Interview de Patrick  Moonen  : Stratégiste senior chez NN Investment Partners (anciennement ING Investment Management)

Patrick Moonen

Stratégiste senior chez NN Investment Partners (anciennement ING Investment Management)

Le principal risque pour la dynamique haussière des actions de la zone euro provient des Etats-Unis et non de la Grèce

Publié le 10 Juillet 2015

Quels commentaires vous inspire le bilan de l’évolution des actions de la zone euro à l’issue du premier semestre de l’année ?
L’année a commencé très positivement pour les actions de la zone euro. Plusieurs facteurs l’expliquent : l’amélioration de la perspective bénéficiaire, la politique monétaire très accommodante de la Banque centrale européenne, un regain de confiance des investisseurs étrangers sur le segment des actions de la zone euro. Depuis six mois, malgré les incertitudes entourant le dossier grec, les flux d’investissement provenant de l’étranger n’ont cessé d’arriver.

Avez-vous été surpris par la violence de la hausse ?
Nous avons-nous même été effectivement surpris par la violence de cette hausse. Nous escomptions une performance de 10% à 15% sur l’ensemble de l’année, en ligne avec l’accroissement des profits.

A mon sens, trois éléments ont aidé à porter le marché. Bien entendu le programme de quantitative easing de la BCE. Egalement la faiblesse de l’euro qui a eu un impact très positif sur les estimations bénéficiaires pour l’ensemble de l’année 2015. Les prévisions de début d’année ont été révisées de près de 10% sous l’impulsion de cet effet de change positif.
Enfin, un troisième facteur qui a soutenu le rallye dans son ampleur réside dans le fort repli du cours du pétrole. Parallèlement aux répercussions négatives sur le secteur énergétique, des conséquences favorables ont été admis sur d’autres secteurs abondamment consommateurs de pétrole et sur la dynamique de croissance économique sur fond d’un plus grand pouvoir d’achat donné aux ménages.

Quelle lecture faites-vous de la phase de consolidation qui s’est ouverte à la mi-avril ?

A mon sens, la principale cause de cette phase de consolidation est liée au fort retournement observé dans la sphère obligataire. En deux mois, le taux à dix ans allemand est passé de 0,05% à un peu moins de 1%. Cela a provoqué un choc pour les investisseurs qui a été renforcé par une inflexion dans la même période de la tendance sur le dollar et sur le pétrole.
Un doute s’est installé à propos de la solidité des fondamentaux sur lesquels reposait le marché, il me semble à tort. Les moteurs qui ont poussé au rebond du début d’année étaient manifestement encore existants. Une parité euro dollar à 1,10 demeure plus faible que la parité en vigueur un an auparavant. De même en est-il du cours du pétrole et du niveau des taux de refinancement sur le marché.
Une autre considération phare qui a joué un rôle dans la consolidation du marché, mis à part le dossier grec, est relative aux attentes d’un resserrement monétaire aux Etats-Unis qui devrait avoir une incidence sur le niveau des taux longs américains et sur les valorisations des actions américaines.

De quelle manière appréhendez-vous actuellement le risque grec pour le segment de marché ?

Les développements de ces dernières heures sur le dossier vont plutôt dans le bon sens. Le risque d’une sortie de la Grèce de la zone euro parait moins sérieux qu’il y a 24 h. Nous ne sommes toutefois pas à l’abri d’un accident. Jusqu’à présent, la réaction des marchés face aux différents épilogues de ce dossier a été limitée.
Dans le cas où une sortie finissait par être actée, ce qui ne constitue pas notre scénario principal, nous pourrions avoir trois types de contagion. Une première contagion via l’économie réelle. Celle-ci me parait ténue. La Grèce représente moins de 2% du PIB de la zone euro. Sur le front bancaire, les emprunts des banques européennes vis-à-vis des agents privés grecs, des entités publiques grecques ou des banques grecques, sont très faible. Fin 2014, le montant s’élevait à 33 milliards d’euros. Il est légitime de penser qu’entre temps ce montant a été diminué.
Un deuxième type de contagion tient à la mise à mal de la confiance des investisseurs qui se retiraient des obligations des pays périphériques de la zone euro. Pour l’instant les retombées ont été assez minces du fait du bouclier de la Banque centrale européenne. Le président de l’institution monétaire Mario Draghi a clairement répété que la BCE était prête à intervenir davantage en cas de besoin, autrement dit à accroitre les opérations d’achat des obligations souveraines si les taux venaient à remonter excessivement.
La troisième contagion éventuelle est de nature politique. Elle est plus difficile à apprécier. Nul ne sait précisément quelles conséquences la sortie de la Grèce pourrait avoir dans la dimension politique des autres Etats membres de la zone euro, en particulier au Portugal, en Espagne, en Italie, en France. Une autre incertitude portera sur la manière dont les investisseurs étrangers considéreront l’union monétaire que constitue la zone euro. La crédibilité de cette dernière sera-t-elle affectée ? Si tel était le cas, à coup sur, nous aurions une augmentation de la prime de risque sur le segment des actions de la zone euro et un écartement des taux souverains plus important à l’instar de ce que l’on a pu relever en 2011-2012.

C’est ce troisième risque qui est donc le moins contrôlable… Pourrait-il remettre en cause le rallye des actions de la zone euro ?

Le rallye ne serait pas forcément interrompue compte tenue des perspectives bénéficiaires des entreprises de la région mais il pourrait être de moindre ampleur ne serait ce que parce que les investisseurs seront amenés à réclamer une prime de risque plus élevée. Le ratio cours sur bénéfices futurs serait conduit à être structurellement plus faible.

Quelle vision avez-vous à présent sur l’effondrement de la Bourse chinoise et ses potentiels effets sur le segment des actions de la zone euro ?

Je ne pense pas que le regain de volatilité sur le marché boursier chinois soit une menace pour la vigueur de la consommation chinoise. L’importance des actions dans les actifs financiers des ménages chinois est inférieure à 10%, contre 30% pour les ménages américains et plus de 15% pour les ménages européens. De plus, même après la chute de 30% enregistrée sur la Bourse de Shanghai, celle-ci continue à afficher une performance positive depuis le début de l’année. En dépit de la sévère correction, il demeure une plus value significative pour les détenteurs d’actions chinoises depuis janvier.
Il me semble, en revanche, qu’un contrecoup pourrait se faire ressentir dans la perception du pouvoir du gouvernement chinois. Ce dernier a pris de multiples mesures ces deux dernières semaines pour freiner l’effondrement du marché. Jusqu’il y a deux jour, il n’est pas parvenu à le faire. Le sentiment d’infaillibilité du gouvernement chinois est quelque peu ébranlé. Si le marché venait à persister dans sa baisse malgré la pause de ces derniers jours, la protection offerte par les autorités de Pékin sera appréciée comme moins robuste par de nombreux investisseurs.

Cela pourrait-il entacher la dynamique haussière des actions de la zone euro ?

Seulement si le choc sur le marché boursier chinois était tellement fort qu’il finissait par avoir un impact sur la croissance chinoise qui s’inscrit déjà dans un processus de décélération depuis plusieurs années du fait de déséquilibres structurelles notamment au niveau du marché immobilier et du marché du crédit. Jusque là il était largement conçu que le gouvernement avait la marge de manœuvre suffisante pour réagir dans le cas d’un essoufflement trop prononcé. Si la crédibilité de ce gouvernement était mise en cause pour endiguer l’effondrement du marché boursier, nous pouvons croire qu’il en sera de même pour éviter un dérapage sur le plan économique.

Selon vous des trois risques qui pèsent sur la poursuite de la dynamique haussière des actions de la zone euro en relation avec la Grèce de la zone euro, la Chine, les Etats-Unis, c’est ce dernier risque qui est le plus important ?

Des trois sources de menace c’est clairement celle qui nous préoccupe le plus. Contrairement à ce que nous avons constaté dans le passé, la hausse des taux de la Fed interviendra tardivement dans le cycle bénéficiaire. L’impact négatif au niveau des valorisations ne sera pas compensé par l’accélération de la croissance des bénéfices. Nous prévoyons pour 2015 une hausse des profits pour les entreprises américaines d’à peine 1%. En 2016, cette hausse devrait s’établir à 5%. Nous ne sommes là-dessus pas en ligne avec le consensus de 12%. Les marges actuelles des entreprises américaines sont très élevées. Nous voyons un net rétablissement du marché du travail qui devrait amener à davantage de pressions salariales. Celles-ci devraient affaiblir les marges bénéficiaires dans un premier temps avant d’escompter une stabilisation voire une élévation de ces marges grâce à un surplus de la consommation domestique.

Une vive correction du marché américain aurait indéniablement une retombée sur le marché des actions de la zone euro surtout que les valorisations de ce dernier marché ne sont plus aussi faibles que par le passé. Le ratio cours/ bénéfices futurs de la zone euro est largement supérieur à la moyenne historique, autour de 18 même après la correction qui a eu lieu, contre 13,5. Si nous entrons dans une phase de resserrement monétaire aux Etats-Unis, je crains que cela ait des a-coups.

Finalement, la visibilité vous parait-elle suffisamment bonne pour livrer des perspectives à 6 mois sur le marché des actions de la zone euro ?

Si nous parvenons à avoir un accord entre la Grèce et ses créanciers, je pense que nous devrions assez rapidement, d’ici la fin du troisième trimestre, renouer avec la performance enregistrée à la fin du premier trimestre. Difficile de dire si nous irons au-delà.

Quelle est votre exposition actuelle sur les actions de la zone euro ?

Nous avons réduit notre exposition sur le segment ces deux derniers mois non seulement à cause de la Grèce mais aussi en raison de la dégradation du momentum bénéficiaire vis-à-vis du reste du monde. Par ailleurs nous avons eu une multiplication de déceptions sur le plan macroéconomique. Nous sommes donc passés de surpondérés à neutres.

Nous devrions être en mesure d’augmenter de nouveau notre exposition au cours de la seconde partie de l’année sur la base de bonnes surprises sur le plan macro et microéconomique. Le consensus de hausse de 15% des profits pour les entreprises européennes me parait très plausible surtout si nous avons une appréciation additionnelle du dollar à la suite du relèvement des taux directeurs de la Fed. La zone euro a semble-t-il touché le creux du cycle bénéficiaire en 2014. Nous serions à présent dans une phase haussière qui pourrait perdurer plusieurs années.
Les profits se situent toujours un quart en dessous du niveau d’avant crise alors qu’ils ont largement dépassé ce niveau aux Etats-Unis et au Japon. Par ailleurs les marges bénéficiaires des entreprises de la zone euro se trouvent à un niveau plancher contrairement au Japon et aux Etats-Unis où les marges ont atteint un niveau record.

Propos recueillis par Imen Hazgui