Interview de Bernard  Aybran : Directeur de la multigestion d'
Invesco Asset Management

Bernard Aybran

Directeur de la multigestion d' Invesco Asset Management

S&P 500 : bientôt un krach sur le marché des actions américain ?

Publié le 11 Avril 2017

+9% pour le Nasdaq, +5% pour le Dow Jones et le S&P 500 : la performance des principaux indices boursiers américains est remarquable depuis le début de l’année. Si bien que certains s’attendent à une correction à brève échéance. Les arguments avancés par ces derniers sont multiples. En premier lieu desquels une accélération de la hausse des taux par la Fed. Qu’en pensez-vous ?
On peut considérer que l’intervention de la Fed au mois de mars équivaut à une accélération par rapport à ses précédentes interventions. Celle-ci n’ayant augmenté son taux qu’une fois en 2015 et une fois en 2016. Ceci étant, à mon sens c’est surtout ces deux hausses en l’espace de deux ans qui sont inhabituelles. Depuis la seconde guerre mondiale, nous n’avons pas eu de cycle avec une seule hausse de taux par an. Le rythme était davantage celui de trois à quatre relèvements, si ce n’est un relèvement tous les mois.
C’est ce qui explique que la Fed soit parvenue à faire accepter sans trop de difficultés cette hausse du mois de mars aux marchés. L’annonce a quasiment été un non évènement.

Il y a fort à penser que la Fed maintiendra un rythme régulier de hausse des taux...

Le scénario d’un emballement du processus de normalisation de la politique américaine de la Fed nous parait à exclure. La remontée de l’inflation aux Etats-Unis est principalement due à un renchérissement des prix des matières premières. L’inflation core, prise isolément, montre une assez faible poussée.
En outre, l’indice S&P 500 est un indicateur étroitement surveillé par la Fed. Il est vraisemblable que si celle-ci s’aperçoit d’un début de retournement de tendance sur cet indice, elle décide de ralentir le pas.

Sont également évoquées, à la défaveur du marché des actions américain, des répercussions négatives de la réévaluation des salaires sur les marges bénéficiaires des entreprises américaines qui sont à leur plus haut…

Cela fait longtemps qu’il est dit que les marges des entreprises américaines ont atteint un sommet. Il y a lieu, toutefois, d’être prudent avec le jugement à porter sur ces marges, en particulier avec l’évaluation de la revalorisation des salaires qui impacterait négativement ces derniers. Ce qui est regardé par de nombreux observateurs c’est le taux de salaire horaire. Or, il suffit de faire fluctuer marginalement le nombre d’heures travaillées à la hausse ou à la baisse pour que cela ait une incidence considérable sur la variation des salaires.
Par ailleurs, les marges bénéficiaires des entreprises américaines pourraient être fortement aidées par la réforme fiscale envisagée par la nouvelle administration au pouvoir aux Etats-Unis. Si des mesures sont effectivement adoptées dans le sens d’un allègement de la fiscalité pour les entreprises, cela sera nécessairement avantageux pour les profits générés.
Le consensus table sur un accroissement des profits de 10% cette année. La révision négative que l’on a coutume de voir en début d’année n’a toujours pas été enclenchée. Si l’on admet que la réduction de l’impôt sur les sociétés aura bien lieu, cela nous amène à attendre une très belle année de résultats pour les entreprises américaines.

Cette réforme fiscale vous semble donc plausible ?

L’allègement de l’impôt sur les sociétés parait être une chose communément admise au sein du Congrès. La différence de point de vue entre Démocrates et Républicains intéresse surtout les modalités de cet allègement. Il y a cependant toute une procédure à suivre, avec des négociations et des compromis, qui implique que cet allègement prendra du temps à se concrétiser.

Une autre crainte autour du marché des actions américain est liée à une montée du protectionnisme de la part de Donald Trump qui induirait des mesures de rétorsion à l’encontre des entreprises américaines de dimension internationale….
La fixation de barrières douanières suppose un accord minimal du Congrès, qui contrairement à ce qui se dessine pour la réduction d’impôt, ne sera pas aisé à obtenir pour Donald Trump. Cela s’est d’ailleurs traduit par le fait que le nouveau président n’ait pas pu faire de ces barrières douanières l’objet d’un des décrets signés immédiatement après sa prise de fonction.
Si un arrangement sur ces barrières douanières finissait par être arrêté, cela supposerait la définition de quotas pays par pays difficiles à appliquer. D’une part, parce que de nombreux produits dits « américains » se composent majoritairement de matériaux importés de l’étranger, notamment d’Asie. D’autre part, parce ce que par un tel agissement les Etats-Unis seraient sûrs de soulever une certaine hostilité de ses partenaires commerciaux.

Est-ce à dire que vous ne vous attendez pas nécessairement à une respiration sur le marché des actions américain ?

Tout dépend de ce que l’on appelle une respiration. Si on l’associe à une certaine inertie du marché, cette respiration est tout à fait envisageable. C’est un peu ce que l’on a vécu ces derniers jours. En revanche, je ne table pas sur une correction d’une dizaine de pourcents de l’indice S&P, à l’instar de ce à quoi nous avons assisté en 2013.
Dans ces conditions nous voyons davantage une sous performance du marché des actions américain en relatif qu’un krach. Au demeurant, si nous avions un krach sur le marché des actions américains, de toute évidence nous aurions un phénomène analogue sur les autres marchés boursiers.

De quelle manière êtes-vous positionnés sur le marché actions aux Etats-Unis ?

Nous avons mis l’accent sur les sociétés du Nasdaq qui sont plus immunes aux mouvements de taux d’intérêt.

La relative inertie globalement escomptée outre-Atlantique vous pousse à une réorientation de votre allocation sur le marché des actions européen. Des biais géographiques sont-ils en place ?

Nous sommes davantage positionnés sur la zone euro. Notre biais est surtout sectoriel. Nous avons fait le choix d’alourdir notre pondération sur les banques. C’est une manière de miser davantage sur la performance de la bourse italienne et de la bourse espagnole qui sont clairement en retard par rapport à la bourse allemande et la bourse française.

Comment justifiez-vous ce biais sectoriel ? Une éventuelle remontée en perspective des taux par la BCE ?

Davantage qu’une remontée, une fin de la baisse des taux obligataires.
Si la BCE décide de monter ses taux, cela signifierait implicitement que l’on a atteint une certaine phase de maturité du cycle au sein de la zone euro. Or le taux de chômage pour l’ensemble de la zone se situe à 9,5%. Difficile d’imaginer qu’un tel niveau correspond à un pic de conjoncture. On a dernièrement eu une forte chute de la production industrielle dans l’ensemble des pays de la zone euro sauf en Allemagne. La distribution du crédit n’est pas au beau fixe.
Des tensions politiques sont, par ailleurs, palpables. Le spread italien s’est sensiblement élargi la semaine dernière en raison de craintes autour d’éventuelles élections anticipées suite aux primaires des primaires qui ont été organisées.

Le secteur bancaire est-il votre seul biais sectoriel ?

Nous sommes sous pondérés sur le secteur énergétique en raison du déséquilibre entre l’offre et la demande pétrolière. La production aux Etats-Unis ne cesse de croitre.
Même si nous avions une remontée du cours du baril, les valorisations des pétrolières nous parait être trop élevées.

Propos recueillis par Imen Hazgui