Interview de Frédéric Rollin : Conseiller en stratégie d'investissement chez Pictet Asset Management

Frédéric Rollin

Conseiller en stratégie d'investissement chez Pictet Asset Management

La Chine représente à notre sens trois risques principaux

Publié le 09 Septembre 2015

Quel regard portez-vous sur les risques sous-jacents à la Chine à l’heure actuelle ?
La Chine représente à notre sens trois risques principaux. Le premier est lié à un fort ralentissement de l’économie chinoise. Nous pensons que la probabilité est de plus de 50% que le pays soit engagé dans un atterrissage en douceur. Cependant, force est de constater que les dernières statistiques ont été médiocres. Si des signes de stabilisation sont relevés dans le secteur immobilier sur fond d’une politique monétaire plus accommodante, la publication récente des indicateurs avancés PMI montre une dégradation de la situation dans l'industrie.
Nous demeurons optimistes à moyen terme. La marge de manœuvre de la Banque centrale est encore importante. Les taux d’intérêt sont encore élevés. Il y a encore matière à abaisser le ratio de réserves obligatoires pour les banques chinoises.

Comment expliquez-vous que la PBOC n’ait pas encore davantage assoupli sa politique ?

Nous sommes d’avis que les autorités ont véritablement à l’esprit de continuer à ralentir la croissance du crédit à terme quitte à avoir un essoufflement de la dynamique économique à court terme.
Elle doit encore résorber les déséquilibres qui sont apparus à la suite l’énorme plan de relance monétaire déployé après la crise de 2008. Les volumes de crédit alors créés ont été massifs, et mettent en danger l'économie chinoise. Laisser de nouveau se développer une croissance élevée du crédit relancerait l'économie à court terme mais pourrait augmenter les risques de défauts à moyen terme.
Mais si elle réduit trop fortement le crédit, alors l'économie risque de baisser trop brutalement.
Son rôle est donc de suivre ce chemin étroit qui consiste à résorber les excès de crédit, mais en maintenant tout de même une croissance suffisante au bon fonctionnement des entreprises et des institutions.
La croissance continue aujourd'hui de ralentir, et le prochain mouvement devrait donc être celui d'un assouplissement monétaire, très progressif cependant.

Vous ne prévoyez donc pas de catastrophe sur la croissance chinoise ?
Non, pas à ce stade. Le doute du marché cependant d’un atterrissage en catastrophe devrait perdurer encore quelques temps.

Quel est le deuxième risque perçu ?
Il concerne la dévaluation du yuan. La modification effectuée du régime de change par la PBOC au début du mois d’aout a surpris le marché.
Jusqu'au premier trimestre 2014, beaucoup d’investisseurs et de trésoriers favorisaient le yuan : cette monnaie bénéficiait à la fois d'une réévaluation régulière et d'un rendement supérieur. Dans l'objectif de limiter les liquidités allouées à l'économie, la PBOC a alors souhaité stopper ce phénomène et a laissé plus de liberté à sa monnaie. Depuis les flux se sont généralement inversés, devenus vendeurs du yuan. Ce phénomène est renforcé par la faiblesse économique chinoise, qui laisse anticiper de futures baisses de taux, généralement défavorables à toute monnaie.
Il est donc assez naturel qu'au moment où la banque centrale souhaite laisser sa monnaie fluctuer selon les forces de marché, cette dernière baisse. La question est maintenant de savoir si la banque centrale va parvenir à stabiliser le processus. Elle s'y emploie, mais au prix de l’utilisation d'une part importante de ses réserves. Nous sommes optimistes, mais le risque existe. Si le processus s'emballe, les économies qui sont en compétition avec la Chine pourraient en souffrir.

Quelle lecture faites-vous du changement du régime de change ?
En toute probabilité, la PBOC a répondu à l’appel du FMI : si la Chine souhaite que le yuan devienne une monnaie de réserve, la banque centrale doit la laisser fluctuer plus librement. Nous ne croyons pas que la Banque centrale se soit engagée dans un processus de dévaluation compétitive.

Que vous inspire la coïncidence de timing entre la publication de chiffres très négatifs sur les exportations lundi et 10 août et la réaction de la Banque centrale le 11 août ?
C'est effectivement une coïncidence. La décision de la Banque centrale est en lien avec la recommandation faite par le FMI le vendredi 7 aout. Si les chiffres sur les exportations chinoises ont été mauvais c'est essentiellement à cause du ralentissement de la conjoncture mondiale. Rappelons que le commerce extérieur de la Chine reste inscrit dans une bonne trajectoire, les importations baissant plus rapidement que les exportations. Nous ne faisons pas face à un défaut de compétitivité de l’économie chinoise.

Malgré les différentes mesures prises par les autorités et les multiples déclarations rassurantes, les flux sortants sont toujours très importants, si bien que la PBOC est contrainte à intervenir sur le marché pour limiter la dévaluation du yuan. La baisse des réserves de change a enregistré un niveau record le mois dernier…
Les débouclement des positions acheteuses sur le yuan, ou encore la volonté d'entreprises ayant emprunté en dollar US de rééquilibrer le risque de change sur leur bilan en achetant des dollars semblent persister malgré la baisse de la devise.
De plus, il est probable que les interventions de la banque centrale pour stabiliser sa monnaie laissent penser à beaucoup d'opérateurs que l'équilibre du yuan est plus bas, ce qui renforce paradoxalement leur volonté de vendre.
Pour justifier un cours du yuan stable, la banque centrale doit utiliser massivement ses réserves en monnaies étrangères pour en acheter.

Jusqu’à quand verra-t-on ces réajustements de positions ?

Le passage d'un régime de change contrôlé à un régime de change variable est difficile, et la banque centrale devra encore utiliser ses réserves, qu'elle a heureusement pléthoriques, pour stabiliser sa monnaie. Combien de temps? Nous n'avons pas d'éléments concrets pour l'estimer. Cependant foncièrement il n’y a pas de raison économique pour que la valeur du yuan décline beaucoup plus. Le commerce extérieur est solide et les réserves de change massives, très largement au-dessus des critères généralement donnés par le FMI.
La banque centrale devra trouver plus de crédibilité, soit en parvenant à stabiliser suffisamment longtemps sa monnaie, soit en organisant une succession de dévaluations modestes et contrôlées. L’annonce de données économiques meilleures pour la Chine rassureraient aussi les investisseurs sur la santé du pays et réduiraient les anticipations de relance monétaire.

Qu’en est-il du troisième risque sous-jacent à la Chine ?

L’effet de contagion du ralentissement du pays sur les autres grandes économies émergentes. La Chine en ralentissant achète moins de matières premières, dont le cours baisse en conséquence. Les fournisseurs de matières premières comme le Brésil (entré en récession) font alors face à la fois à une baisse de volume et de prix de leurs exportations. De plus, la baisse du yuan fait pression sur les compétiteurs de la Chine, en Asie notamment.

D’aucuns n’hésitent pas à parler de perte de crédibilité ou de perte de contrôle de la part des autorités chinoises face aux récentes perturbations relevées sur le yuan et sur les actions chinoises ?
Plutôt que de perte de crédibilité ou de contrôle je parlerais de test. Les autorités ont fait le choix de mener de front plusieurs défis : la poursuite d’une croissance robuste, la réduction du volume du crédit et l’internationalisation de leur monnaie. Le marché s’interroge sur la capacité des autorités à gérer ces trois points à la fois. Les autorités devront dans les mois qui viennent affirmer plus clairement leurs priorités. La communication de la banque centrale a par ailleurs été critiquée pour son manque de visibilité.

Quid de votre allocation d’actifs ?
A la fin du mois de juin, nous avons adopté une politique de gestion plus prudente, en réduisant à neutre notre allocation sur les actions internationales. Nous avons de plus mis en place une position tactique négative sur les actions émergentes à la fin du mois de juillet.
Nous n'anticipons pas de crise majeure ou systémique et pensons plutôt réallouer sur les actions dans les mois qui viennent.
Nous restons par ailleurs positifs sur les actions européennes et japonaises sur fond de politique monétaire accommodante, du redémarrage de la croissance (qui devrait aboutir sur une expansion des marges bénéficiaires) et d'un potentiel important de rachats d’actions au Japon.

Si nous faisons l’hypothèse d’une stabilisation économique de la Chine, qui vous parait l’hypothèse la plus vraisemblable, le prix des actions émergentes est très attrayant…

Nous sommes sur une décote par rapport aux actions des marchés développés supérieure à 30%. Il n’est cependant pas encore temps de s’aventurer sur ce segment car les risques existants mettront du temps à se résorber.

L’action de la Fed pourrait-elle constituer un facteur aggravant dans cette histoire des actions émergente ?
L’action de la Fed dans l’absolu n’est pas source de préoccupation. Les différents cycles de hausse des taux par le passé ont donné lieu à des mouvements positifs sur les marchés actions sur 12 mois (par exemple trois mois avant la première hausse de taux et 9 mois après celle-ci), y compris pour les marchés émergents.
Le problème qui se pose aujourd'hui est celui de la désynchronisation entre la conjoncture des économies occidentales, en amélioration et qui supporterait aisément une hausse des taux de la Fed, et celle des économies émergentes, en détérioration.
L’interrogation du marché est celle-ci : la Fed prendra-t-elle en compte dans sa décision cette désynchronisation ? Pour le moment les discours des différents gouverneurs de la Banque centrale américaine sont loin d'être uniformes. Il n’est d'ailleurs pas acquis que la Fed ait une vue tranchée sur le sujet.
La faiblesse de l’inflation et des hausses des salaires nous incitent à supposer que la Fed a la possibilité de reporter sa hausse des taux. De plus, lorsqu'elle montera ses taux, elle pourra communiquer sur la lenteur du resserrement. Répétons-le, la Fed n'a aucune raison de monter rapidement ses taux, c’est un point très positif pour les marchés.

Propos recueillis par Imen Hazgui