Interview de Guillaume Tresca : Stratégiste senior spécialisé sur les marchés émergents chez Crédit Agricole Corporate and Investment Bank

Guillaume Tresca

Stratégiste senior spécialisé sur les marchés émergents chez Crédit Agricole Corporate and Investment Bank

Chine : nous anticipons une dépréciation limitée du yuan, de 3% supplémentaires, d'ici la fin de l'année

Publié le 13 Août 2015

Quel regard portez-vous sur les dernières interventions de la Banque centrale de Chine sur le taux pivot du yuan ?
Nous sommes relativement surpris par la décision de la Banque centrale (PBOC). Nous ne nous attendions pas à ce que l’institution monétaire se mette à dévaluer le yuan aussi rapidement.
Il y a lieu de relever que l’action de la PBOC vise avant tout à instaurer un nouveau système de fixation du taux de change de manière à introduire plus de volatilité sur la valeur de la devise aussi bien à la hausse qu’à la baisse.
Ce nouveau système de fixation dépend de trois principaux facteurs : le niveau du taux de change sur le marché à la clôture de la séance de la veille, le niveau de l’offre et de la demande sur le marché, les fluctuations des autres grandes devises pendant la nuit.

N’êtes vous pas interpelé par la coïncidence entre la publication de mauvais chiffres sur les exportations chinoises lundi et la réponse apportée par la Banque centrale le lendemain ?

Il y a indubitablement une volonté sous jacente de la Banque centrale de laisser à court terme le yuan se déprécier afin de redonner de la compétitivité à l’économie chinoise. L’opportunité a été saisie par l’autorité monétaire à la fois d’instaurer un nouveau régime de change plus flexible et donc plus en ligne avec les forces du marché de manière à répondre aux exigences du FMI et de parvenir à intégrer le yuan dans le panier des monnaies qui définissent le DTS, et de diminuer la valeur de la devise qui s’était énormément appréciée ces dernières années.

D’aucuns tablent sur une dépréciation du yuan de 10% d’ici la fin de l’année ?

Tel n’est pas du tout notre prévision. Un meeting s’est tenu ce matin des membres de la PBOC. La volonté semble être de faire baisser le yuan de 4% à 5% au total. Nous avons une cible sur la parité yuan dollar à 6,50 en fin d’année avec éventuellement un creusement à 6,60 entre temps, ce qui fait encore une diminution de près de 3%.

C’est la troisième fois en trois jours que la Banque centrale procède à une baisse de son taux pivot...

Hormis la première dépréciation qui peut être considéré comme arbitraire, les deux ajustements qui ont suivi répondent simplement aux nouvelles règles fixées par la Banque centrale. C’est parce que le taux à la clôture sur le marché était plus faible que le taux pivot était abaissé le lendemain.

Certains parlent d’une spirale infernale qui est en train de se mettre en place…

Si l’on analyse de près les évolutions sur le marché d’hier, nous pouvons relever que la Banque centrale est intervenue pour limiter l’ampleur de la baisse du taux à la clôture. Il n’est pas exclu que la Banque centrale intervienne à nouveau pour mettre le taux en clôture au dessus du taux pivot ce qui supposerait une remontée de ce taux pivot le lendemain. Les réserves de change dont dispose l’institution pour conserver une certaine maitrise sur ce qui se passe, sont colossales, de l’ordre de 3700 milliards de dollars.

Comment expliquez-vous cette ampleur ?

Le yuan était sur le marché des devises le dernier « macro trade » aisément jouable. Il suffisait pour les investisseurs d’initier une position longue sur le yuan et d’attendre que la devise s’apprécie graduellement de 2% pendant 2 à 3 ans pour réaliser une bonne opération. Ainsi même si le rendement n’était pas très élevé, la volatilité étant faible, le « carry », autrement le maintien de la position acheteuse était attractif.
L’instauration surprenante de ce nouveau paradigme par la Banque centrale qui a conduit à déprécier le yuan a poussé à des débouclements massifs de positions acheteuses dans une période où le volume d’échange, du fait notamment de la période estivale, n’est pas abondant.

Ainsi la Banque centrale serait amenée à ne pas respecter à la lettre les nouvelles règles fixées ?

Ce ne serait pas la première fois. Les autorités chinoises, a fortiori, les autorités monétaires sont très pragmatiques dans le pilotage de leur politique. Si les mesures annoncées ne vont pas dans le sens souhaité, les ajustements requis seront apportés.

Êtes-vous consterné par l’amplitude du ralentissement économique que connait la Chine en ce moment ?

Les dernières données chinoises publiées sont certes décevantes mais elles ne sont pas catastrophiques. Elles n’entrainent pas une révision négative de la croissance chinoise à 2% ou 3%. La hausse du PIB se situe toujours autour de 7% en ligne avec la cible avancée par les autorités et en adéquation avec le changement de modèle de développement amorcé.

D’aucuns n’hésitent pas à pronostiquer un taux de croissance de 3% ou 4% considérant qu’il y a un gap manifeste entre les données officielles et la réalité sur le terrain ?

Les données chinoises ne sont peut être pas totalement fiables. Mais l’erreur d’évaluation qui en découle vraisemblablement est marginale. Par ailleurs il n’y a pas de raison de penser que le thermomètre retenu initialement par les autorités a drastiquement changé entre temps pour fausser le résultat. Enfin, la Chine n’a pas foncièrement intérêt à mentir sur l’état réel de ses fondamentaux.

Le plus fort ralentissement de la Chine est justifié par deux principaux arguments, le fort repli des cours des matières premières et l’atonie du commerce international…

Le fort repli des cours des matières premières n’est pas seulement du au ralentissement de la croissance en Chine. La chute du prix du baril du pétrole s’explique davantage par un choc sur l’offre qu’un choc sur la demande. Du fait du fort développement du pétrole de schiste aux Etats-Unis, il n’y a jamais eu autant de production de pétrole.
Si le ralentissement de la Chine était si important que cela, très certainement l’interventionnisme des autorités monétaires et budgétaires serait bien plus puissant. En particulier les taux directeurs auraient été abaissés à un niveau bien plus faible. Le pays ne pourrait pas supporter autrement une telle dynamique de croissance au risque d’accroitre les tensions sociales et de déstabiliser le régime en place.
A présent on peut discuter sur les mesures adoptées pour aboutir à la croissance escomptée. Par le passé, ces mesures n’ont pas toujours été judicieuses et ont entrainé du surinvestissement et du surendettement. Une prise de conscience a été faite à ce sujet pour aboutir à moins de déséquilibres intrinsèques et à une croissance plus soutenable dans la durée, d’où le souhait de changer de modèle économique plus basé sur la demande interne.

Quel raisonnement vous pousse à anticiper une dépréciation limitée du yuan ?

Le taux de change effectif réel de la Chine, comparé à un panier de devises de grandes économies ajusté par le commerce pratiqué avec celles-ci, n’a cessé de s’apprécier depuis deux ans. Depuis la mi-2014, l’appréciation est de 17% alors que pendant la période l’euro n’a cessé de perdre de sa valeur et que la première zone exportatrice de la Chine est l’Union européenne.

Vous attendez-vous à d’autres mesures de soutien de la part de la Banque centrale ?

Nous pressentons 50 bp de baisse du taux de réserves obligatoires pour le moment.

Quels commentaires vous inspirent les actions prises du coté des autorités budgétaires ?

Il y a une réelle ambition de mieux réallouer le capital disponible. Avoir une entité qui pilote au mieux les investissements envisagés me parait être une bonne idée.

Êtes-vous inquiet par la situation du moment ?
Pas outre mesure. Les autorités chinoises ont jusqu’ici su faire preuve de clairvoyance. Cela devrait continuer dans ce sens.

La menace qui tient à la guerre des monnaies a-t-elle du sens ?

C’est une expression qui revient régulièrement et qui a une connotation trop forte pour traduire la réalité.
Je ne pense pas que la Fed renoncera à remonter ses taux directeurs en septembre. Il se pourrait toutefois qu’elle revoie son calendrier et qu’elle soit plus progressive qu’anticipé.
Ceci étant, les petites banques de certains pays émergents, notamment en Asie du sud est (Indonésie, Taiwan, Corée), vont probablement devoir être un peu plus agressives pour éviter une trop forte dévaluation de leur monnaie.

Propos recueillis par Imen Hazgui