Interview de Eric  Turjeman  : Directeur des gestions actions et convertibles chez OFI Asset Management

Eric Turjeman

Directeur des gestions actions et convertibles chez OFI Asset Management

La ruée des investisseurs vers les actions de la zone euro pourrait s'arrêter à trois conditions

Publié le 24 Avril 2015

Quel regard portez-vous sur l’évolution des actions de la zone euro à ce stade de l’année ?
Les marchés des actions de la zone euro se situent à un plus haut historique alors que la région se caractérise par une dynamique faible, un chômage élevé, des problèmes structurels. La raison de cette déconnexion réside dans le fait que la croissance mondiale se situe au niveau requis pour maintenir les indices actions à la hausse.

Que voulez-vous dire ?
La croissance n’est pas trop forte dans la mesure où elle requière encore la mise sous perfusion des banques centrales pour éviter une retombée en récession et/ou en déflation. Ainsi une abondante liquidité continue d’être injectée sur les marchés qui ont pour conséquence de pousser les taux d’intérêt proches de 0, voire en dessous.
Parallèlement, la croissance est suffisante pour l’instant pour maintenir des résultats de sociétés européennes en amélioration permettant de conserver une distribution de dividende significative d’environ 3%.

Tant que nous resterons dans cette configuration, les investisseurs continueront à se diriger massivement vers les marchés actions pour récupérer davantage de revenus.

Cette ruée pourrait s’arrêter à trois conditions…

La première condition serait que les taux remontent, auquel cas l’écart de rendement se réduirait. Une autre condition serait que la croissance mondiale s’effondre, auquel cas la robustesse des bénéfices et la rémunération des actionnaires seraient mis en cause.
Une troisième condition serait que les marchés montent trop fortement de sorte que toute chose égale par ailleurs le rendement du marché actions ne soit plus le même.
Les deux premiers points ne sont pas anticipés pour l’instant. Nous n’avons pas encore validé le dernier point.

Qu’est ce qui vous fait dire que nous n’aurons pas de hausse des taux ?

Une hausse des taux directeurs de la Fed aura vraisemblablement lieu cette année. Ceci étant je pense que la Fed, à l’instar des autres grandes banques centrales, a été très échaudée par l’incendie planétaire qui s’est allumé en 2008. Entre deux maux, celui de revoir un incendie ou celui d’assister à une inondation, la Banque centrale américaine préfèrera le second mal tant qu’il n’y aura pas d’envolée de l’inflation quitte à devoir s’occuper des répercussions de cette inondation un peu plus tard.

Vous excluez donc toute remontée brutale des taux longs américains et tout effet de contagion sur les taux longs européens ?
Au regard des considérations économiques aujourd’hui à notre disposition, tel est le cas.
Au sein de la zone euro, de véritables raisons structurelles sont identifiées qui plaident pour la persistance durable d’une inflation basse: le vieillissement de la population, la mondialisation, la montée en puissance de la technologie. De ce fait je ne table pas sur une augmentation des taux avant au moins 18 mois.

Voyez-vous pour autant une compression supplémentaire des taux souverains européens. Actuellement 42% du gisement de ces taux se situent en dessous de 0. Cette proportion est-elle amenée à s’amplifier ?
Je m’attends à ce que le taux à dix ans allemand, comme le taux à dix ans suisse, devienne négatif et à ce qu’il y ait un rétrécissement supplémentaire des spreads par rapport à ce taux de référence sous la puissante action de la BCE. 60 milliards de titres de dette doivent encore être acquis tous les mois jusqu’à septembre 2016.

D’aucuns alimentent des doutes sur la poursuite du déploiement du programme de QE par la BCE qui pourrait conduire à un relèvement des taux. Qu’en pensez-vous ?
Je ne suis pas inquiet à ce sujet. La BCE trouvera toujours du papier à acheter si besoin.

Qu’est ce qui pousse à affirmer que la croissance mondiale ne devrait pas être revue à la baisse ?
Même si un petit ralentissement est perceptible, la croissance de la Chine est toujours prévue entre 6% et 7%, la croissance des Etats-Unis autour de 3%, la croissance dans la zone euro proche de 1,5%.
Ces différentes estimations laissent légitimement supposer que la croissance mondiale s’établira autour de 3% même si par ailleurs certains grands pays émergents sont clairement affectés, comme le Brésil et la Russie. L’Inde est censée connaitre la plus importante croissance dans le monde cette année.

Cette croissance mondiale conduit les analystes à envisager un accroissement des profits pour les sociétés européennes de 15%. Cela vous parait-il plausible ?

Je pense que cet objectif est tout à fait atteignable. A la lecture des publications des résultats pour le premier trimestre 2015, on devine que l’effet devise sera très positif pour les sociétés européennes.

Cet objectif pourrait-il être dépassé ?

Pour la première fois depuis huit ans, nous observons une révision à la hausse des analystes. Cela pourrait se poursuivre. Nous pourrions in fine atterrir au dessus de ces 15%.
Une expansion des multiples additionnelle sur le segment des actions de la zone euro pourrait-elle avoir lieu ?
Par l’effet du QE de la BCE, cette hypothèse est vraisemblable. Le niveau bas des taux peut entretenir une expansion très forte des PE.

Les opérations capitalistiques devraient constituer un appui supplémentaire au rallye ?
Face à une croissance organique compliquée, la croissance extérieure est d’autant plus recherchée. Elle est favorisée par des bilans solides, des valorisations qui ne sont pas excessives, et des taux d’endettement très avantageux. Le mouvement pourrait également être nourri par des sociétés américaines dont le pouvoir d’achat de sociétés européennes a été accentué par la vive appréciation du dollar.
L’excès de liquidité disponible pourrait également donner lieu à une multiplication des opérations de rachat d’actions.

Dans une mesure comparable à ce qui a été vu aux Etats-Unis ?

Je ne le pense pas. Les rachats d’actions ne sont pas forcément bien admis par les investisseurs européens qui ont tendance à se dire que les sociétés qui procèdent à ces opérations le font par défaut, faute d’avoir d’autres idées d’investissement. Cela est assimilé à une certaine vulnérabilité dans la stratégie. Les dirigeants européens se refreineront quelque peu dans cette démarche.
Nous devrions plus faire face au versement de dividendes exceptionnels.

La hausse des marchés ne devrait-elle pas à un moment ou à un autre entrainer un fléchissement du rendement procuré ?

On peut le penser. De 3% le rendement pourrait descendre à 2,5%-2%. Dans ce cas, l’attractivité du segment s’en trouvera amoindri.

A quel horizon peut-on escompter ce recul du rendement ?
Pas tout de suite. Les actions de la zone euro devraient encore rebondir avant de constater ce phénomène de repli. Il pourrait apparaitre en fin d’année.

Jusqu’à quand le segment des actions de la zone euro pourrait il connaitre un rallye ?
A priori jusqu’à ce qu’un éminent membre de la BCE déclare qu’il est temps de relever les taux directeurs. Ce moment n’est pas pour tout de suite. Il pourrait éventuellement survenir en 2016 dans le cas d’une notable amélioration de la toile de fond macroéconomique.

Quels principaux risques identifiez-vous ?
Hormis les risques géopolitiques que l’on ne sait pas maitriser, le plus grand risque est celui d’une erreur de communication. Aujourd’hui personne n’anticipe que la BCE pourrait ne pas être accommodante au cours des 18 mois à venir.
Nous pourrions avoir un redressement des indicateurs européens plus rapide que prévu, des indicateurs PMI qui approchent le niveau de 60 non seulement en Allemagne mais aussi en Espagne, en Italie et en France. Dans ce cas, nous pourrions avoir une erreur de langage de la BCE. Il suffira d’une petite phrase mal prononcée, pour que l’on ait une prolifération d’avertissements sur la hausse des taux.

Quelles sont vos principales thématiques d’investissement ?

Nous mettons l’accent sur les sociétés européennes exportatrices qui ont un chiffre d’affaires en dollar.
Nous n’avons pas de biais sectoriel ou de biais de style.
Nous sommes revenus sur plusieurs banques de la zone euro qui pourraient être portées par un retournement du cycle.
Nous sommes prudents à l’égard des valeurs défensives qui ont été tirées quasi exclusivement par la baisse des taux. Ces valeurs auront du mal à tenir sur le long terme lorsque les taux s’apprécieront.

Propos recueillis par Imen Hazgui