Interview de Frédéric Rollin : Conseiller en stratégie d'investissement chez Pictet & Cie

Frédéric Rollin

Conseiller en stratégie d'investissement chez Pictet & Cie

Nos principales convictions sur les marchés actions : actions de la zone euro à trois mois, actions japonaises à un an

Publié le 18 Novembre 2014

Pour commencer, quel regard portez vous sur les derniers chiffres économiques parus concernant le Japon qui sur le plan boursier n’a cessé d’être une de vos principales convictions pour cette année ?
Ces chiffres sont décevants. Les statistiques économiques qui ont suivi le relèvement de la TVA début avril de 3% ne sont globalement pas meilleures que celles qui ont été publiées après la hausse de la TVA en 1997 contrairement à ce sur quoi tablait le consensus.

Comment expliquez-vous cet état de fait ?
La surprise est venue principalement des inventaires des entreprises, qui avaient cru considérablement juste après la hausse de la TVA. La consommation a certes rebondi, ce qui est un bon signe pour la suite, mais moins que ce que le marché anticipait. Conséquence de la baisse du pouvoir d'achat des ménages, l'investissement résidentiel s'est fortement contracté.

Trois décisions phares ont été prises par Shinzo Abe après la parution des données économiques de ce matin sur le PIB : le report de la prochaine augmentation de la TVA, prévue initialement pour octobre 2015 à 2017 ; un nouveau plan de relance budgétaire, des élections anticipées en décembre. Qu’en pensez-vous ?
Nous saluons le report du rehaussement de la TVA, qui venait en contrepartie de la baisse des charges pour les entreprises en vue de les aider à améliorer le rendement sur capitaux investis.
Le souci de rééquilibrage des comptes passe en second rang dans les priorités du premier ministre, après la relance de la dynamique économie et la sortie de la déflation, ce qui n’est pas une mauvaise chose. Le Japon reste un pays largement créditeur du reste du monde. La dette japonaise est essentiellement détenue par des investisseurs domestiques japonais et bientôt par la Banque centrale. En cela il n y a pas lieu de craindre à un horizon visible une crise de la dette comme ce que l’on a connu pour de grands pays européens comme l’Espagne ou l’Italie. Un risque pourrait être une hausse trop rapide de l'inflation, mais nous n'en sommes pas là. Hors hausse de la TVA, la variation de l’inflation cœur est de l’ordre de 1%, soit encore largement en dessous de l’objectif de la BoJ. La banque centrale soutiendra donc encore longtemps une politique budgétaire expansive.
Il faut par ailleurs noter qu'une baisse des charges des entreprises n'est pour autant pas écartée.

Les élections anticipées ne sont pas de prime abord une bonne nouvelle à court terme en raison de l’incertitude soulevée. Néanmoins, il n’y a pas de grande inquiétude à avoir sur ce point, ce d’autant plus que Shinzo Abe a reporté la hausse de la TVA qui était une mesure très impopulaire. Il est fort probable que Monsieur Abe accroitra sa légitimité ce qui lui permettra de mieux mettre en œuvre les réformes requises à l’avenir.

A quelle suite des évènements vous attendez vous ?
Nous estimons ne pas être de nouveau entrés dans le cadre d’une récession prolongée. Le choc semble plus difficile à absorber que ce que l’on avait envisagé au départ. Néanmoins, la contraction du PIB ne devrait pas se prolonger sur le dernier trimestre de l’année. Nous avons une prévision de croissance de 1,4% pour 2015.

L’absence de réévaluation des salaires ne constitue t il pas un élément de préoccupation ?
Nous avons déjà eu une revalorisation des salaires, de l'ordre de 1%. Le mouvement est surtout perceptible au niveau des emplois à temps partiel, ou l'on constate une hausse supérieure à +3%. Ceci est à notre sens un excellent signe. Les salaires à temps partiel font en général l'objet de renégociations plus fréquentes, et reflètent donc mieux les conditions du moment. Nous pourrions donc être surpris positivement par la renégociation des salaires en mars et avril 2015.

Dans ces conditions vous ne faites que reporter vos anticipations ?
Nous sommes positifs à douze mois. Ce d’autant plus que les valorisations ne sont pas très élevées et que la Banque centrale a signalé dernièrement sa volonté d’intensifier son stimulus monétaire. L’abondance de liquidité devrait non seulement demeurer mais aussi s’accentuer. En cela la dépréciation du yen devrait continuer à soutenir les exportations japonaises.
Nous attendons néanmoins que les chiffres économiques s'améliorent avant de nous positionner.

A trois mois, votre conviction s’oriente davantage vers les actions de la zone euro ?

Absolument. Compte tenu des mauvaises données économiques, les attentes se sont corrigées à la baisse. Il est fort possible que les révisions aient été excessivement défavorables pour au moins trois principales raisons. Nous escomptons une reprise du crédit au sein de la région. La distribution du crédit est toujours en contraction sur 12 mois alors que les enquêtes réalisées par la Banque centrale européenne en la matière témoignent d’une amélioration. Les banques indiquent être prêtes à consentir des crédits et faire face à de la demande. A présent que les conclusions des audits et des stress tests ont été divulguées, les banques devraient avoir moins de pression pour agir.

Par ailleurs, nous pensons qu’il y a beaucoup de doute dans le marché quant à la capacité de la BCE de gonfler son bilan de manière suffisante. Nous sommes assez confiants de notre coté sur le fait que Mario Draghi réussira à maintenir le cap de direction qui a été fixé. Si un programme de quantitative easing sur emprunts d'état n’est pas à ce jour inscrit dans notre scénario central, sa probabilité est loin d'être négligeable.

Le troisième et dernier argument réside dans le redressement de la conjoncture mondiale, dans le repli du cours du pétrole et la force du dollar. Les actions européennes ont une sensibilité à la croissance des bénéfices importante. En raison d'un cycle économique faible et prolongé, les marges sont peu élevées contrairement à ce que l’on voit aux Etats-Unis. Il y a un potentiel de levier considérable au moment de la reprise de la croissance. Le consensus table sur une hausse des bénéfices de 13% contre 11% aux Etats-Unis. Ces estimations sont à mettre en comparaison avec la croissance envisagée de 1,2% au sein de la zone euro et de 3% au sein des Etats-Unis.

Quelles sont les thématiques à jouer ?

Nous avons identifié neuf grandes thématiques pour investir dans les actions : les biotechs, les génériques, l’eau, le bois, l’agriculture, les marques de prestige, la communication digitale, les énergies propres et la sécurité.

Pour ce qui est de cette dernière thématique qui peut procurer une croissance du chiffre d’affaires de 6% à 8% par an, elle est soutenue par trois grandes tendances. En premier lieu l’urbanisation. On considère qu’il va falloir construire ou rénover environ 8 millions de logements en Chine chaque année au cours des dix prochaines années. Cela entraine le développement d’immeubles avec accès sécurisés ou encore des alarmes anti-incendie. En second lieu, l’innovation informatique. Le cloud et bientôt l’essor des objets connectés favorise la montée en puissance du hacking et le foisonnement d’antivirus. En dernier lieu, la réglementation. Face à des produits plus nombreux, plus nouveaux et plus mondialisés, il y a un besoin de réglementer pour consommer en sécurité et un besoin de créer des sociétés pour aider à la mise en conformité de cette réglementation.

Quels sont les principaux risques identifiés pour les marchés actions à ce jour ?
Le risque de dérapage de l’économie chinoise en raison des perturbations que connait le marché de l’immobilier.
Le risque géopolitique, en particulier lié au conflit entre l’Ukraine et la Russie.
Le risque d’une remontée violente des taux européens dans la foulée de celle des taux américains. A ce jour les positions spéculatives sur les taux américains se sont énormément réduites contrairement au printemps 2013. Il faudrait pour voir une mauvaise réaction des marchés que la Fed agisse plus vite et plus fort sur la base d’un fort rétablissement du marché du travail et d’une poussée des tensions inflationnistes.

Quid des actions des pays émergents ?
Les obligations émergentes ont notre préférence aux actions émergentes. Les devises sont sous évaluées de près de 13%. Le rendement est de près de 6,5%. La croissance économique devrait repartir en 2015. Nous avons un intérêt tout particulier pour les obligations asiatiques, plus indépendantes financièrement donc moins sensibles à la hausse des taux par la Fed et plus exportatrices de biens manufacturés donc moins sensibles à la baisse des prix des matières premières.

Propos recueillis par Imen Hazgui