Interview de Ludovic Subran : Chef économiste et directeur de la Recherche économique chez Euler Hermes

Ludovic Subran

Chef économiste et directeur de la Recherche économique chez Euler Hermes

Mi-2016, nous devrions voir un véritable redémarrage du cycle d'investissement des entreprises dans la zone euro

Publié le 22 Octobre 2015

Quel regard portez-vous sur la reprise au sein de la zone euro ?
Notre prévision de croissance pour la zone euro se situe à 1,4% en 2015, avec 3% en Espagne, 1,6% en Allemagne, 1,2% en France, et 0,7% pour l’Italie.

Pensez-vous que cette reprise est solide ?
Cette reprise me semble solide dans la mesure où les inquiétudes qui portaient sur la dette et la cohésion de l’Europe se sont énormément atténuées. Même si des problèmes persistent, la question d’une sortie de la Grèce de la zone euro est moins d’actualité.
La région bénéficie par ailleurs de plusieurs atouts phares, à commencer par le fort repli des cours des matières premières. Le gain de pouvoir d’achat procuré aux ménages est manifeste à travers la hausse des ventes au détail, y compris en Italie.

La région vous parait-elle résiliente au fort ralentissement en Chine...

Je ne crois pas du tout à une rechute en récession de la zone euro provoqué par le ralentissement de la Chine. Les difficultés auxquelles doit faire face la deuxième puissance mondiale ne datent pas d’aujourd’hui. En cela l’effondrement du marché boursier cet été n’a été qu’un symptôme de la détérioration de la situation dans le pays et non une cause.

Que tablez-vous pour la suite des évènements sur le front de la consommation au sein de la zone euro ?
La consommation devrait rester le moteur de la croissance en zone euro. Elle devrait continuer à être à l’origine de plus de 50% de l’expansion économique dans la région. Cette consommation rencontre cependant des limites. En particulier, l’épargne poursuit sa progression, et une certaine prudence persiste au niveau de la demande de crédit. Le traumatisme des années moroses que l’on vient de traverser est encore dans les esprits et freine quelque peu les comportements.

Quels commentaires vous inspire le redémarrage du crédit ?

La distribution du crédit a notamment redémarré en Espagne, en France, en Allemagne et même en Italie où régnait un « credit crunch ». Un redressement a surtout été relevé dans le segment du crédit immobilier pour les ménages et celui du crédit de court terme pour les entreprises. Les crédits interentreprises se sont également inscrits dans une tendance positive ce qui laisse penser que les entreprises se font plus confiance et s’octroient des délais de paiement.

Qu’attendez-vous du coté des investissements ?
Les taux d’utilisation des capacités de production sont élevés, les marges enregistrent une croissance entre 1% et 1,5%, et les chiffres d’affaires une légère hausse entre 0,5% et 1%. Par ailleurs les trésoreries sont abondantes suite aux différentes mesures de restructuration prises après l’apparition de la crise de 2008. Cette trésorerie est estimée à 235 milliards d’euros au sein des entreprises françaises et près de 900 milliards d’euros pour les entreprises de la zone euro. Cela représente entre 15 et 20% du chiffre d’affaires.

Le potentiel d’investissement est ainsi considérable. Des dépenses ont commencé à être observées en Allemagne ou en France dans les biens d’équipement.
Cette amorce du cycle d’investissement parait fragile. La moindre petite annonce, en particulier dans le domaine fiscal, crée une grande nervosité chez les dirigeants d’entreprises. Je pense, pour l’heure, que ce cycle se présente comme étant lent et étalé dans le temps.

Pourquoi ?

La hausse du chiffre d’affaires des entreprises est négativement impactée par la désinflation. Autrement dit les entreprises accroissent leurs ventes en volume mais pas en valeur. Les prix de vente ne cessent de baisser et ne permettent pas ainsi de mettre en place un cycle d’investissement pour l’innovation durable. Les entreprises n’ont pas l’assurance que les consommateurs seront prêts à payer un peu plus pour avoir de la plus value.
Tant que les entreprises ne seront pas rassurées sur leur éventuel retour sur investissement, elles continueront à garder la main sur la gâchette sans appuyer.

Si la confiance des entreprises dans l’avenir se renforce, celles-ci seront en mesure de combiner leur matelas de fonds propres avec du crédit bon marché pour se mettre à acheter d’autres entités.

Quelle lecture faites-vous de cette désinflation ?

Cette désinflation s’explique par l’absence de transmission de la politique monétaire menée par la Banque centrale européenne à l’économie réelle. On dénote un manque d’outils adéquats pour permettre aux petites et moyennes entreprises d’agir. L’accès au marché des capitaux leur reste difficile. Les banques ne veulent pas s’impliquer massivement dans la titrisation en raison du durcissement des exigences réglementaires. La culture de l’export demeure faible.

A quel horizon peut-on voir un véritable redémarrage du cycle d’investissement  dans la zone euro ?

Les marges ont pu être reconstituées en l’espace de neuf mois grâce à la dépréciation de l’euro, à la baisse du cours du pétrole, à l’amoindrissement du cout du crédit, et à la mise en œuvre de réformes. Il faudra, à mon sens, six à neuf autres mois pour constater une plus forte hausse du chiffre d’affaires, de 2% à 3% et assister à une vague d’opérations de croissance externe.

A quels endroits devraient se concentrer les opérations capitalistiques ?

En Europe même ou dans le monde émergent.
Nous devrions voir une plus forte consolidation entre acteurs européens et un plus fort appétit pour des actifs émergents par des entreprises européennes, ce d’autant plus qu’entre temps les pays émergents devraient continuer à connaitre quelques déboires en raison de la hausse des taux directeurs de la Fed.

Nous pourrions retrouver une véritable dynamique des investisseurs européens dans les pays émergents…

Même si jusque là les entreprises européennes se sont caractérisées par une certaine inertie et que celle-ci leur a été bénéfique dans ce contexte de fort ralentissement, il me parait difficile d’imaginer que ces entreprises européennes continueront à faire preuve d’un certain conservatisme, immobilisme, attentisme. Un passage à l’offensive me parait probable car le potentiel de croissance de long terme dans les pays émergents reste élevé.

Pour l’instant, la traversée du désert des pays émergents est loin d’être encore terminée ?

Du fait du ralentissement en Chine, de la chute des cours des matières premières et du resserrement de la politique monétaire de la Fed, les pays émergents devaient continuer à être dans un tunnel obscur au moins pour les 18 prochains mois.

Quelle conséquence devrait avoir la ruée des entreprises européennes vers les actifs émergents ?

Il ne serait pas étonnant de voir que l’intérêt affiché par certaines entreprises européennes pour l’acquisition d’entités émergentes contribue au rebond de la croissance dans les pays émergents.

15% de croissance des profits sont attendus pour les sociétés cotées de la zone euro cette année. Qu’en pensez-vous ?

Cela me parait plausible. Telle est la résultante de la belle discipline que se sont imposées les entreprises européennes eue égard à la gestion de leur marge.
Si le cycle d’investissement se renforce dans le capital humain, dans les capacités productives et l’innovation, les profits devraient être moindres l’année prochaine.

Etes-vous d’avis que la BCE assouplira davantage sa politique monétaire ?

Je suis persuadée que la BCE interviendra plus fortement. Nous pouvons nous attendre à une deuxième vague de quantitative easing. Elle devrait aller jusqu’en 2017 et accroitre la taille de la liquidité injectée tous les mois à 100 milliards d’euros au lieu de 80 milliards.

Quels sont les secteurs qui devraient être en mesure de mieux tirer leur épingle du jeu et inversement ?
Les secteurs qui vont bien structurellement en Europe sont la pharmacie, l’agroalimentaire et l’automobile.
La construction va un peu mieux.

Certains secteurs bénéficient d’une dynamique de court terme positive, conjoncturelle, le transport et la distribution.

Les secteurs qui vont un peu moins bien sont les secteurs à haute intensité capitalistique : machines équipements, papier, métal, textile, énergie. La pression déflationniste dans les services commence à s’estomper grâce à l’innovation.

Quelle incidence pressentez-vous de l’affaire Volkswagen pour le secteur automobile européen ?
L’affaire Volkswagen remet en cause la dimension très internationale de la chaine d’approvisionnement dans le secteur automobile. Elle pousse en outre à aller chercher de nouveau un cycle d’innovation autour de la voiture verte. Les voitures diesel constituent plus de 60% du parc automobile en Europe.
Si des progrès ne sont pas effectués sur ce terrain de l’innovation, nous pourrions constater un avènement des constructeurs chinois et un surpassement des acteurs américains et japonais.

Êtes-vous inquiets à ce sujet ?

Cela ne m’inquiète pas. Les constructeurs européens viennent de sortir d’une crise profonde. Ils devraient être en mesure de gérer cette nouvelle crise sans grandes difficultés.

Sur quels chantiers l’Europe doit elle travailler prioritairement ?

Nous avons perdu beaucoup de temps sur la détermination de véritables solutions à la hausse de la croissance en Europe. Des mesures peinent à être adoptées en rapport avec le plan Juncker, le marché de l’emploi, le marché financier intérieur, la mobilisation de l’épargne abondante des ménages, l’accord transatlantique de libre échange pour capter une partie de la demande intérieure…
Ce sont autant de chantiers sur lesquels nous devons avancer pour étendre les capacités de production et amplifier l’innovation.

Propos recueillis par Imen Hazgui