Interview de Michel Finance : PDG d'Affluent

Michel Finance

PDG d'Affluent

Un produit mis sur le marché chaque année à partir de 2023

Publié le 11 Juin 2021

 Pourriez-vous s’il vous plaît nous présenter Affluent ?

Affluent existe depuis une dizaine d’années, compte à ce jour 54 collaborateurs et a investi, depuis sa création, un total de 65 millions d’euros. Notre entreprise, qui se classe parmi les « medtech », a pour mission de concevoir et développer des dispositifs médicaux. Nos deux domaines de spécialité sont l’urologie et la cardiologie, deux classes thérapeutiques qui représentent un enjeu mondial très important. Nos marchés cibles sur lesquels se positionnent nos produits sont en effet estimés à plus de 10 milliards d’euros, qui plus est marqués par une forte croissance attendue de l’ordre de 10 à 15 % par an. C’est, dans l’environnement habituel des medtechs, un contexte à le fois très original et très porteur, conséquence du double phénomène lié à l’évolution de la pathologie et à l’absence de technologie adaptée.

 Affluent a développé un premier produit dans le domaine de l’urologie.

En effet. L’urologie est un vaste domaine qui comprend un grand nombre de pathologies. Sur ce territoire, nous nous concentrons sur l’incontinence urinaire. Un mal généré par des causes multiples et variées, qui touche aujourd’hui environ 423 millions d’adultes dans le monde. Ce type de pathologie concerne à 80 % des femmes et se montre plus fréquent avec l’âge : ainsi il concerne 12 % des personnes âgées de 70 ans et plus, mais un tiers de celles de plus de 85 ans. Surtout, l’accroissement de l’espérance de vie augmente encore la population concernée. Ces personnes qui souffrent d’incontinences urinaires quotidiennes répétées ne sont pas en danger de mort, mais on peut parler de lourd handicap social. Notre mission, c’est de lutter contre ce risque vital en termes de qualité de vie. La seule alternative au dispositif médical repose en effet sur l’utilisation de couches senior, un marché dont le poids économique de 29 milliards de dollars reflète bien le caractère massif du problème !

 Quelle indication votre prothèse Artus adresse-t-elle ?

Le dispositif que nous avons conçu est un sphincter artificiel et s’adresse aux gens atteints d’incontinence modérée à sévère, ceux qui justement n’ont pas d’autre solution que de porter des couches ou d’utiliser un système imparfait inventé il y a trente ans. Pour ces personnes, le simple fait de passer les mains sous l’eau, de se baisser ou de monter un escalier, exerçant ainsi une pression même infime sur la zone de la vessie, stoppe le fonctionnement normal du muscle de l’urètre. Artus est composé de deux parties : l’une, constituée d’un anneau, est implantable et fixée par le chirurgien autour de l’urètre ; l’autre, un boîtier de petite taille , correspond au logiciel, à la batterie et au moteur. Le tout est commandé par une télécommande qui ressemble à celle d’une porte de garage. Ce dispositif, totalement électronique, permet donc d’uriner à la commande. Le seul système disponible concurrent, développé en 1987, fonctionne à l’hydraulique. Le patient l’active lui-même en activant une petite pompe. Avec d’une part un constat d’échec total dans 30 % des cas, et d’autre part l’exigence d’une certaine dextérité pour le patient. Ce qui ne peut que poser problème au fur et à mesure qu’il vieillit.

 Votre système électronique innovant présente donc une avancée technologique forte ?

D’abord il est simple à implanter et se pose en 30 minutes. Ensuite, comme je l’ai expliqué, il est facile à utiliser et s’adapte aux hommes comme aux femmes. Enfin, surtout, il est personnalisable. Cela signifie que la taille de l’anneau peut être adaptée par le chirurgien au moment de la pose, car chaque urètre est différent. Son caractère adaptable s’exprime aussi, via la télécommande, dans la possibilité par exemple d’utiliser un « mode nuit » : lorsque le corps est allongé, les zones de pression sont très limitées. Et l’on peut alors sans danger relâcher un peu le dispositif. C’est la garantie de moins fatiguer la zone concernée de l’organisme et de ménager ainsi l’environnement physiologique et musculaire. On évite ainsi le gros inconvénient du dispositif hydraulique, provoquant à la longue un phénomène d’érosion néfaste.

 Affluent a également développé deux autres produits, cette fois-ci dans le domaine de la cardiologie.

Dans ce domaine de la prothèse cardiaque, notre ambition est de répliquer au plus près le cœur humain afin de produire un fonctionnement aussi physiologique que possible. Nos deux dispositifs s'adressent aux personnes souffrant de régurgitation mitrale. C’est un dysfonctionnement de la valve mitrale dont la fonction est de faire passer le sang entre l’oreillette gauche et le ventricule gauche, la partie « moteur » du cœur. Il arrive que le feuillet qui constitue cette valve s’abîme, et dans ce cas un peu de sang revient en arrière. Il peut, dans les acceptions les plus graves, envahir les poumons. Sinon, la plupart du temps, il représente un surplus de liquide à pomper et provoque par conséquent une fatigue du muscle. Fatigue qui favorise l’insuffisance cardiaque, représentant un danger réel pour le patient. La régurgitation mitrale concerne environ 2 % de la population, et 12 % des personnes âgées de 70 ans et plus. C’est donc un vrai sujet médical, et un vrai marché pour Affluent dont le potentiel avoisine 4 milliards de dollars annuels.

 Comment envisagez-vous de soigner cette pathologie cardiaque ?

De deux manières, en fonction de l’état général du patient : on peut soit réparer, soit remplacer la valve. L’option curative consiste à placer un anneau autour de la valve mitrale pour la resserrer. Ce dispositif a été inventé par le professeur Carpentier, le fondateur de Carmat. Nous reprenons la même idée avec notre dispositif Kalios, avec toutefois une différence importante : au lieu d’un dispositif fixe, qui présente le fort désavantage de répliquer le problème un peu plus tard, le nôtre est adaptable. Il peut se régler facilement en 15 à 20 minutes, et se fixer ainsi à la taille adaptée à l’évolution de la maladie. Pas besoin par conséquent de réopérer, ni dans le pire des cas de se résoudre à laisser le patient dans son état.

 Et lorsque la valve est trop abîmée et qu’il faut la remplacer ?

Dans ce cas, notre deuxième dispositif prévoit d’implanter un dispositif par voie transcathétère. Cela signifie qu’on peut alors se passer d’une opération lourde à cœur ouvert, nécessitant notamment de mettre en place une circulation sanguine extra-corporelle. Cette technique fait en effet peser un risque important sur le patient et nécessite un délai de récupération très long. Elle est remplacée, du côté de notre dispositif Epygon, par une incision de l’ordre de 1 cm comme point d’entrée dans le thorax vers le ventricule gauche. Une solution alternative est de passer par l’artère fémorale vers l’oreillette gauche. Autant dire que cette technique représente une forme de révolution ! Notre philosophie rejoint sur le fond celle de Carmat : nous cherchons à concevoir une prothèse qui ressemble le plus possible à la valve naturelle, en répliquant par exemple le flux sanguin singulier du ventricule gauche de la manière la plus physiologique possible.

 À quel stade de développement ou études en sont actuellement vos produits ?

Nos trois dispositifs poursuivent en ce moment les phases cliniques, mais approchent de leur mise sur le marché. En 2023, Kalios sera certifié et commercialisé. Début 2024, ce sera le tour d’Artus, dont le déploiement prévu d’abord en Europe se doublera rapidement d’une présence aux États-Unis. Enfin, en 2025, Epygon suivra la même stratégie d’une commercialisation européenne suivie quelques mois plus tard d’un déploiement outre-Atlantique. Pour simplifier : un produit mis sur le marché chaque année à partir de 2023 !

 Vous parliez d’un potentiel de 4 milliards de dollars pour le marché mondial de la régurgitation mitrale. Les autres marchés sur lesquels vous évoluez sont-ils aussi dynamiques ?

Là où nous nous plaçons, le besoin est très important et en croissance continue. En parallèle de nos deux premiers dispositifs, il n’existe peu ou pas d’alternatives adaptées pour soigner ces pathologies. On parle pour la régurgitation mitrale d’un marché de l’ordre de 4,7 milliards de dollars en 2027, mais selon nos prévisions il pourrait accélérer encore pour se dimensionner à maturité autour de 10 milliards de dollars. Côté Artus, le marché estimé en 2019 s’élevait à 2,2 milliards de dollars. En 2029, il devrait avoir dépassé les 4 milliards. Sur ces marchés à très haut potentiel, nos dispositifs innovants devraient donc s’installer très rapidement car nos concurrents y sont mal ajustés. Comme déjà évoqué, le seul dispositif alternatif à Artus a trente ans et présente de sérieux inconvénients. Il n’existe pas d’autres anneaux ajustables ressemblant à Kalios. Enfin, autour de notre dernier dispositif Epygon, il existe bien des produits en développement. Aucun toutefois ne cherche à se rapprocher aussi près que le nôtre de la réplication exacte de la valve cardiaque.

 Comment l’actuelle IPO s’inscrit-elle dans votre stratégie de croissance à moyen terme ?

Comme toutes les medtech, à moins de deux ans de la commercialisation de notre premier produit, nous devons en priorité aboutir les études cliniques engagées qui mèneront vers les autorisations de mise sur le marché. C’est pourquoi nous prévoyons de consacrer à ce premier axe essentiel 45 % des 33 millions d’euros visés comme objectif de cette levée de fond. Deuxième enjeu, poursuivre notre R&D de façon à continuer à améliorer nos produits et leur exploitation future : un investissement correspondant dans notre plan de développement à 25 % des sommes récoltées. Naturellement, nos équipes commerciales vont croître à mesure que nous débuterons la commercialisation de nos produits. C’est pourquoi nous prévoyons de les renforcer en leur attribuant 20 % de la levée de fonds. Dernier élément, pour les 15 % restants : rembourser notre dette, un besoin classique inhérent au modèle de la medtech.

 Prévoyez-vous à l’avenir de déployer d’autres prothèses artificielles adressant de nouvelles pathologies ?

Affluent a sécurisé l’avance gagnée grâce à son travail de R&D par l’enregistrement de 31 familles de brevets protégées jusqu’en 2041. Cependant, dans ces différentes technologies, 3 familles ne sont à ce jour pas encore développées. Elles représentent de fait un potentiel supplémentaire et stratégique pour Affluent, et de nouvelles cartes à jouer afin de maintenir notre avance et concevoir les dispositifs les plus qualitatifs et adaptés possibles aux pathologies que nous adressons.




Aymeric Jeanson
 

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