Interview de Philippe  Weber : Responsable Etudes et Stratégie de CPR Asset Management

Philippe Weber

Responsable Etudes et Stratégie de CPR Asset Management

Les Banques centrales ont-elles droit à l'erreur ?

Publié le 24 Juin 2015

Aux Etats-Unis, dans la zone euro, dans d’autres pays encore, les banques centrales jouent en ce moment un rôle prépondérant, ont-elles droit à l’erreur ?
Non, bien sûr. Cela dit, il est rare qu’elles aient droit à l’erreur ; on espère tout de même qu’elles se trompent le moins souvent possible.
Mais il est vrai que la question prend tout son sens pour la période actuelle (en fait, depuis le déclenchement de la crise voici six ou sept ans), en comparaison des situations plus normales que l’on connaissait auparavant, en tout cas depuis plusieurs décennies. Dans ces temps monétairement et financièrement un peu plus paisibles, il s’agissait de savoir si l’on montait le taux directeur en juillet ou en août, si l’on s’arrêtait à 10 % ou à 10,50 %. Questions importantes, certes, mais la différence de résultat était faible ; il s’agissait de réglages fins, tout au plus risquait-on de perdre quelques fractions de pourcentage de croissance ou de subir quelques fractions de pourcentage d’inflation en plus si on se trompait dans un sens ou dans l’autre - encore ces désagréments étaient-ils passagers.

On ne se demande pas aujourd’hui quand remonter le taux directeur et de combien ?
La multiplicité des débats autour de la date du premier relèvement en six ans de la part de la Réserve fédérale montre que si ! Et on débat aussi de la taille du bilan, de comment le réduire et, en attendant, de comment monter les taux avec une liquidité bancaire surabondante, et quels titres acheter. Il y a plus de questions parce qu’il y a plus d’outils, c’est là quelque chose de normal. Toutefois, la nervosité des marchés à la simple approche d’un relèvement de taux qui devrait être somme toute banal montre que les risques sont plus grands.
Qu’on se souvienne également des turbulences qui ont suivi, dans le monde entier, l’annonce par M. Bernanke, alors président de la Réserve fédérale, que la banque centrale allait bientôt arrêter ses achats de titres – il ne faisait pourtant qu’énoncer une évidence. Les banques centrales doivent aujourd’hui non seulement prendre les bonnes décisions mais les prendre sur tous leurs outils et surtout gérer les effets secondaires. Il n’est sans doute guère plus important qu’il y a quinze ans que le taux monte en juin ou septembre – même si on est fondé à trouver qu’attendre six mois de plus commencerait à être risqué. Néanmoins, il n’est pas neutre que les marchés s’en émeuvent à ce point – signe sans doute de la financiarisation croissante de l’économie.

Bien « gérer », comme ont dit, le relèvement de taux est donc aujourd’hui le principal problème ?

C’est le cas aux Etats-Unis. La macroéconomie s’est nettement rapprochée d’une situation normale, malgré des faiblesses encore apparentes. Il convient donc de commencer à normaliser la politique.Toutefois, si cela provoque une trop forte hausse des taux longs ou une baisse marquée des actions, ce sera contreproductif. Il faudra ensuite « gérer » correctement le retour du bilan à une taille moins extraordinaire – mais on n’en est pas là ! La situation au Royaume-Uni est à peu près comparable, avec quelques mois ou quelques trimestres de retard. Les questions ne sont pas les mêmes dans la zone euro : ici, l’économie commence seulement à démarrer véritablement, les risques de déflation étaient encore très présents l’hiver dernier et la BCE vient à peine de mettre en place son programme d’assouplissement quantitatif – même s’il ne faut pas négliger toutes les mesures exceptionnelles prises depuis 2008. Un des taux directeurs et le taux au jour le jour sont négatifs, et tout cela dans un environnement hétérogène du point de vue des systèmes bancaires ou des déficits budgétaires, avec la menace de défaut d’un des Etats participants…
Mieux vaut ne pas se tromper, l’enjeu n’est plus du tout marginal.

A-t-on des exemples d’erreurs graves de la part de banques centrales ?

Bien sûr ! On en citera deux, suffisamment anciens pour éviter toute polémique inutile. La réaction de la Réserve fédérale à la crise de 1929 est jugée catastrophique de la part de la quasi-totalité des économistes, des keynésiens aux monétaristes les plus orthodoxes : en conduisant une politique restrictive plutôt que d’ouvrir grand toutes les vannes de la liquidité, elle a aggravé la crise. Un autre exemple est le comportement de la Reichsbank face au déficit budgétaire de la République de Weimar : en acceptant (ou en étant contrainte) de le financer sans limite, elle a laissé s’installer une inflation qui a atteint 80 000 %... en un mois ! Espérons que même la situation compliquée que les banques centrales affrontent aujourd’hui ne font pas courir de tels risques…

CPR AM