Interview de Wilfrid Galand : Directeur du conseil en investissements au sein de la Banque Neuflize OBC

Wilfrid Galand

Directeur du conseil en investissements au sein de la Banque Neuflize OBC

La menace d'un krach obligataire est limitée

Publié le 05 Juin 2015

Quels principaux enseignements tirez-vous de la réunion de la BCE et de la conférence de presse de son responsable ce jeudi ?
Il ressort que la BCE a pleinement conscience que les actions d’assouplissement quantitatif menées dans une large mesure et de manière déterminée ont une influence sur la volatilité des marchés, en particulier dans le compartiment des taux. Le programme de quantitative easing sera maintenu en dépit de cette nouvelle configuration afin d’endiguer les tensions déflationnistes et de ramener l’inflation à l’objectif en dessous mais proche de 2%. Par ailleurs, des effets positifs de la politique monétaire expansionniste qui est menée se sont déjà fait ressentir dans l’économie à travers une légère remontée de l’inflation et une poursuite de la croissance de l’activité.

Quelle lecture faites-vous de la ligne directrice dans le communiqué de la BCE selon laquelle les taux ont vocation à demeurer bas durablement ?

Ce retrait fait partie d’une stratégie adoptée également par la Réserve fédérale américaine qui consiste à redonner au marché sa responsabilité et à faire disparaitre l’aléa moral qui préexistait jusque là.

Que voulez-vous dire ?

En indiquant que la BCE avisera en fonction de l’évolution des paramètres économiques et financiers à venir, l’idée est de redonner aux investisseurs le sens du raisonnement financier. La volonté est clairement de pousser ces derniers à ne plus regarder la banque centrale avec une espèce de fascination terrorisée en raison d’une éventuelle toute puissance à paramétrer les marchés financiers et de remettre au devant de la scène l’objectif premier de stabilité des prix.

A la suite des propos de Mario Draghi, nous avons eu une journée assez spectaculaire hier sur le marché des taux. Ainsi le Bund à dix ans a atteint 0,9% et l’OAT à 10 ans 1,2%. Comment l’expliquez-vous ?

Après la conférence de presse de Mario Draghi, une interrogation a été soulevée dans le marché avec plus d’acuité, à savoir si compte tenu des retombées favorables perceptibles au niveau de l’inflation et de la croissance, la BCE ne va pas finalement arrêter son actuelle politique monétaire plus tôt que prévu. C’est ce qui explique une hausse supplémentaire des taux vers des niveaux plus normalisés, correspondant au taux de croissance anticipé avec un peu d’inflation.

Quel regard portez-vous sur la violence de la remontée des taux depuis un mois et demi. Le Bund à dix ans est passé de 0,07% le 20 avril à 0,9% mardi soir, soit le plus fort sursaut depuis 1998 ?

Sur le plan fondamental la hausse des taux se justifie totalement par l’éloignement du risque majeur de tombée en déflation de la zone euro compte tenu du regain de la croissance, attendue à 1,5% en fin d’année, et malgré le maintien d’une dette importante à l’intérieur de la région. Le rebond a cependant été exacerbé par des considérations d’ordre technique. Nous avions traditionnellement deux catégories d’acteurs essentiels sur les marchés de taux, d’une part les banques centrales et d’autre part les grandes banques d’investissement qui incarnaient une espèce de sagesse de long terme des marchés qui se mettent en face des mouvements violents pour les amortir. Ces derniers acteurs intermédiaires ne jouent plus leur rôle de teneurs de marché avec la même vigueur du fait du durcissement des contraintes réglementaires auxquelles ils sont assujettis.

A quelle suite des évènements vous attendez-vous ?
Cette volatilité devrait perdurer un moment. Il est probable que nous assistions à des corrections sur les niveaux atteints dès lors que nous allons entrer dans une phase où l’offre de dette sera plus réduite et où nous aurons toujours une vive demande émanant de la BCE.

D’aucuns avancent un niveau d’équilibre du Bund à dix ans de 1% ?

Le régime de volatilité rend la lisibilité du niveau d’équilibre très compliquée. Je serais étonné que le Bund à dix ans continue son ascension spectaculaire sans essoufflement. Il pourrait retomber par exemple vers 0,5% ou 0,6% même si le temps des taux quasi nuls sur de telles échéances est probablement révolu.

L’évolution de cette volatilité doit-elle constituer une source d’inquiétude ?

Même si nous sommes convaincus que la BCE et la Fed veilleront à ce que les marchés ne soient pas déstabilisés par des fluctuations trop brutales, et que de ce fait la menace d’un krach obligataire est limitée, il y a lieu de rester vigilants. Les mouvements peuvent être massifs sur le marché des taux notamment en raison d’une liquidité très abondante. Nous voyons parfois des effets brusques de recorrélation des classes d’actifs obligations et actions qui atténuent drastiquement le jeu d’amortissement classique des produits de taux dans les portefeuilles.

Selon vous, cette volatilité si elle reste maitrisée peut se concevoir comme salutaire ?

Elle évite d’être trop complaisants et permet de limiter les erreurs.

Cette volatilité est-elle surprenante ? L’attendiez-vous en fin d’année dernière ou en début d’année ?

Comme la majeure partie des autres acteurs du marché, nous pensions que du fait de la forte présence des banques centrales, cette volatilité si elle avait lieu serait cantonnée. Nous ne l’escomptions pas à ce moment de l’année mais plutôt au cours du quatrième trimestre, et pas avec cette même intensité.

L’enclenchement de la remontée des taux directeurs par la Fed pourrait elle raviver encore plus cette volatilité des taux ?

Cela n’est pas à exclure.

Finalement, qu’implique cette volatilité en termes d’allocation d’actifs ?

Parce que les obligations investment grade jouent beaucoup moins leur rôle d’amortisseur dans les portefeuilles, il ne faut pas hésiter à recourir au cash même si le monétaire procure si ce n’est une rémunération négative, une rémunération égale à 0. La constitution de cette poche de cash autorisera une capacité à saisir des opportunités intéressantes découlant de la propagation de la volatilité à d’autres classes d’actifs ou du comportement contrariant de certaines poches d’actifs comme celui des petites et moyennes valeurs européennes.

Propos recueillis par Imen Hazgui