Interview de Fabrice  Couste : Directeur général de CMC Markets France

Fabrice Couste

Directeur général de CMC Markets France

Zone euro : tant que l'Allemagne n'aura pas un engagement fort de la France il n'y aura pas d'avancée sur la BCE ou les euro obligations

Publié le 05 Décembre 2011

Quel regard portez-vous sur la proposition formulée par le ministre des
finances Wolfgang Schäuble consistant à créer des fonds spéciaux pour les dettes excédentaires des pays de la zone euro ?

La proposition est intéressante sur le papier mais difficile à mettre en
œuvre concrètement. Par ailleurs, cette solution ne résout pas le problème
fondamental de l’endettement. Un niveau de ratio dette sur PIB de 60% est-il supportable ? Que fait-on des pays qui sont aujourd’hui endettées au-delà de 60%, à l’instar de l’Italie ?
Angela Merkel a par ailleurs réitéré son opposition à la création d’euro
obligations et donc à la possibilité de mutualiser les dettes.

Pensez-vous que cette solution ait été mise en avant pour parer à une
intervention plus massive de la BCE ?

Je pense que l’Allemagne veut effectivement absolument éviter un rôle accru
de la BCE sur le plan du rachat de titres de dette des Etats en difficultés.
Le pays refuse de tirer un trait sur les efforts qu’il a entrepris ces
dernières années pour se positionner sur le chemin de la vertu budgétaire.
L’Allemagne souhaite que ce chemin soit également emprunté par les autres
pays cœur de la zone. Et elle ne lâchera pas prise avant que cela ne soit le cas.

C’est pourquoi en attendant pour gagner du temps, des dispositifs sont
bricolés ici et là, à l’instar de celui proposé par le ministre des finances allemand, ou à l’instar également de l’idée d’adosser le FMI à la BCE pour venir en aide aux pays européens en difficultés.

Pensez-vous qu’à terme, la BCE n’aura pas d’autres choix que de mener cette
politique de quantitative easing tant souhaitée par les marchés ?

Oui je le pense. Cependant, il faut bien avoir conscience que cette
politique de rachat permet d’apporter de la liquidité mais ne résout en rien le problème de la solvabilité des Etats qui revient à se questionner sur la capacité à rembourser la dette contractée, et sur les conditions et les échéances de ces remboursements.

Pour vous, le vrai danger est que l’Allemagne soit finalement à son tour
attaquée…

Les spreads des pays cœur de la zone comme la France, l’Autriche, la
Belgique se sont beaucoup écartés par rapport au bund allemand en raison
d’une plus grande défiance par rapport à leur aptitude à assainir leurs
finances publiques.
Dernièrement, l’action concertée des grandes banques centrales des
puissances occidentales a permis une détente de ces taux. D’ailleurs la
dernière adjudication de l’hexagone s’est particulièrement bien déroulée,
permettant une levée de plus de 4 milliards d’euros.

L’accalmie peut très bien s’avérer de courte durée. Les interrogations
autour de la soutenabilité de certaines dettes et des programmes ambitieux
d’austérité à mettre en place perdurent.
Dans le cas ou les gages de crédibilités fournis par les Etats qui sont dans le viseur des marchés sont jugés insuffisants, les mêmes causes produiront les mêmes effets.

Nous ne sommes pas à l’abri de voir par un effet de contagion le taux
allemand se tendre significativement.

Quelle analyse faites-vous du rythme de la détente des spreads obligataires
?

Je comparerais le rythme de la détente sur les taux obligataires à celui que l’on a eu sur les marchés actions. Les indices européens ont gagné 10% à 15% en 4 jours.
Les intervenants de marché ont changé leur fusil d’épaule pour s’orienter vers plus de risque en raison d’un horizon qui se dégage quelque peu.

Cette détente n’est donc pas exagérée ?
Je pense que ce qui était exagérée c’était la prime de risque sur certains
Etats. Je ne pense pas qu’il ait été justifié que les taux à long terme de
l’Italie et de l’Espagne dépassent les 7%.
Pour le moment l’Italie n’est pas sortie d’affaires. Elle doit lever 200
milliards d’euros en 2012. Elle ne pourra pas le faire de toute évident à
des taux supérieurs à 6,5%.

La détente devrait-elle se poursuivre ?

Tant que l’on a des avancées et des paroles qui rassurent le marché.
Par ailleurs, un abaissement éventuel du taux directeur de la BCE jeudi 8
décembre devrait contribuer au maintien de cette détente. Nous attendons une diminution de ce taux d’un quart de point, voir d’un demi point, ce qui
devrait renforcer la liquidité.

Vous attendez-vous à une meilleure visibilité sur la situation à l’issue du
comité européen qui doit se tenir le 9 décembre ?

Paradoxalement je ne crois pas trop à la date du 9 décembre. A chaque fois,
le marché attend le sommet de la dernière chance avec des décisions fortes.
Mon sentiment est que nous sommes davantage dans une politique des petits
pas. Ce sommet est un nouveau petit pas pour permettre notamment à la France de montrer à l’Allemagne qu’elle a bien reçu son appel pour instaurer une certaine discipline budgétaire et devenir plus vertueux et qu’à présent Berlin peut lâcher du leste.
Tant que l’Allemagne n’aura pas un engagement fort de la France il n’y aura
pas d’avancée sur la BCE ou les euro obligations.

Propos recueillis par Imen Hazgui