Interview de Jean-Joseph Boillot  : Conseiller au club du CEPII (Centre d'études prospectives et d'informations internationales) et auteur de

Jean-Joseph Boillot

Conseiller au club du CEPII (Centre d'études prospectives et d'informations internationales) et auteur de "Chindiafrique, les trois géants qui feront le monde de demain"

La bourse de Bombay a enregistré la plus forte performance dans le monde en 2012

Publié le 20 Décembre 2012

La bourse de Bombay a enregistré la plus forte performance dans le monde cette année…
C'est une surprise. L'indice de la bourse de Bombay est aujourd'hui proche des 20.000 contre 15.500 en fin d'année dernière. Mais cela s'explique fondamentalement par les retours des capitaux plutôt spéculatifs dans un contexte de laxisme monétaire aux Etats-Unis et désormais de la part de la Banque centrale européenne. Si les investissements directs ont baissé de plus de 60% entre janvier et août, les entrées de capitaux financiers n’ont jamais été aussi élevées : en 10 mois, 19 milliards de dollars alors qu'ils étaient tombés à 512 millions en 2011. Le deuxième pays à avoir reçu le plus de capitaux financiers étrangers après l’Inde est la Corée du Sud avec 12 milliards de dollars, très loin devant le Japon avec 3 milliards de dollars et Taiwan 1,3 milliards.
Il faut savoir que la bourse de Bombay était tombée à 12 000 points au début de la crise financière et qu'elle avait terminé l'année 2008 à 9.647 points.
Trois nouvelles ont fait remonter très rapidement l'indice : les évaluations de Fitch, de Moody’s et de Goldman Sachs. Toutes leurs analyses ont convergé vers la même conclusion : la situation conjoncturelle de l’Inde n’est pas bonne mais il n’y a pas de risque majeur sur le pays et les perspectives à moyen terme sont bonnes.

Comment l’expliquez-vous ?
Alors que l’on voit un ensemble de mauvaises nouvelles se superposer, comparativement aux autres marchés émergents, le marché indien semble présenter un bon ratio bénéfices sur risque. Les entreprises indiennes se sont plutôt assainies comme lors de chaque cycle. Leur niveau de rentabilité s’est donc nettement amélioré. Elles ont ainsi annoncé une amélioration de 26% de leurs profits pour le dernier trimestre de l'année 2012.

Les entrées de flux financiers devraient-ils se poursuivre en 2013 ?

J’ai l’impression que l’Inde est en train de faire le plein. Néanmoins, nous avons au niveau international un excès de liquidités considérable du au « quantitative easing » des banques centrales.
La question se pose de savoir où placer cette liquidité ? Il n’y a pas beaucoup d’endroits dans le monde où le faire. Comparée aux autres zones du monde, l’Inde fait un peu figure de bon choix. La gestion macroéconomique est plutôt rigoureuse. Le taux de rémunération des dépôts dans les banques est relativement confortable, de 7,5%. Le taux de change est stable.
Grâce à l’amélioration de la marge des entreprises, la bourse devrait continuer à délivrer un rendement non négligeable.

Rester positionné sur l’Inde pourrait ne pas être un mauvais pari…
Si la bourse de Bombay reste aux alentours de 20.000 points et que parallèlement les marchés européen et américain se retournent, l’exposition indienne s’avèrera propice.
La dimension politique sera importante à surveiller. La campagne électorale a déjà commencé. Le gouvernement est minoritaire et de facto pourrait tomber du jour au lendemain si l'opposition n'était pas divisée et ne considérait pas que le temps joue en sa faveur.
Le gouvernement indien a choisi une ligne de défense rarement gagnante, le discours du « réalisme ». L’austérité et l’ouverture aux investisseurs étrangers sont nécessaires. Il n’a pas le choix. Manmohan Singh a décidé de jouer la fin de son mandat là-dessus parce qu’il ne compte pas se représenter. Le problème est que le parti du Congrès n’a pas de leader de rechange. On dit que Sonia Gandhi est très malade, or c'est elle qui a sauvé pour la deuxième fois le Congrès aux élections générales de 2009. La question est de savoir s’il va parvenir à sortir une carte maîtresse en termes de leadership dans les mois à venir. Ce n’est pas du tout évident.

Palaniappan Chidambaram est un homme fort donc par définition pas très populaire. C’est en outre un brahman du sud assez hautain, respecté pour sa qualité managériale, mais pas vraiment très apprécié.

Quid de Raoul Gandhi ?
Celui-ci reste silencieux. Il était question de le faire entrer au gouvernement à l’occasion du dernier remaniement ministériel d'octobre afin de lui donner une stature gouvernementale. Mais on a reculé. Il est possible que cela s’explique par le fait qu’il n’ait pas souhaité être associé à l’image de rigueur et de libéralisme du gouvernement actuel qui l’aurait desservi.

Ceci étant, je ne vois pas en ce qui me concerne de puissant retour du parti du Congrès au niveau fédéral. Ni du reste, d'aucun parti pan-indien. L'Inde semble s'acheminer pour un certain temps vers des coalitions où de forts partis régionaux sont capables de dicter leurs conditions. Et finalement, est-ce si mauvais ? Si on en juge par le record de la croissance ces dix dernières années, le pauvre état du Bihar, ou pas loin, le Madhya Pradesh et même l'Uttar Pradesh, c'est à dire les états les plus peuplés mais aussi les plus pauvres, on est enclin à penser que la décentralisation politique en Inde joue en faveur de la convergence économique. Un défi que les autorités chinoises ont, quant à elles, bien du mal à gagner.

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Propos recueillis par Imen Hazgui