Interview de Bertrand  Lamielle  : Directeur général de Portzamparc

Bertrand Lamielle

Directeur général de Portzamparc

Banques, défense, électrification : parmi les gagnants du virage 2026

Publié le 12 Novembre 2025

Comment résumez-vous l’année écoulée et l’entrée dans 2026 ?
L’année a été difficile à lire et marquée par une succession de signaux contradictoires, mais elle se clôt sur une dynamique globalement positive. Malgré plusieurs phases de volatilité, les marchés ont affiché une capacité de résilience notable, soutenus par des résultats d’entreprises solides dans plusieurs secteurs clés.

À l’approche de 2026, trois grandes tendances se dessinent clairement : en Europe, les secteurs bancaire et industriel demeurent particulièrement bien orientés ; à l’échelle internationale, certains sous-segments industriels comme la défense et l’électrification continuent de tirer la performance ; enfin, les petites capitalisations européennes réapparaissent dans le radar des investisseurs, portées par l’ajustement des politiques monétaires et par des logiques de réorganisation des chaînes de valeur sur le continent sous l’impulsion de la problématique des droits de douane imposés par l’administration Trump.

Quels secteurs européens ont le mieux tenu ?
Le secteur bancaire européen a connu une année remarquable, avec des progressions de valeur très importantes (entre 50% et 60% en moyenne), soutenues par des bénéfices robustes et des publications trimestrielles qui ont systématiquement dépassé les attentes.
L’industrie, quant à elle, s’est distinguée par la vigueur de certains compartiments : la défense a été portée par une demande structurellement plus forte (avec un plan de relance allemand de 500 milliards d’euros et un plan de relance européen de 800 milliards d’euros), tandis que l’électrification bénéficie d’un contexte où les politiques publiques et les investissements privés convergent vers la transition énergétique et les enjeux de souveraineté.

Pourquoi les petites capitalisations européennes redeviennent-elles attractives ?
Deux éléments principaux expliquent leur regain d’intérêt. D’une part, la baisse des taux directeurs des banques centrales, amorcée ou anticipée, allège le coût du financement et redonne de la valeur aux sociétés plus petites et plus sensibles au cycle monétaire. D’autre part, les bouleversements géopolitiques et commerciaux, notamment les annonces américaines sur les droits de douane, poussent les entreprises européennes à renforcer leurs chaînes d’approvisionnement internes. Les petites capitalisations, souvent très domestiques ou centrées sur l’Europe, sont mécaniquement moins exposées aux chocs externes, ce qui améliore leur profil de risque et leur attractivité.

Ces facteurs sont-ils appelés à durer ?
Oui, car l’environnement structurel favorise durablement ces segments. Outre leur capacité de croissance intrinsèque, les entreprises industrielles et les petites capitalisations sont aujourd’hui soutenues par des initiatives publiques massives : plans de relance nationaux, investissements européens dans la défense, programmes de modernisation des infrastructures et incitations liées à la souveraineté industrielle. Ces leviers devraient maintenir un flux d’investissement soutenu au cours des prochaines années.

Que se passe-t-il du côté des États-Unis ?
La technologie reste l’axe central des marchés américains, avec un poids considérable dans les indices (plus de 30% du S&P 500) et une influence dominante sur leur direction. Les résultats publiés par les grandes entreprises du secteur témoignent d’une dynamique particulièrement solide : croissance du chiffre d’affaires supérieure aux attentes, amélioration continue des marges et investissements massifs dans les infrastructures et les capacités technologiques. Les acteurs de la chaîne de valeur de l’intelligence artificielle continuent de bénéficier d’un cycle d’investissement exceptionnel, tant du côté de la recherche que de la production.

Les investissements liés à l’intelligence artificielle restent-ils une thématique porteuse ?
Oui. Les montants engagés restent à des niveaux historiques, de plusieurs centaines de milliards de dollars, et la demande provient de plusieurs fronts simultanément : centres de données plus puissants, besoins d’entraînement des modèles, capacités matérielles nécessaires pour faire fonctionner les nouvelles générations d’algorithmes, et investissements logiciels pour intégrer ces technologies dans une multitude de secteurs. Cette convergence place l’intelligence artificielle au centre d’un cycle pluriannuel de dépenses, qui devrait continuer à irriguer les marchés technologiques.

Quels indicateurs macroéconomiques surveillez-vous en priorité ?
L’inflation et le chômage demeurent les indicateurs fondamentaux, des deux côté de l’Atlantique, car ils déterminent directement la marge de manœuvre des banques centrales. Le niveau de tension sur le marché du travail influence les salaires et donc le caractère plus ou moins persistant de l’inflation. Quant au rythme de décélération des prix, il conditionne la capacité des banques centrales à ajuster leurs taux et à guider les anticipations des marchés.

Quelle est votre lecture de la Banque centrale européenne et de la Réserve fédérale ?
La Banque centrale européenne semble avoir accompli l’essentiel de son travail de resserrement monétaire et paraît aujourd’hui en situation d’observer et de stabiliser sa politique. Aucun signal majeur ne laisse anticiper des hausses de taux supplémentaires dans l’environnement actuel.
La Réserve fédérale suit une logique similaire, mais avec un point d’attention particulier sur l’inflation américaine, qui peut rester plus tenace du fait de facteurs domestiques comme la politique commerciale (hausse des tarifs douaniers) ou la vigueur du marché de l’emploi. La Réserve fédérale navigue toutefois de manière ordonnée, en ajustant progressivement sa posture lorsque les données le permettent.

Comment jugez-vous les valorisations actuelles ?
Les États-Unis affichent des valorisations plus élevées, ce qui s’explique en grande partie par la surpondération structurelle des valeurs de croissance technologiques. L’Europe reste, à ce jour, sur des niveaux de valorisation nettement plus mesurés, sans excès. Les multiples ne montrent pas de signes de surchauffe.
Cependant, au-delà des valorisations historiques, ce sont les révisions d’anticipations qui comptent véritablement. Les marchés récompensent fortement les entreprises pour lesquelles les analystes relèvent leurs estimations de bénéfices. Sur les secteurs industriels, bancaires et technologiques, ces révisions sont orientées à la hausse, ce qui justifie la solidité de leurs trajectoires.

Quels secteurs privilégiez-vous ? Lesquels évitez-vous ?
Comme évoqué en amont, nous privilégions l’industrie, les banques et la technologie, car ce sont les secteurs qui combinent dynamique bénéficiaire, soutien structurel et catalyseurs de long terme. Nous observons également un retour d’intérêt pour les services aux collectivités, soutenus par la détente des taux longs et par les besoins croissants en production d’énergie, notamment renouvelable. Les autres secteurs présentent une dynamique plus faible, avec des révisions bénéficiaires souvent négatives ou une visibilité insuffisante.

La consommation énergétique des centres de données change-t-elle la donne ?
Oui, de façon significative. Les centres de données consomment déjà une part notable de l’électricité mondiale (autour de 3%) et cette proportion devrait tripler d’ici la fin de la décennie. Cela impose un effort massif de production supplémentaire. Les acteurs capables de développer de nouvelles capacités de production, de renforcer les réseaux ou d’optimiser l’efficacité énergétique retrouvent ainsi une place stratégique dans l’écosystème, ce qui redonne de la valeur à certains segments des services aux collectivités.

Qu’attendre des marchés obligataires ?
Dans un contexte de croissance modérée et de normalisation progressive des politiques monétaires, nous n’anticipons pas de remontée brutale des taux obligataires. Les forces à l’œuvre ne sont pas celles d’une économie en surchauffe. Une réouverture commerciale généralisée pourrait créer un environnement plus porteur pour les taux longs, mais ce n’est pas le scénario qui se dessine aujourd’hui. Le marché obligataire devrait donc évoluer dans un cadre relativement stable, sans biais fortement haussier.

Et sur les devises, notamment l’euro-dollar ?
Le mouvement de dépréciation de l’euro semble avoir marqué une pause. Toutefois, la politique économique américaine, notamment si elle s’oriente vers une intensification des droits de douane ou une politique budgétaire expansionniste, pourrait soutenir à nouveau le dollar. Le risque asymétrique demeure plutôt à la hausse pour la devise américaine, même si la situation actuelle ne confirme pas encore ce scénario.

Quelle est votre position sur l’or ?
L’or reste un actif bien orienté, porté par des achats de banques centrales et par des stratégies de diversification. Il ne joue pas uniquement un rôle défensif, car sa progression s’est parfois produite en parallèle de la hausse des marchés actions.
Ceci étant, son évolution doit être examinée en tenant compte de l’effet de change, puisque sa performance doit être ajustée de la variation du dollar. Il s’agit d’un actif qui peut avoir sa place dans une allocation, mais qui ne constitue pas une couverture systématique.

Quels sont les principaux risques pour les prochains trimestres ?
L’expérience récente montre que les chocs majeurs proviennent souvent de sources inattendues. Plutôt que de multiplier des scénarios théoriques, nous préférons adopter une approche disciplinée de suivi continu : observation de près de 2000 valeurs, repérage des changements de dynamique, analyse des signaux faibles et arbitrages rapides lorsque les fondamentaux évoluent. Cette méthode permet d’être réactif, sans s’enfermer dans des prédictions fragiles.

Votre modèle propriétaire pointe-t-il des zones de faiblesse ?
Oui. La chimie demeure structurellement en difficulté. L’automobile présente des situations contrastées, avec quelques publications solides mais un ensemble encore fragile. De même en est il du secteur de l’agroalimentaire.
D’une manière générale, en dehors des banques, de l’industrie et des services aux collectivités, la majorité des secteurs restent mal orientés. Nous ne constatons pas de rotation sectorielle majeure, mais plutôt des rotations internes : certains leaders reculent tandis que de nouveaux acteurs prennent le relais dans le luxe (Kering versus Hermes), la technologie (ASML versus SAP) ou d’autres segments spécialisés.

Dans les banques, quelles zones géographiques privilégiez-vous ?
Les banques d’Europe du Sud, notamment en Italie et en Espagne, ainsi que les établissements d’Europe centrale et orientale, profitent d’une dynamique économique plus vigoureuse et de marchés domestiques plus favorables. Ces régions bénéficient également de mouvements de consolidation et d’une exposition à des zones en croissance. Les grandes banques de l’Europe occidentale pourraient revenir dans la course, mais ce n’est pas la tendance dominante aujourd’hui.

Dans l’industrie, quels axes favorisez-vous ?
Les sociétés exposées à la défense sont particulièrement bien positionnées, portées par les plans de relance nationaux et européens. L’électrification constitue également un thème central, soutenu par la demande croissante et par les politiques climatiques (par exemple Prysmian). L’Allemagne sera à suivre en raison de son plan de relance (avec par exemple Rheinmettal), mais les opportunités se trouvent également en Italie (avec par exemple Leonardo), en France (avec par exemple Exosens) et dans d’autres pays européens.

Et pour les petites capitalisations européennes ?
Le mouvement actuel repose sur des bases structurelles solides. Leur potentiel de rattrapage reste important. Elles bénéficient d’un afflux de capitaux, d’une sensibilité moindre aux tensions commerciales internationales ( deux fois moins exposées que les grandes capitalisation en moyenne) et d’une capacité à capter la croissance domestique européenne. L’Italie propose de nombreuses entreprises attractives (par exemple SOL SpA qui marche sur les platebandes d’Air liquide) ; l’Europe du Nord, quant à elle, offre des sociétés habituées à s’internationaliser rapidement du fait de la taille limitée de leurs marchés nationaux.

La géographie est-elle un déterminant central de vos choix ?
Non. La sélection se fait avant tout sur les fondamentaux et sur la dynamique bénéficiaire. Certaines zones peuvent temporairement concentrer les opportunités, mais à ce stade, nous ne privilégions pas une région en particulier de manière systématique.

Quelle feuille de route en découle pour les prochains mois ?
Il s’agit de rester positionné sur les trois secteurs moteurs — banques, industrie et technologie — tout en intégrant de manière sélective des services aux collectivités bénéficiant de la montée des besoins énergétiques. Il convient également de surveiller de manière étroite les chiffres d’inflation et du marché de l’emploi, qui orienteront la trajectoire des banques centrales. Enfin, le suivi des révisions bénéficiaires et des rotations intra-sectorielles reste essentiel pour ajuster rapidement l’allocation et capter les tendances en cours.

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Imen Hazgui