de la fin.
D’ici décembre, nous nous attendons à ce que la BCE fasse de nouvelles annonces dans le sens d’une politique monétaire moins accommodante en raison du raffermissement de la reprise économique et de l’amenuisement du risque de déflation.
Deux options alternatives se présentent à la BCE. Soit celle-ci réduit davantage son programme d’achat à 40 milliards d’euros d’ici le quatrième trimestre 2017, puis à 20 milliards d’euros d’ici le premier trimestre 2018. Soit elle augmente son taux de rémunération des dépôts, aujourd’hui à -0,40% de 10 points de base à -0,30% à fin décembre 2017 puis à 0% au premier semestre 2018.
Pourquoi ces deux options ne seraient pas concomitantes ?
Le président de la BCE, Mario Draghi, a pleinement conscience que la zone euro conserve des points de fragilité économiques cuisants dans un environnement sous hautes tensions notamment politiques avec plusieurs rendez-vous électoraux. Celui-ci veillera à ce que ni l’euro, ni les taux européens remontent trop fortement en menant une politique de sortie graduelle qui se traduira par un compromis entre taux directeur et programme d’assouplissement.
Une de ces deux options vous parait-elle plus plausible ?
L’option de la hausse du taux de rémunération me parait plus logique. Elle n’est pas grandement anticipée par le marché car cela ne fait pas consensus auprès des gouverneurs.
Il y a un écart manifeste entre taux d’équilibre et taux de rémunération des dépôts. Si l’on considère l’Allemagne, cet équilibre est de près de 4%.
Si les élections qui se profilent en France et en Italie vont dans le sens de plus de stabilité et de relance budgétaire, c’est l’orientation que devrait prendre la BCE. Cela lui permettrait de surcroit de se reconstituer une marge de manœuvre en cas de stress éventuel.
Quand attendez-vous ces nouvelles annonces de la BCE ?
A l’automne.
Qu’est-ce que ces nouvelles annonces pourraient induire pour le taux à dix ans allemand et l’euro ?
Le taux à dix ans allemand pourrait remonter à 0,80%. L’euro devrait demeurer dans une zone 1.08-1.10.
Quelles répercussions pour les actifs européens ?
La poursuite de la normalisation de la politique monétaire de la BCE sera surtout négative pour le marché des taux et des obligations européens. Marquant le signe d’une stabilité de l’environnement économique, , elle sera positive pour le marché actions de la zone euro qui est le marché le plus sous-évalué de tous les marchés actions et qui est sans doute celui qui offre le potentiel de performance le plus élevé. En revanche elle pourrait amener à mettre sous pression les obligations non-financières de la zone euro.
Propos recueillis par Imen Hazgui