Interview de Patrick Mange : Stratégiste marchés émergents chez BNP Paribas Investment Partners

Patrick Mange

Stratégiste marchés émergents chez BNP Paribas Investment Partners

D'un point de vue stratégique, la détention d'actions chinoises en fond de portefeuille conserve toute sa pertinence

Publié le 12 Août 2015

Quel regard portez-vous sur le vif ralentissement de la croissance de l’économie chinoise ?
Le ralentissement de la croissance en Chine n’est pas un phénomène nouveau. Il s’explique par divers facteurs. En premier lieu, l’essoufflement de la dynamique mondiale. La croissance potentielle des Etats-Unis se situe aujourd’hui autour de 2,5% contre 3,5% avant la crise de 2008. La conjoncture en Europe a longtemps été morose. Ce n’est que depuis peu, que l’on observe une légère reprise au sein de la zone euro.
Un autre facteur explicatif, difficile à mesurer, réside dans le changement de modèle de développement de la Chine amorcé en 2013 afin d’axer davantage la croissance sur la demande intérieure et l’investissement productif notamment dans le secteur tertiaire et moins sur la demande extérieure et l’investissement improductif dans le secteur secondaire avec une volonté sous-jacente de mieux maitriser la distribution du crédit qui a explosé ces dernières années. Beaucoup de crédit était octroyé par des acteurs du ‘shadow banking’ non régulés. Les multiples mesures adoptées par les autorités chinoises ces derniers trimestres ont pour objet de canaliser l’octroi de crédit afin d’éviter des risques systémiques.

Cette phase de rééquilibrage de l’économie se veut longue et houleuse, non sans à-coups.

Si le ralentissement parait dans sa nature logique compte tenu de ce contexte globale et de ce changement de modèle de développement, d’aucuns s’étonnent de l’ampleur de ce ralentissement. Qu’en pensez-vous ?

Si l’on se fie aux dernières statistiques économique sur l’indice PMI du secteur manufacturier, sur la production industrielle, sur le niveau des exportations et des importations, nous pouvons effectivement nous interroger sur l’amplitude du ralentissement que connait la Chine. L’impression est donnée d’une détérioration de la conjoncture plus rapide qu’attendu.

La chute de la Bourse n’a pas vocation à avoir une répercussion négative significative sur le patrimoine des ménages chinois. Il peut y avoir un impact sur le plan psychologique. Le moral des consommateurs chinois pourrait s’en trouver quelque peu ébranlé. Des opérations d’achat de biens immobiliers pourraient être reportées, contribuant ainsi davantage au recul des prix immobiliers.

Une grandeur qui reste bien orientée dans ce panorama d’ensemble, etque l’on perd de vue, est liée au marché de l’emploi. Il est prévu par le cabinet politique la création de 10 millions d’emplois en 2015, comme en 2014. A la fin du premier semestre, 7,2 millions de postes ont été ouverts. L’objectif parait totalement atteignable même si certains peuvent objecter qu’une partie de ces emplois ont des rémunérations plus faibles, et/ou sont subventionnés par des aides publiques.

Vous attendez-vous à d’autres mesures de soutien par les autorités budgétaires et monétaires ?
L’assouplissement de la politique monétaire de la Banque centrale n’est probablement pas terminé. Il devrait cependant être limité malgré la marge de manœuvre dont dispose l’institution monétaire dans la mesure où le souhait de juguler le crédit pour avoir une meilleure allocation des ressources reste intact. Nous tablons sur une, voire deux autres diminutions des taux de l’ordre de 25 bp. Le taux de réserves obligatoires, encore très élevée, pourrait descendre de 50 à 100 bp.
Des mesures d’allégement fiscal pourraient aussi être arrêtées sur le plan budgétaire au cours du second semestre. On note, qui plus est, un surcroit d’autorisations d’émissions d’emprunts au niveau des collectivités locales qui supposent des plans de relance d’infrastructures au niveau régional qui serviront le projet « one belt, one road ». Enfin, la baisse de plus de 2% du taux central du Yuan devrait soutenir le secteur exportateur et/ou permettre de restaurer les marges bénéficiaires.

Pensez-vous que la cible de hausse du PIB de 7% est crédible ?

A l’aune des derniers chiffres publiés, cette cible parait illusoire. Ce d’autant plus que le deuxième trimestre a été fortement stimulé par le rebond du marché boursier. Celui-ci aurait apporté au PIB 0,5% additionnel.
Le FMI avait prévu dans sa publication de janvier 2015 un taux de croissance de 6,8% pour le pays. Nous pourrions effectivement ‘officiellement’ atterrir à 6,5%, ce qui permettrait de réaliser le doublement du PIB d’ici 2020 souhaité par le secrétaire général du parti communiste Xi Jinpin lors de sa prise de fonction, fin 2012.

Qu’en est-il de la croissance officieuse ? Certains observateurs n’hésitent pas à avancer un chiffre de croissance de 3% ou 4% ?

Il est très difficile de répondre à cette question. Tout dépend des indicateurs pris en considération. Certains d’entre eux ont perdu beaucoup de leur pertinence.
Une mesure communément admise est la production d’électricité. Celle-ci suggère manifestement une croissance bien plus faible que celle affichée. C’est cependant ne pas prendre en compte le fait qu’il y a eu une vaste restructuration au sein de l’économie chinoise. Lorsque la mesure a vu le jour, le secteur manufacturier représentait 70% du PIB, contre 50% actuellement. Par ailleurs, les cours des matières premières, notamment du pétrole, ont fortement corrigé à la baisse et ont donc pesé sur les prix énergétiques. Enfin, des progrès notables ont été effectués en termes d’économie énergétique.

Pour autant la multiplication de statistiques économiques décevantes conduit-elle à une vigilance accrue sur le ralentissement de la Chine ?

Bien évidemment. Cette vigilance est accrue sur ce phénomène de ralentissement, tout comme sur la faiblesse de l’inflation qui a dernièrement été dopée par la hausse du prix de la viande porcine, ou encore sur l’évolution des profits des entreprises chinoises. L’attention est également resserrée sur l’agenda des réformes des autorités de Pékin. Nous pouvons nous demander si le ralentissement plus prononcé que prévu et la chute récente des actions n’aura pas pour contrecoup de retarder la mise en œuvre de certaines réformes phares. Mais la réponse à cette question ne va pas de soi. Le ralentissement pourrait nécessiter une intervention plus rapide sur certaines problématiques importantes que connait l’économie chinoise.

A quoi faites-vous allusion ?

Je fais par exemple allusion aux ajustements requis s’agissant des SOE, autrement dit les entreprises étatiques dans des secteurs aussi clé que les services aux collectivités ou celui des télécoms. Les principales réductions de profits et diminution des prix à la production émanent de ces entreprises.

A ce sujet, un mouvement de consolidation a été initié sur les entreprises de chemin de fer fin 2014 et devrait se poursuivre sur les entreprises de transport maritime… Quelle analyse en faites-vous ?

Tout dépendra du business model que l’on décidera de donner à ces sociétés fusionnées. Si les nouvelles entités créées demeurent amorphes et mal gérées, la consolidation ne servira pas à grand-chose. Si au contraire des synergies sont trouvées et que la gouvernance est améliorée, la réforme sera salutaire. On n’a pas encore suffisamment de recul pour dire ce qu’il en sera. Les processus de rapprochement prennent du temps.

Des rumeurs circulent sur la volonté de Pékin de créer une sorte de holding analogue, à la Temasek à Singapour, pour administrer les investissements d’Etat de manière plus efficiente afin d’optimiser leur profitabilité tout en maintenant un cadre de service public...
Cette nouvelle holding viendrait remplacer la supervision de la fameuse SASAC qui, pour probablement des raisons d’influence, reste réticente à la modernisation des entreprises publiques. Le projet n’en est qu’au stade de la réflexion pour l’instant.

Quelle lecture faites-vous du krach survenu sur la Bourse de Shanghai ?

Il est à noter en premier lieu, qu’un plus grand krach boursier avait été constaté à partir d’octobre 2007. La Bourse chinoise avait alors perdu plus de 60% de sa valeur.
L’accélération de la bulle sur la Bourse de Shanghai depuis novembre 2014 s’est dessinée à la suite d’incitations émanant de responsables politiques afin d’ériger le marché actions en canal important de financement alternatif des entreprises chinoises. Cet encouragement est allé trop loin et a finalement eu l’effet inverse de ce qui était escompté. Un effondrement de la Bourse a été amorcé puis enrayé de manière artificielle par un interventionnisme plus poussé des pouvoirs publics.

Peut-on parler d’une stabilisation de la Bourse à présent ?
Il me semble que les autorités resteront présentes sur le marché autant qu’il le faudra pour éviter une déroute supplémentaire. Les velléités de remontée déboucheront assez rapidement par des prises de profits. Une relative stabilisation me parait installée pour l’heure.
La sortie des autorités et la suppression des règles drastiques imposées dernièrement au sujet des introductions en bourse ou à l’égard des grands investisseurs devraient se faire graduellement.

L’interventionnisme plus grand des autorités chinoises est-il de nature à compromettre l’intégration du yuan dans le panier des monnaies qui définissent le DTS au sein du FMI ?

Un communiqué du FMI a signalé que la décision en la matière serait plausiblement repoussée à septembre 2016. En cela, un laps de temps supplémentaire est donné aux autorités chinoises pour intensifier la libéralisation de leur finance, ce qui est une bonne chose.
D’aucuns avancent un niveau d’équilibre pour la Bourse de Shanghai de 3000 points ?
La notion d’équilibre d’un marché actions en fonction de la loi de l’offre et de la demande est très difficile à déterminer, à fortiori sur le marché chinois étroitement contrôlé. A priori les autorités chinoises ne souhaitent pas que la bourse de Shanghai passe sous un plancher à 3500 points et ont indirectement défini un plafond à 4500 points sous lequel les ‘grands acteurs’ ne peuvent liquider leurs positions.

Le risque lié à la Chine est-il plus grand aujourd’hui pour les marchés financiers qu’il ne l’était il y a un an ?

Le risque est plus élevé dans la mesure où l’incertitude est plus aigüe concernant la croissance et le calendrier des réformes de Pékin. Mais on peut penser que ce risque a été largement pris en compte. Les portefeuilles internationaux restent clairement sous investis sur les actions chinoises.
L’effet de contagion par rapport aux autres places boursières est peu visible, sinon plutôt positif. Les investisseurs sortis de la Bourse chinoise se seraient réorientés vers le marché européen ou le marché américain.

Un dernier commentaire ?
La Chine s’inscrit dans une phase de transition économique depuis un moment d’un modèle ‘mercantiliste dirigé’ à un modèle laissant plus de place à une allocation par les marchés. Il est normal que celle-ci ne se fasse pas facilement et qu’elle s’accompagne d’une volatilité exacerbée. A présent, le retour sur investissement sur le marché chinois demeure sur le long terme très rentable et la Chine sans aucun doute va gagner en importance dans les indices boursiers. D’un point de vue stratégique, cela suppose la détention d’actions chinoises en fond de portefeuille.

Propos recueillis par Imen Hazgui