Interview de Eric  Bertrand  : Directeur des gestions taux et crédit chez CPR Asset Management

Eric Bertrand

Directeur des gestions taux et crédit chez CPR Asset Management

BCE : nous ne nous attendons à aucune mesure additionnelle au cours des prochains mois

Publié le 19 Novembre 2013

De quelle manière avez-vous apprécié la dernière baisse du taux de refinancement de la BCE ?
Cette baisse de taux inattendue par beaucoup d’observateurs tend à répondre à plusieurs problématiques. Tout d'abord, s’il n’y a pas à proprement parler de risque de déflation, autrement dit de risque de baisse durable du niveau général des prix, puis des salaires, l’inflation est cependant très faible, bien au-dessous de la cible de 2% de la BCE, ce qui accroît le risque d’avoir, même temporairement, une baisse des prix. De plus une inflation moyenne basse suppose que certains pays ou secteurs ont une inflation négative. Enfin une inflation trop basse empêche d’avoir des taux réels aussi bas qu’il serait souhaitable. Ainsi, la BCE a souhaité élever les anticipations d’inflation pour assurer un meilleur fonctionnement de ses canaux de transmission de sa politique monétaire.

Par ailleurs, la Réserve fédérale américaine s’apprête à s’engager dans une politique de réduction du caractère accommodant de sa propre politique. Lorsqu’elle commencera à ralentir ses achats massifs de titres de dette sur le marché secondaire, les taux de la zone euro pourraient être emportés. Par sa baisse du taux directeur, la BCE a voulu insister sur le fait qu’une distinction était à faire entre l’Europe et les Etats-Unis. Comme avec la ligne directrice sur les taux directeurs, elle a cherché à mettre l’accent sur la décorrélation entre les deux rives de l’Atlantique : une vive remontée des taux dans la zone euro pourrait encore fragiliser la reprise actuelle.

La décision prise est enfin une manière indirecte d’agir sur le taux de change et d’éviter une trop forte appréciation de l’euro : même si elle ne communique pas beaucoup là-dessus la BCE y porte une grande attention.

Il est à noter que la BCE serait peut-être intervenue plus tôt si elle n’avait pas dû faire face à l’opposition de plusieurs membres du Conseil des gouverneurs : la baisse de l’inflation a permis d’emporter la décision.

Contrairement à d’autres, vous ne nous attendez pas à l'adoption de mesures additionnelles au cours des prochains mois…
Le taux des opérations principales de refinancement (refi) est à 0,25% et l’Eonia à 0,07%. La situation économique va tendanciellement mieux. Nous ne voyons rien qui pourrait conduire la BCE à réduire de nouveau ce taux. Il faudrait que l’environnement se dégrade pour voir un nouvel abaissement.

Qu’en est-il du taux de rémunération des dépôts ?
Il est aujourd’hui à 0 %. S’il devenait négatif, il faudrait, pour que cela ait une efficacité, en instaurant aussi une rémunération négative sur les réserves excédentaires, aujourd’hui non rémunérées. Ce serait un saut dans l’inconnu avec de possibles effets pervers ; alors même que l’économie s’améliore un peu, cela serait plus de nature à inquiéter.

Pour certains une telle piste serait présentement explorée par la Banque centrale ?
La BCE l’évoque chaque fois qu’un frémissement est ressenti au niveau de la courbe des taux, et il semble que les services de la BCE aient étudié la question. C’est une manière d’agiter le chiffon rouge, de faire peur (ou de rassurer…) et de garder les taux bas. Nous pourrions assimiler l’allusion qui en est faite au bouton rouge d’une arme nucléaire.

Quid d’un troisième LTRO ?
La BCE a signalé vouloir maintenir des taux directeurs à un niveau bas longtemps. Le taux de refinancement est à 0,25%. L’allocation illimitée à taux fixe est maintenue jusqu’au deuxième semestre 2015. Implicitement les banques pourront donc se refinancer de manière illimitée pendant 18 mois à 0,25%. Nous sommes d’avis qu’un troisième LTRO ne serait pas d’une grande utilité. Il n’aurait pas de retombée significative au niveau du redémarrage du marché interbancaire, du regain de croissance, ou de la distribution du crédit.

Au demeurant, les banques des pays cœurs et semi cœurs sont dans un processus de remboursement et cherchent à s’affranchir du refinancement de la BCE. Prêter de l’argent aux banques italiennes ou espagnoles pour qu’elles continuent à acheter des titres émis par leur Etat respectif n’est pas tellement de nature arranger les choses. Il faudrait, de plus, envisager des aménagements de collatéral pour cet LTRO alors que de nombreux ajustements ont déjà été faits.

Mais l’arrivée à maturité des LTRO de fin 2011 et début 2012 et l’arrivée des stress tests fait qu’un mur de dette pourrait se dessiner ?
Effectivement. Et la BCE mettra vraisemblablement tout en œuvre pour que cet obstacle soit franchi dans les meilleures conditions. Elle pourra alors procéder à des opérations de refinancement à un an, ou trois ans pour permettre un écoulement graduel des prêts souscrits. Ce serait plutôt un pilotage en douceur de la fin des LTRO précédents que l’actionnement d’un nouveau LTRO pour adresser les problèmes de fragmentation des marchés et de distribution des crédits, notamment aux PME et aux ménages des pays périphériques. Ce serait en somme un LTRO pour aider à la transition qui se déroulerait plutôt à la fin 2014.

Le sous-gouverneur de la Banque de France préconise comme autre solution de la part de la BCE la fin de la stérilisation du portefeuille de titres d’Etat acquis par la BCE dans le cadre de son programme SMP (184 milliards aujourd’hui) ?

Si la BCE achète des titres et qu’elle ne stérilise plus leur refinancement, alors cela devient du quantitative easing, ce à quoi les Allemands sont drastiquement opposés. Ces derniers considèrent, à juste titre si l’on s’en tient aux traités, que ce n’est pas le rôle de la BCE de financer les Etats. Eu égard à la levée du bouclier face à la baisse du taux de refi, il est très peu plausible qu’un consentement soit donné sur ce point.

Voyez-vous une autre voie par laquelle la BCE pourrait agir ?

Une autre piste serait d’abaisser le taux de réserves obligatoires comme début 2012, à 0,50%. Cela remettrait de facto 50 milliards d’euros dans le système sans qu’il y ait besoin de demande de refinancement ni d'ajustements des collatéraux. Toutefois cela ne serait pas d’une grande efficacité et pourrait même passer inaperçu.

Pour éviter pas que les taux de la zone euro se fassent emporter dans une euphorie de remontée des taux américains du fait de l’action de la Réserve fédérale, nous pourrions avoir une ligne directrice encore plus affirmée sur les taux directeurs, sans nécessairement donner des cibles ou des seuils macroéconomiques comme le chômage, dont on aurait du mal à sortir. Cela aiderait à ancrer les taux à des niveaux bas, en lien avec l’activité, à maintenir les anticipations d’inflation dans la courbe, et à donner de l’oxygène aux banques et aux investisseurs.

Que préconisez-vous dans ce cas pour réduire la fragmentation des marchés au sein de l’Union monétaire et harmoniser les conditions monétaires ?

Il faudrait que la BCE soit crédible dans son nouveau rôle de supervision du système bancaire. Elle doit faire une évaluation sérieuse de la qualité des actifs, des stress tests convaincants, montrant que les banques sont suffisamment capitalisées, et dans le cas contraire qu’elles seront soutenues d’une manière ou d’une autre. Elle ne doit pas refaire l’erreur des stress tests menés jadis par l’EBA. Certaines grandes institutions ont connu de graves défaillances alors qu’elles avaient franchi les stress tests haut la main.
Une fois que l’opération transparence sera faite, que les créances douteuses seront provisionnées, que le capital sera remis à un niveau suffisant, nous pouvons légitimement espérer que les banques se feront de nouveau confiance et se prêteront de nouveau entre elles. La distribution du crédit pourra alors se normaliser dans les pays en difficulté.

Mais il sera compliqué de faire prêter de nouveau des établissements à d’autres si l’on n’a pas, à côté d’une supervision unique, un mécanisme de résolution unique pour éviter une déflagration systémique si les banques « sautent »…

Les discussions entre les responsables politiques vont aller de l’avant. J’espère, et je pense, que l’on parviendra à un accord avant d’avoir un problème.

Est-ce que ce rôle de nouveau superviseur pourrait détourner la BCE de son rôle d’autorité de régulation monétaire ?
La BCE va forcément tenir compte de ce nouveau rôle. A l’issue des audits, des stress tests sur les actifs et sur la capacité de refinancement, si des lacunes persistent ou que des zones d’ombre apparaissent, la BCE sera amenée à intervenir le cas échéant pour prêter si la banque est solvable. Ce ne serait que le retour à l’organisation institutionnelle qui a longtemps prévalu dans pratiquement tous les pays, où la régulation était exercée par la banque centrale.

Une meilleure visibilité sur ce qui se passe dans les banques ne pourra qu’aider la BCE à améliorer la conduite de la politique monétaire. Au demeurant, après des années où la stabilité des prix a été la seule préoccupation des banques centrales (l’unique boussole, disait le président de la BCE) on s’est enfin aperçu que sans stabilité financière il n’y avait pas de stabilité des prix.

Les stress tests bancaires sont-ils pour vous une source de préoccupation ?

Nous savons que certains établissements ne réussiront pas ces stress tests. Il faut commencer à préparer pour ces banques des plans de sauvetage, de recapitalisation, de nettoyage, de fusion, de vente. Ce travail a l’air d’être pris à bras le corps par les autorités nationales. Récemment la Banque d’Espagne a demandé aux banques espagnoles de faire des calculs avec de nouvelles règles sur les créances non performantes. Nous risquons d’avoir une période de blackout assez longue. Des discussions entre la BCE, les banques, les Etats seront entreprises dans les coulisses. Au-delà des résolutions par anticipation, des solutions seront trouvées avant la publication même des résultats des stress tests.

Propos recueillis par Imen Hazgui