Interview de Stéphanie  de Torquat  : Stratégiste chez Lombard Odier

Stéphanie de Torquat

Stratégiste chez Lombard Odier

Ralentissement économique de la Chine : il est bien trop tôt pour paniquer

Publié le 13 Août 2015

Quelle vision avez-vous du ralentissement économique que connait la Chine ?
Ce ralentissement n’est pas nouveau. Il est notamment la conséquence d’un changement de modèle de croissance du pays visant à un meilleure équilibrage entre les différentes composantes du PIB, les exportations, l’investissement productif et la consommation. L’essoufflement apparait ainsi comme un mal nécessaire dans la phase de transition structurelle dans laquelle s’inscrit la deuxième puissance mondiale, qui s’efforce de résorber les excès du passé, et notamment le surinvestissement.
S’est ajouté au ralentissement structurel un ralentissement cyclique.

L’inquiétude autour de ce ralentissement a été accentuée par la forte baisse du marché boursier local. Après avoir bondi de plus de 150% sur un an, l’indice composite de Shanghai a soudainement chuté de 30% en l’espace de deux mois. Des craintes ont été alimentées sur la répercussion que cette correction boursière pourrait avoir sur le consommateur chinois. Qu’en pensez-vous ?
Le rallye du marché s’est fait essentiellement sur des achats financés par de la dette. Le robinet de crédit ayant été resserré par les autorités, il est assez logique que l’on ait constaté une correction du mouvement haussier exagéré qui s’était dessiné.
Nous considérons pour l’heure que l’impact sur la consommation sera limité. Peu de chinois détiennent des actions, environ 1 chinois sur 30, contre 1 américain sur 7. Plus de deux tiers de la capitalisation boursière chinoise est détenue par le secteur public. Ce sont, par ailleurs, les chinois les plus aisés qui sont investisseurs.
Ainsi l’effet richesse induit par le positionnement sur le marché boursier est assez limité dans le pays. C’est ainsi que les ventes au détail ont continué à enregistrer une progression à deux chiffres, de l’ordre de 15% sur un an glissant, pendant le krach boursier de 2008.

Si l’on tient compte du fait que le consommateur chinois a été une première fois ébranlé par l’éclatement de la bulle immobilière, puis une seconde fois refroidi par l’éclatement de la bulle boursière, cela ne devrait il pas l’inciter à épargner davantage ?
Les chinois épargnent déjà énormément dès lors que les systèmes de protection sociale et de retraite sont encore en construction.

D’aucun estiment que l’incidence de la chute du marché de Shanghai en si peu de temps pourrait déboucher sur un choc de confiance...

Ce choc, s’il a lieu, se fera surtout ressentir sur le marché actions chinois. C’est la raison pour laquelle nous avons une vue négative sur l’évolution de la classe d’actifs. Même après à la baisse conséquente qui a eu lieu, nous continuons à considérer que les actions locales chinoises sont trop chères et risquent de descendre davantage. Un contrecoup pourrait se matérialiser sur les actions chinoises cotées à Hong Kong. Nous pensons de ce fait qu’il est trop tôt pour revenir.
Cependant le choc de confiance n’induit pas forcément une perte de contrôle sur le pilotage du ralentissement économique de la Chine.

Quels commentaires vous inspirent les tergiversations des autorités chinoises à l’égard de la direction à donner à la Bourse chinoise ?

Ces tergiversations ne sont probablement pas terminées. La Chine n’ayant pas encore de visibilité sur le point d’arrivage qu’elle veut donner à son marché.

Quid de l’incidence sur les entreprises chinoises ?
Sans doute certaines entreprises chinoises ont souffert ou souffriront de la forte baisse du marché et des mesures d’endurcissement prises par les autorités, je pense notamment à la suspension des opérations d’introduction en bourse.
Cependant cela ne va pas mettre en cause la maitrise du ralentissement économique par le pouvoir en place et que cela ne compromettra le passage vers un nouveau modèle de croissance.

D’après vous la question cruciale n’est pas tant de connaitre niveau le réel de la hausse du PIB chinois mais de savoir si les autorités ont encore la maitrise de ce ralentissement…

Absolument. Nous pensons que la Chine continuera à avoir le contrôle de son ralentissement. La marge de manœuvre monétaire est énorme. Les taux de réserves obligatoires se situent encore à un niveau très élevé. Il y a une croissance monétaire assez modérée, qui permet d’abaisser les taux sans risquer d’avoir de l’hyperinflation. Les réserves de change sont colossales, de l’ordre de 3 700 milliards de dollars, soit près de 40% du PIB national.
Ces éléments nous poussent à donner le bénéfice du doute aux responsables chinois pour ne pas se retrouver dans une situation d’atterrissage brutale de la croissance même si nous surveillons étroitement la situation au quotidien.
Il est ainsi bien trop tôt pour paniquer et sonner le glas de la Chine. Et il est normal qu’il y ait des haies à franchir sur la route.

Que vous inspire la dernière intervention de la Banque centrale de Chine sur le taux pivot du yuan qui a amené à sa dépréciation ?

Le taux de change effectif réel de la devise chinoise s’est considérablement apprécié ces dernières années. De plus, les salaires ont énormément monté. La Chine a ainsi beaucoup perdu en compétitivité. C’est dans ce contexte que s’inscrivent les dernières interventions de la PBOC sur le taux pivot du yuan. Ceci étant, je ne pense pas que l’objectif de la PBOC soit une forte dépréciation du yuan. Son action vise avant tout à donner plus de flexibilité au taux de change pour avancer plus en amont dans son processus de libéralisation financière.
En cela, clairement, nous ne croyons pas être face à un retour vers l’ancien modèle de croissance. La transition va se poursuivre. La Chine a l’ambition et les moyens d’accompagner cette transition.

De quelle manière analysez-vous les contrecoups du ralentissement de la Chine au niveau international, en particulier sur les pays producteurs et exportateurs de matières premières ?

Le repli des cours des matières premières a commencé il y a plus d’un an. Le ralentissement de la demande chinoise explique en partie mais non intégralement cette tendance.
Ce faisant, les pays producteurs et exportateurs de matières premières ont déjà été beaucoup affectés. Nous pensons que les prix de ces matières premières vont rester bas. Certains n’ont pas encore touché le plancher. La répercussion néfaste sur les pays fortement exposés aux matières premières devrait donc se prolonger.
Dans la mesure où ne nous attendons pas à un « hard landing », nous ne tablons pas sur des heurts significatifs chez les principaux pays partenaires commerciaux de la Chine comme l’Allemagne ou certains pays d’Asie du sud-est. Par ailleurs, la Fed devrait toujours être en mesure de monter ses taux directeurs d’ici la fin de l’année.

Propos recueillis par Imen Hazgui