Interview de Roman Gaiser : Gérant obligataire chez Pictet Asset Management

Roman Gaiser

Gérant obligataire chez Pictet Asset Management

Une poursuite des secousses dans le secteur bancaire européen pourrait mettre à mal le marché de la dette des entreprises européennes les plus risquées

Publié le 07 Mars 2016

Quel regard portez-vous sur les tensions qui se sont matérialisées sur le segment des obligations des entreprises européennes à haut rendement ces derniers mois ?
Les craintes liées d’une part à l’impact de la baisse du prix du baril sur les revenus des sociétés américaines du secteur énergétique et d’autre part à une remontée des taux directeurs de la Fed étaient deux thématiques dominantes à l’origine de vives tensions sur le segment de marché au second semestre 2015. Ces deux facteurs ont encore eu une certaine influence en ce début d’année, mais avec une moindre ampleur. D’une part, le cours du pétrole a quelque peu rebondi et semble à présent stabilisé. D’autre part, les anticipations concernant les relèvements des taux par la Fed ont été révisées à la baisse, à deux au lieu de quatre.

La persistance des troubles dans le secteur énergétique américain est-elle susceptible d’affecter davantage le marché du high yield européen ?
La hausse des taux de défaut des émetteurs du secteur énergétique sur le marché américain est largement pricée. Le rendement proposé se situe actuellement autour de 16%. La prime de risque est en cela considérable. Certaines obligations traitent avec des prix bien end-dessous de 50cts, voir 20cts donc pour des rendements affichés très élevés (de 30, 40 voire 50%). Nous aurions besoin de nouvelles bien plus alarmistes pour que les rendements ne couvrent pas les risques sous-jacents dans le secteur.

De quelle manière l’intensification de l’aversion pour le risque aux Etats-Unis pourrait-elle se faire ressentir en Europe ?

Il faut distinguer deux types de risques. Tout d’abord, le risque de défaut donc de perte permanente de capital. Ensuite, le risque d’avoir une prime de risque plus élevée. Même si ces risques existent également sur le marché du HY européen ils sont moins aigus que sur le marché du HY américain.
Le segment du HY européen dispose de trois atouts phares par rapport au segment du HY américain. La qualité moyenne des émetteurs est meilleure. Nous avons plus d’entreprises notées BB et moins d’entreprises notées CCC (7% contre 15%). La maturité moyenne est moins longue. Le secteur énergétique est moins prédominant et donc son impact est moins immédiat.

Le secteur bancaire européen a été violemment chahuté en ce début d’année. Comment l’accentuation du risque bancaire pourrait affecter le compartiment du high yield européen ?
Nous avons également de la dette bancaire dans nos fonds HY. Il y a un lien entre le stress qui pèse sur les titres de dette bancaire et la tension qui peut se faire ressentir sur les obligations corporate à haut rendement. Le sentiment de défiance a tendance à se généraliser.

Une poursuite des secousses pourraient-ils mettre à mal le segment du HY européen ?

Nous pouvons l’envisager. Le positionnement sur les titres de dette émis par les banques pourrait s'avérer problématique à moyen long terme. La situation de régulation bancaire en Europe est encore floue. Une vive inquiétude porte sur des grands noms comme Deutsche Bank ou Unicredito, moins bien capitalisés ou moins profitables.

La mise en souffrance additionnelle du secteur des matières premières pourrait donner lieu à la dégradation de la note d’un certain nombre de grandes entreprises jusqu’ici notées « investment grade » (IG). Après Anglo American, qui intègre les indices High Yield ce mois-ci, sont dans le collimateur Glencore, Repsol, Casino… Le downgrading de ces sociétés aura pour conséquence d’étoffer massivement l’offre dans l’univers du high yield. Entre 25 et 30 milliards d’euros pourrait venir s’ajouter aux 300 milliards d’euros comptabilisés dans le compartiment du high yield. Ce surplus d’encours de près de 10% doit être absorbé, ce qui ne sera pas évident… Qu’en pensez-vous ?
De nombreux investisseurs HY ont du cash, les réallocations ayant été prudentes depuis novembre 2015. Il y a eu, en outre, peu de nouvelles émissions sur le marché primaire. Il existe en conséquence une bonne capacité d’absorption de l’offre de titres qui émanerait de ces downgradings.
L’orientation des investisseurs vers ce type de papier dépendra étroitement de l’ampleur de la révision à la baisse de la note de la société. Y a-t-il réellement une interrogation sur la solidité de son business model et son aptitude de survie ?
Au regard de l’accalmie qui semble s’être installée sur le compartiment des matières premières, l’éventualité d’une accélération incontrôlée du rythme des downgradings qui pousserait à un dérapage sur le segment de marché est limitée.

Pensez-vous que la concrétisation d’un Brexit pourrait être une source déstabilisante pour le high yield européen ?

Le Brexit est effectivement une source potentielle supplémentaire de perturbations. C’est un facteur de forte incertitude qui créée de la nervosité.
Une devise faible est surtout un problème pour des entreprises domestiques qui s’endettent abondamment outre frontières. C’est relativement rare au Royaume-Uni.
Fondamentalement pour un titre de dette, à échéance deux à cinq ans, je ne pense pas que cela sera un véritable problème.
Le vrai danger que suppose le Brexit est l’ouverture d’une boite de Pendore et l’incitation consécutive des Etats membres de la zone euro à vouloir sortir de l’union monétaire.

De quelle manière tentez-vous de faire face à la problématique de liquidité qui sévit sur le segment du HY ?

Nous avons un peu plus de cash dans nos fonds. Nous avons une politique de swing price depuis plusieurs années.
Dans l’un de nos fonds, nous avons une philosophie de buy and hold, autrement dit de détention des titres jusqu’à leur maturité.
Les plateformes sont des moyens d’échanges que l’on regarde de près mais que l’on n’utilise pas encore aujourd’hui.

Vous estimez que cette problématique de la liquidité n’est pas particulièrement plus ardue aujourd’hui…

Certes du fait de la régulation bancaire il y a moins d’inclination et de capacité pour les banques de conserver de grandes positions. Leur rôle d’amortissement des flux a beaucoup faibli. Les hedge funds ont un peu repris le relai. Mais ils ne sont pas régulés et ont tendance à réagir dans la même direction que le marché.
Ceci étant, le sujet de la liquidité est récurrent dans le segment du HY, depuis longtemps. Dès lors qu’il y avait une mauvaise nouvelle sur une société donnée, soudainement la liquidité devenait toujours mauvaise.

Finalement que prévoyez-vous en termes de performance pour le high yield européen cette année ?

La performance pourrait être de 2%/2,5%. Le taux de défaut devrait être de 2,5%/3%.

Propos recueillis par Imen Hazgui