Interview de Mathieu Laine : avocat spécialisé en droit des affaires chez Brandford-Griffith & Associés

Mathieu Laine

avocat spécialisé en droit des affaires chez Brandford-Griffith & Associés

Les OPA contribuent à une meilleure régulation du marché

Publié le 07 Juillet 2006

Qu’est ce qui vous a amené à écrire «La Grande Nurserie, en finir avec l’infantilisation des Français»?
Ce livre a pour ambition de réveiller les consciences. C’est un signal d’alarme contre le développement d’un Etat hyper protecteur qui, à force de vouloir nous prémunir de l’ensemble des risques, finit par entretenir l’idée que l’on peut tout attendre de lui. L’Etat peut tout ! Cette hyper-intervention de l’Etat est telle qu’elle favorise l’infantilisation et la déresponsabilisation et qu’elle va à l’opposé des intérêts de tous, y compris (et surtout) des plus faibles (ceux-là mêmes que l’on souhaitait protéger). La surprotection du salarié contre son patron, du locataire contre son propriétaire, des Français contre le grand capitalisme international est non seulement infondée mais contre-productive. L’Etat ne peut pas jouer en permanence les nounous et ne devrait pas jouer les marchands de peur pour tenter d’asseoir son pouvoir.

Quels sont les signes manifestes de ce protectionnisme ?
Des yaourts à l’énergie en passant par l’acier, la banque ou le médicament, tous les secteurs économiques se sont retrouvés au grand bal des OPA. Avec un invité surprise : l’Etat français, chargé de faire et de défaire les mariages annoncés pour que les futurs époux soient, tous deux, bien français… Pas européens, français. On ne va quand même pas se marier avec des étrangers ! Comme certaines alliances auraient pu être, de surcroît, forcées, il était temps que le gouvernement intervienne et donne à ces entreprises venues de loin quelques leçons de savoir-vivre (autrement appelées « leçons de grammaire »). Belle illustration du capitalisme à la française, ou quand quelques patrons du CAC 40 appellent au secours leurs amis ministres pour tenter d’enrayer le jeu naturel du marché et protéger leurs propres intérêts. L’Etat croit bon de nous protéger contre le plombier polonais, le milliardaire indien, l’agresseur transalpin ! On pourrait presque parler d’une certaine forme de « xénophobie des affaires »…

En quoi ce protectionnisme est-il néfaste ?
Le protectionnisme économique conduit à des reflexes négatifs. La tendance est à la disparition de tout risque quel qu’il soit. Les acteurs ne cherchent plus à se demander quoi faire, quelle stratégie adopter, quoi renforcer pour devenir ou rester compétitif. Ils sont incités à faire moins d’efforts. Ils s’affaiblissent derrière de bien fragiles lignes Maginot.

Les OPA, par exemple, sont un outil indispensable au bon fonctionnement d’une économie de marché dynamique. Elles permettent d’ajuster au mieux les moyens de production et constituent un moyen particulièrement efficace d’incitation des managers en place à bien gérer leur entreprise, afin de satisfaire l’intérêt des actionnaires et d’éviter qu’ils ne cèdent aux tentations d’offreurs potentiels. Elles contribuent également à une meilleure régulation du marché en permettant à des gestionnaires plus compétents de se substituer à des dirigeants moins efficaces.

Il n’existe donc pas d’OPA « hostiles » aux actionnaires. Elles ne le sont, éventuellement, que pour le management, car si une OPA est lancée, c’est précisément parce que les acquéreurs potentiels estiment qu’ils peuvent mieux gérer l’entreprise. L’Etat n’a donc pas à intervenir sur ces matières. Les intérêts en jeu ne sont d’ailleurs en rien ceux de la nation mais ceux des dirigeants, des actionnaires et des salariés d’une entreprise privée. Plus précisément, seuls les actionnaires de l’entreprise cible (c’est-à-dire ses propriétaires, ceux qui ont pris le risque de parier sur elle et qui supportent donc, contrairement aux hommes politiques, les conséquences des décisions prises) doivent pouvoir juger s’il est bon ou non d’apporter leurs titres à l’offre.

Vous parlez de l’exception française, est-elle réelle ?
L’exception française se situe dans l’hyper-intervention de l’Etat, dans un rapport ambigu à la liberté individuelle et dans la culture de l’égalitarisme. Les pays autour de nous ont, d’une manière ou d’une autre, compris la nécessité de redistribuer le pouvoir aux citoyens. Et ils ont engagé les réformes nécessaires pour favoriser la plus grande responsabilisation des acteurs. Nous accusons, à ce sujet, un retard considérable, et comme les autres pays avancent vite, nous reculons… Mais il existe de véritables solutions et nous avons des raisons de demeurer optimistes.

Que conseillez-vous pour sortir de cette situation ?
Je pense que notre pays doit découvrir à nouveau les vertus fondamentales de la liberté individuelle, de la flexibilité et de la responsabilité personnelle. Tout le monde y a intérêt ! Il faut basculer d’une société de contrôle à une société de responsabilité et s’inspirer des succès étrangers. Et pour cela, il faut engager une véritable politique de croissance alliant une baisse rapide et importante de la pression fiscale, un assouplissement réel du droit du travail pour l’ensemble des contrats et une plus grande concurrence entre les acteurs économiques.

Et pour y parvenir, deux méthodes sont envisageables : soit passer par le dialogue social, soit réaliser en une fois, au début d’un mandat (2007 ?), une vaste et audacieuse réforme. La meilleure voie serait la première mais elle demeurera impraticable tant que l’on aura pas remis en cause le décret de 1966 accordant une présomption irréfragable de représentativité à cinq syndicats. Ces derniers ne représentent en effet plus que 7% des salariés. Chiffre dérisoire comparé aux syndicats des pays nordiques qui, eux, représentent près de 80% des employés ! C’est l’un des tabous français, qu’il faudra bien remettre en cause un jour ou l’autre.

Etes-vous optimiste ?
On peut y arriver et la mise concurrence des modèles sociaux y contribuera. Mais si le prochain président de la République n’engage pas rapidement ces réformes positives et audacieuses, alors il y a un véritable risque de voir notre pays s’enfoncer dans le « modèle… argentin ». Il faut d’urgence briser les chaînes de la déresponsabilisation et reconstruire un Etat moderne, ne dépensant plus, comme il le fait aujourd’hui, 13 % de plus qu’il ne perçoit. Cessons de rendre la liberté présumée coupable et faisons-nous confiance. Il est encore temps.

lucile