Interview de Cyrille Collet : Directeur de la gestion actions chez CPR Asset Management

Cyrille Collet

Directeur de la gestion actions chez CPR Asset Management

Trois principales menaces pèsent aujourd'hui sur la dynamique haussière des actions de la zone euro

Publié le 10 Juillet 2015

Quels commentaires vous inspire le bilan du premier semestre sur le marché des actions de la zone euro ?
La forte remontée à l’issue du premier trimestre de l’année-de plus de 20%- s’explique par plusieurs considérations : l’activation du programme de quantitative easing de la Banque centrale européenne, la forte chute du cours du baril de pétrole, la vive dépréciation de l’euro et un frémissement de la croissance au sein de la zone euro laissant présager en arrière plan une amélioration des profits des entreprises européennes.

La consolidation apparue en avril se justifie tout d’abord par le fait que la vitesse du rallye a naturellement nécessité un temps de pause. A cela se sont ajoutés des craintes au sujet de l’impact négatif du dollar fort sur les bénéfices des entreprises américaines-les publications des résultats du premier trimestre n’ayant pas été très bonnes- le ralentissement plus prononcé que prévu de la dynamique chinoise et bien entendu l’incertitude grandissante au sujet du dénouement du dossier grec.

La consolidation de départ est ainsi devenue un repli. Pour l’instant nous demeurons sur des performances positives. L’Eurostoxx 50 enregistre encore un gain de plus de 7%.

Quelle perception avez-vous des trois menaces identifiées aujourd’hui : sortie éventuelle de la Grèce de la zone euro, atterrissage brutal de la Bourse chinoise, correction importante de la Bourse américaine ?

Selon nous, la probabilité d’une sortie de la Grèce de la zone euro est actuellement importante du fait de l’aléa moral qui naitrait d’une concession au gouvernement grec à l’ensemble de ses revendications. Cet évènement provoquerait assurément un regain de volatilité sur le marché des actions de la zone euro à horizon 3 mois. Je ne pense pas pour autant qu’il entrainera un effondrement. La correction additionnelle pourrait égaler les 10% à 15%. Les fondamentaux macroéconomiques et microéconomiques étant relativement solides, la dynamique haussière du marché devrait reprendre dans les 6 à 12 prochains mois.
Les autorités européennes s’efforceront de faire en sorte que cette sortie éventuelle se fasse dans de bonnes conditions ne serait ce que parce que les conséquences désastreuses qui ont fait suite à la déroute de la banque d’investissement Lehman Brothers en septembre 2008 sont clairement dans les esprits. Sans oublier qu’il existe en sous jacent de cette sortie des enjeux géopolitiques très sérieux.

S’agissant de la Chine, la Bourse de Shanghai perdu 30% depuis le début de l’année. Le mouvement baissier a quelque peu été colmaté mais certains redoutent qu’il ne reprenne de plus bel. Est-ce pour vous une source de préoccupation ?

La Bourse de Shanghai a perdu 30% après avoir bondi de 150%. Plus que l’ampleur du repli, ce qui est ennuyeux avec la Bourse chinoise c’est le surcroit de volatilité. Cela soulève un risque systémique dans la mesure où 80% des porteurs de parts en Chine sont des clients finaux. Ce ne sont donc pas des investisseurs institutionnels qui ont une démarche de long terme. 90 millions de chinois ont ouvert un compte pour jouer en Bourse alors que l’on dénombre 88 millions de chinois au sein du Parti Communiste.
Ces investisseurs chinois ont arrêté d’emprunter de l’argent pour jouer à Macao, dont le PIB s’est effondré de 30% au premier trimestre, pour se positionner sur les actions locales.

Pour autant, je ne pense pas que l’on ait à redouter un dérapage. Les autorités ont mis en place un certain nombre de mesures pour soutenir le marché notamment une suspension des nouvelles IPO, et une interruption temporaire des positions short leveragées.
Parallèlement, les 19 plus grandes sociétés ont été incitées à acheter 19 milliards de dollars d’actions locales sans les vendre pendant un an. La Banque centrale de Chine s’est engagée à fournir la liquidité nécessaire aux brokers pour financer le trading sur marge. Les fonds de pension chinois ont été autorisés à allouer 30% de leurs encours dans les actions avec une préférence à donner aux actions locales. Les investisseurs détenant plus de 5% des actions d’une société n’ont pas le droit de les céder pendant 6 mois.
Après avoir relié la Bourse de Hong Kong à la Bourse de Shanghai, un pont devrait bientôt être créé avec la Bourse de Shenzhen. Ceci permettra à la Chine d’intégrer une partie des actions locales dans les grands indices boursiers, en particulier dans l’indice MSCI EM.

Au-delà d’une relative stabilisation du marché chinois, la véritable interrogation réside dans les répercussions négatives que la chute des cours de bourse aura eues sur la consommation en Chine et donc sur la croissance de l’économie chinoise du fait de l’effet de richesse négatif. Ces répercussions sont très difficiles à évaluer.

La dernière source de préoccupation est relative à l’évolution de la Bourse américaine. Avec un dollar fort, une hausse à venir des profits minime, un relèvement du taux directeur de la Fed, un fléchissement prononcé du marché des actions américaines est-il à redouter ? Pourrait-il avoir une incidence sur le marché des actions de la zone euro ?

Je ne le crois pas. L’appréciation du dollar n’est clairement pas un facteur favorable pour les entreprises américaines. La parité euro dollar est tout de même passée de 1,40 à 1,05 pour remonter autour de 1,10. Toutefois le marché des actions américaines est très autocentré. Les sociétés américaines cotées génèrent en moyenne 65% de leur chiffre d’affaires aux Etats-Unis. Ainsi elles sont moins sensibles à la cherté des biens exportés que leurs consœurs européennes.
Ceci étant, au-delà de la force du dollar, ce qui met à mal également les entreprises américaines c’est la chute du cours du baril. Le poids du secteur du pétrole représente environ 30% des dépenses d’investissement des entreprises américaines. Aussi en 2015, la croissance des profits des entreprises américaines est évaluée à 1,2% alors qu’elle se situe structurellement à 8%. Après s’être élevés de 0,5% au premier trimestre, les profits devraient décroitre de 6,5% au deuxième trimestre et de 2,7% au troisième trimestre pour progresser de 3,6%. Sans le pétrole, cela nous donne +0,7, +0,7%, +4,1% et +7,6%. Sur l’année, nous nous retrouvons avec +7,7%.

Pétrolières comprises, les prévisions pour les bénéfices sont meilleures pour 2016 et 2017, autour de 12%. Cela devrait permettre au marché de se tenir à moyen terme.
Ce qui va faire baisser le marché actions américain à court terme c’est la hausse des taux de la Fed en septembre. En 1994, 1999 et 2004 la baisse fut de -5 à -10%. Il serait donc étonnant que le marché ne souffre pas d’ici septembre sous le double effet des publications de résultats de mauvaise qualité et de l’action de la Fed. Dans ce contexte, les actions européennes ne seront pas immunes…

Finalement à quelle suite des évènements escomptez-vous pour les actions de la zone euro au second semestre ?

Nous devrions voir se poursuivre la consolidation cet été. Une fois la visibilité apportée au dossier grec, et la première hausse des taux enclenchée par la Fed, à condition d’avoir une confirmation de l’embellie sur le front macroéconomique et microéconomique, sur fond d’une continuité du programme de quantitative easing de la BCE, nous devrions assister à un retour des investisseurs dans le classe d’actifs cet automne. La zone euro devrait mieux s’en sortir sur le plan de la hausse des bénéfices que les Etats-Unis. Le consensus table pour un accroissement des bénéfices cette année de 15%. Cette estimation nous parait raisonnable.

Peut-on avancer un potentiel d’upside supplémentaire ?

Nous pourrions terminer l’année 2015 avec une performance totale comprise entre 15% et 20%.

Que constitue la poche actions de la zone euro dans votre allocation globale ?

Notre gestion diversifiée est dans ses portefeuilles actions sur pondérée sur le Japon et la zone euro depuis le début de l’année. Même si tactiquement, l’exposition sur les actions de la zone euro a été réduite.

Les thèmes d’investissement identifiés dans la zone euro sont au nombre de quatre. Tout d’abord, la sélection quantitative classique des actions à fort potentiel à l’intérieur de chaque secteur d’activité. Ensuite les valeurs dollars dans la mesure où le billet vert devrait encore s’apprécier à la suite de la hausse des taux par la Fed. Egalement les valeurs de rendement. Le dividende sur les actions de la zone euro oscille entre 3 et 3,2% contre un taux à dix ans allemand à 0,7%. Enfin, les petites valeurs qui connaissent une forte dynamique depuis le début de l’année.

Propos recueillis par Imen Hazgui