Interview de Gérard Moulin : Gérant actions chez Amplegest

Gérard Moulin

Gérant actions chez Amplegest

Nous avons au moins trois à quatre années de beau temps devant nous sur le marché des actions de la zone euro

Publié le 08 Juillet 2015

Quels commentaires vous inspirent la forte performance des actions de la zone euro à l’issue des trois premiers mois de l’année ?
Nous avons eu de toute évidence un fort soutien venant de la vive dépréciation de l’euro. Cela a grandement favorisé les sociétés exportatrices comme Safran, Airbus, Valeo.
Nous avions commencé à joué cette thématique dès l’été 2014. Nous considérions que la parité de l’époque à 1,38 ne reflétait pas le différentiel de croissance économique entre la zone euro et les Etats-Unis. L’annonce puis le déploiement du programme de quantitative easing de la Banque centrale européenne a conforté cette conviction.

N’êtes-vous pas surpris par l’amplitude du rebond en si peu de temps ?

La hausse est tout à fait normale eu égard au choc positif provoqué par la dépréciation de l’euro contre le dollar. Il n’y a pas eu d’exagération.
Le marché a suivi l’évolution de la parité qui est passée de 1,38 à 1,04. Une telle évolution a eu un double effet d’aubaine : au niveau du compte de résultat et en termes de compétitivité.
Pour une société comme Airbus, une telle dépréciation de la devise si elle devait se maintenir devrait permettre un doublement du résultat d’exploitation en trois ans.
De nombreuses sociétés européennes se sont retrouvées en capacité de participer et de remporter certains appels d’offre alors qu’elles ne pouvaient pas le faire auparavant malgré les gains de productivité effectués.

Quel regard avez-vous à présent sur le niveau des valorisations ?

Le marché de l’Eurostoxx 600 peut paraitre quelque peu cher. Cependant si l’on s’intéresse au segment des valeurs de qualité qui offrent une grande visibilité, les valorisations sont encore attractives.
Selon vous, par rapport à 2014, le marché semble faire le tri entre les valeurs...
Les plus belles performances reposent sur des considérations rationnelles. Elles concernent les sociétés dont la valorisation était raisonnable et qui ont les meilleurs perspectives. Le stock picking a rapporté.

Avec quel sentiment débutez-vous le second semestre de l’année ?

Malgré l’existence de certaines zones d’ombre manifeste, je reste positif pour les actions de la zone euro à moyen et long terme. Les bénéfices s’inscrivent dans une tendance haussière pour la première fois depuis plusieurs années.
La variation de taux de change n’a pas encore produit ses fruits sur toutes les sociétés. Chez certaines comme Safran ou Airbus il y avait des couvertures de change importantes.
Par comparaison à d’autres classes d’actifs traditionnelles, les actions de la zone euro présentent un rapport rendement risque attractif. Les taux européens ont tellement baissé qu’ils sont devenus très risqués. En témoigne les pertes subies par certains investisseurs à la suite de la violente remontée du Bund à dix ans de 0,06% à 1% en l’espace de deux mois.

Ayant vocation à rester dans un environnement désinflationniste voire déflationniste dans certains secteurs d’activité ou pays, cette situation devrait perdurer.

Par ailleurs, la thématique des fusions acquisitions joue à plein. Nous l’avons vu dernièrement avec des sociétés phares comme Club Med, Alcatel, Alstom, Lafarge. En France, nous avions 7 valeurs dans les 100 premières capitalisations mondiales. Nous n’en avons plus que 4.
D’autres OPA sont dans les tuyaux notamment parce que les sociétés chinoises vont vouloir mettre la main sur des savoir-faire qu’ils n’ont pas encore. L’illustration en est faite avec l’acquisition de l’italien Pirelli par ChemChina.

Nous avons au moins trois à quatre années de beau temps sur le marché des actions de la zone euro devant nous mais avec des perturbations.

Quelle lecture faites-vous de la phase de consolidation qui s’est ouverte en avril ?

A mon sens, la phase de consolidation s’explique par deux facteurs principaux. L’incertitude autour du dossier grec et la crainte liée à la remontée des taux aux Etats-Unis.
Nous sommes d’avis que nous devrions avoir à la rentrée une hausse des taux par la Fed compte tenu de l’évolution des salaires horaires dans les secteurs à main d’œuvre non qualifiée. Or le consensus ne table pas sur une intervention en septembre. Nous pourrions avoir une surprise négative sur ce plan. Le marché des actions américaines est le marché leader au niveau mondial. Si les indices Dow Jones et S&P 500 ne tiennent pas, nous pourrions avoir des secousses en Europe.
Ceci étant, d’un autre coté, l’augmentation des taux par la Fed aura pour conséquence une dépréciation supplémentaire de la parité euro dollar qui pourrait tomber à 1. Ce paramètre sera porteur a posteriori pour le marché européen.

Un dénouement défavorable du dossier grec ne vous fait-il pas craindre un effondrement du marché ?
Si le dossier se dénoue positivement, le marché finira par oublier la Grèce assez rapidement et par se concentrer de nouveau sur la hausse des taux aux Etats-Unis qui aura un effet positif sur la parité euro dollar.
Si le dossier débouche sur un échec des négociations, l’attention sera moins axée sur les Etats-Unis. Cependant l’accentuation du risque de contagion dans l’esprit des investisseurs et notamment des investisseurs étrangers aura également pour impact un repli de l’euro contre le dollar. C’est d’ailleurs ce que nous voyons en ce moment.

D’aucuns redoutent un effet de contagion sur d’autres grands pays périphériques comme le Portugal ?

Le Portugal n’a rien à voir avec la Grèce. Le pays a pu rembourser 2 milliards d’euros de manière anticipée. Il attire de nouveau des capitaux. Il est exportateur. Il créée des emplois.

A quels profils vous intéressez-vous tout particulièrement dans votre allocation d’actifs ?

Nous nous intéressons à des groupes qui ont des barrières à l’entrée fortes, qui ont pu s’internationaliser dans leur activité. Ainsi la première position du fonds que je gère est la société espagnole Gamesa spécialisée dans les éoliennes. Celle-ci fait 80% de son chiffre d’affaires en dehors de la zone euro.

L’année 2014 s’est soldée par une sous performance par rapport à votre indice de référence. Comment l’expliquez-vous ?

2014 a été une année très particulière. Très peu de fonds, environ 10%, ont battu l’indice.
Le marché était inquiet sur les valeurs leaders dans leur secteur et a surtout recherché des valeurs cycliques décotées au premier semestre.

Avez-vous été poussé à changer votre stratégie d’investissement ?

Aucunement. C’est d’ailleurs, l’accumulation des dossiers de l’année dernière qui a engendré la très bonne performance de ce premier semestre.
Depuis le début de l’année le fonds a su répliquer 108% des phases de hausse et 44% des phases de baisse.

Il ressort dans votre allocation géographique que vous avez très peu de valeurs françaises. Est-ce délibéré ?

L’allocation géographique n’est pas le résultat d’une approche top down. Pendant longtemps le fonds était très français, positionné sur les maisons de retraite leader dans leur secteur comme Orpéa, les valeurs technologiques comme Ingenio, ou encore les valeurs aéronautiques. Progressivement nous avons entré des équipementiers automobiles allemands, plusieurs sociétés industrielles de taille moyenne allemandes, comme Gea, Krone, Kone qui ont un très bon pricing power auprès des grands distributeurs.

Cela ne signifie pas qu’il y a moins d’opportunités à saisir sur le marché français ?

Non.

Un enjeu de plus en plus évoqué sur les marchés réside dans l’affaiblissement de la liquidité sur le marché secondaire. Certains acteurs ont du mal à revendre un volume de titres massif en peu de temps. Ce point est il source de préoccupation ?

Le problème de liquidité concerne surtout le marché secondaire obligataire.
Une manière de gérer le risque d’illiquidité est de ne pas toucher aux small caps. Nous ne descendons pas en dessous de 500 millions d’euros de capitalisation.

Quel poids ont les actions de la zone euro dans votre fonds ?
Nous maintenons le cap sur une pondération importante en Europe. Le fonds est investi à hauteur de 99,8%. En dehors de la zone euro, 2% des encours sont positionnés sur des actifs suisses.
Je ne tiens pas compte du dossier grec dans mon allocation à l’heure actuelle.


Propos recueillis par Imen Hazgui