Interview de Bernard Aybran : Directeur de la multigestion chez Invesco Asset Management

Bernard Aybran

Directeur de la multigestion chez Invesco Asset Management

Zone euro : un Bund au dessus de 1,10% pourrait remettre en cause l'équilibre actuel des marchés

Publié le 08 Juin 2015

Quel regard portez-vous sur la brusque hausse des taux souverains européens ces dernières semaines ?
La vive remontée a surtout concerné les taux des pays cœur de la zone euro, Allemagne, France, Pays-Bas… Les spreads des taux des pays périphériques ont plutôt eu tendance à baisser.
L’ampleur du mouvement a surtout concerné la maturité supérieure à 4-5 ans. Le mouvement sur la partie plus courte de la courbe a été peu perceptible. Sur le front monétaire, l’eonia a même continué à diminuer à -0,12%.
Ce faisant, la physionomie des performances ne correspond pas forcément à l’échelle de risque que l’on peut avoir à l’esprit s’agissant du marché obligataire.

Avez-vous été surpris par le mouvement ?
Je pense sincèrement que cette hausse a largement surpris le marché.

Quelle interprétation en faites-vous ?

Le principe de la hausse n’est pas étonnant. Vu la rapidité avec laquelle les taux avaient baissé, un retour à la normal est assez logique. En revanche, une interpellation porte sur la vitesse de l’ajustement.

Sur le plan fondamental, d’aucuns justifient la remontée des taux par l’amélioration de la conjoncture au sein de la zone euro et l’élévation de l’inflation ?
L’éloignement du risque déflationniste peut effectivement sous tendre la remontée des taux. Cependant nous pouvons nous interroger sur le timing. Le prix du pétrole a connu son plus bas niveau mi mars. La hausse des taux a débuté un mois plus tard.
L’insuffisance de la liquidité constitue sans doute un paramètre crucial dans l’explication de la physionomie de la hausse des taux. Sur le marché des futurs, les grandes transactions font bouger de manière beaucoup plus sensible les prix des actifs. C’est ce qui explique la sur-réaction importante.

Êtes-vous inquiet par la violence du mouvement ?
Pas à ce stade. Tant que la hausse des taux est synonyme de reprise économique et de reflation, elle n’est pas une catastrophe. Ce n’est que si elle induit dans les esprits un ralentissement et une accentuation du risque de déflation que l’inquiétude pourra se justifier.
Au demeurant, la BCE ne peut pas se permettre de laisser les taux remonter de manière trop significative. Les taux espagnols et italiens sont revenus au niveau qui prévalait avant l’annonce du QE de la BCE, au dessus de 2%.

D’aucuns avancent un taux d’équilibre pour le Bund à dix ans de 1%. Qu’en pensez-vous ?

Le taux d’équilibre du Bund pourrait se situer entre 1% et 1,10%. Nous n’en sommes pas loin.
Un taux Bund au dessus de 1,10% pourrait à mon sens remettre en cause l’équilibre actuel des marchés et les scénarii établis par beaucoup d’acteurs pour le reste de l’année. L’analyse de la valorisation des actions et les perspectives bénéficiaires pourraient être mises à mal, et les flux de capitaux escomptés pourraient s’avérer différents.

Pour certains, le risque de dérapage sur le marché obligataire pourrait être accentué par le dossier grec et le comportement à venir de la Fed sur ses taux directeurs ?
Vraisemblablement la Fed devrait relever ses taux directeurs cette année. La visibilité donnée par la Banque centrale devrait permettre de faire en sorte que son action se déroule sans grande nervosité.
Le problème de le Grèce dure maintenant depuis plusieurs années. Il est devenu comme un bruit de fond auquel le marché prête moyennement attention. Si la Grèce devait sortir de la zone euro, cela créerait un précédent qui viendrait invalider le fait que la zone euro est intangible et compromettre des hypothèses acquises pour tous les Etats membres de la zone. Une instabilité en découlerait certainement. Même si le risque est important, sa probabilité de survenance est faible.
Le prix du pétrole constitue un autre facteur susceptible de générer un emballement des taux européens.
Ceci étant, le danger véritable réside dans l’auto entretien des surréactions des marchés étant donné la faiblesse de la liquidité. A partir d’un certain niveau des taux, des stop loss sont activés qui dès lors contribuent à accentuer davantage le mouvement de hausse.

Quelles incidences cette remontée des taux a-t-elle eu dans votre allocation d’actifs ?
Cela fait plusieurs semaines que nous nous efforçons de réduire notre sensibilité en diversifiant nos sources de duration notamment sur des actifs en dollar plus que sur des actifs en euro et sur du crédit plus que sur les actifs gouvernementaux. Même si nous ne nous attendions pas à une remontée violente des taux, nous admettions qu’il y avait plus à perdre sur la classe d’actifs qu’à gagner.
Nous nous sommes également marginalement positionnés sur des obligations britanniques et émergentes.
Même si le monétaire coute de l’argent, nous avons pour certains de nos portefeuilles les plus agressifs accru la poche de liquidité.


Propos recueillis par Imen Hazgui