Interview de Tristan Camp : Senior Client Portfolio Manager chez Royce Investment Partners, filiale du groupe Franklin Templeton

Tristan Camp

Senior Client Portfolio Manager chez Royce Investment Partners, filiale du groupe Franklin Templeton

Small caps américaines : vers un surcroît de performance dès 2025

Publié le 30 Janvier 2025

Royce Investment est une filiale d'investissement du groupe Franklin Templeton. Votre particularité est liée au fait que vous êtes spécialisés sur les petites capitalisations américaines et internationales depuis 1972. Vous êtes d’ailleurs précurseurs en la matière.
Une première question de nature pédagogique. Qu'est-ce qu'on entend par petites capitalisations ?

Il n’existe pas vraiment de définition officielle des petites capitalisations. Pour les besoins de la gestion de portefeuille et c'est ce vers quoi s'est dirigé l'industrie dans son ensemble, nous avons une définition relative.

Nous entendons par petites capitalisations les sociétés qui ont une capitalisation boursière allant jusqu’à 7 milliards de dollars 

Pour cela, nous tenons compte de la composition de Russell 2000 qui est le benchmark le plus utilisé aux Etats-Unis pour les petites capitalisations.
Nous entendons par petites capitalisations, toutes les sociétés cotées qui ont une capitalisation qui va jusqu’à la principale ligne de cet l’indice.
Cet indice est reconstitué une fois par an, au mois de juin. La plus grande société comprise dans l'indice, en juin 2024, faisait 7 milliards de dollars de capitalisation boursière.
Par conséquent, notre univers d'investissement pour les portefeuilles investis dans les petites capitalisations regroupe présentement les sociétés cotées qui ont une capitalisation boursière allant jusqu’à 7 milliards de dollars.

Vous constatez actuellement une situation où les petites capitalisations ont nettement sous-performé ces dernières années par rapport aux grandes capitalisations...
Si elle est également avérée en Europe, cette sous performance est particulièrement prononcée aux Etats-Unis du fait du phénomène d’engouement pour les 7 magnifiques, autrement dit les grandes sociétés technologiques qui ont dominé le marché. Ces grandes sociétés technologiques qui sont objectivement des sociétés exceptionnelles en termes de taille, de qualité, de croissance, de solidité du bilan, et qui sont en capacité à dominer leur marché et de générer des flux de trésorerie extrêmement élevés ont attirées vers elles l'intérêt des investisseurs.
Cela a laissé les petites capitalisations dans l'ombre.

Il y a un vrai écart entre la performance constatée ces dernières années et celle délivrée en rythme de croisière 

A la fin de 2024, la performance annualisée moyenne sur trois ans des petites capitalisations américaines ressort à - 1,2 %, alors que la performance annualisée sur toutes les périodes de trois ans glissants depuis une quarantaine d'années et de 10,5%. Il y a donc un vrai écart entre la performance constatée ces dernières années et celle délivrée en rythme de croisière.

Vous êtes d’avis que cet écart de performance devrait se résorber …
C’est ce que nous indiquent les données historiques. Lorsque l’on considère les données depuis 1981, à chaque fois que la performance des petites capitalisations a été particulièrement faible, les trois ans qui ont suivi se sont révélées bien meilleures.
C’est ce que nous anticipons cette fois-ci encore. Nous nous attendons à un effet de rattrapage de ces petites capitalisations avec un retour à la moyenne.

Quelle est la moyenne historique ?
La performance moyenne annualisée sur toutes les périodes de trois ans glissants depuis fin 1981 est de 10,5% par an.

la performance pour les trois années qui suivent est historiquement de 16,7 % par an 

Cependant, nous sommes actuellement dans une configuration atypique où les performances passées ont été singulièrement anémiques, de moins de 3 % par an en moyenne. Aussi, dans une telle situation, la performance pour les trois années qui suivent est historiquement de 16,7 % par an.

Dit autrement, il y a un surcroît de performance à attendre. Quels seraient les catalyseurs ?

En premier lieu, nous sommes dans un marché très concentré 

En premier lieu, nous sommes dans un marché très concentré. La période de concentration que nous vivons est d’ailleurs sans précédent. Fin 2024, les cinq principales sociétés du S&P500 représentaient 28 % de l’indice.
Par le passé, de telles périodes de concentration très marquée, à l’instar de celle des années 2000, donnent suite à une phase favorable aux sociétés qui n’ont pas profité de ce mouvement de concentration, telles que les petits capitalisations.

Un deuxième facteur réside dans le niveau de valorisation relatif aux grandes capitalisations. Les valorisations dans l'absolu sont raisonnables s'agissant des petits capitalisations aux US, alors que sur une base historique, les niveaux sur les grands capitalisations sont élevés.
Il y a un net retard de valorisation des petites capitalisations vis à vis des grandes capitalisations.

Un deuxième facteur réside dans le niveau de valorisation

Plus précisément, fin 2024, le PE sur douze mois glissants de l'indice Russell 2000 était à 17,7.
Alors que pour l’indice Russell 1000, son équivalent constitué de grandes capitalisations, proche du S&P 500, nous étions sur 27,2 fois.
Or, en général sur longue période, les petites capitalisations se traitent plutôt avec une prime en termes de valorisation vis à vis des grandes capitalisations.

Hormis ce phénomène de concentration, et le retard de valorisation, voyez-vous d’autres catalyseurs ?
Un élément nouveau, cette année est le redémarrage attendu de la croissance des revenus qui devrait avoir un effet positif sur les marges et tirer à la hausse les bénéfices.
Nous sortons de deux années de déclin des bénéfices pour les entreprises du Russell 2000 en 2023 (-11,6%) et 2024 (-13,2%, chiffre non encore définitif) au contraire de ce qu'on a constaté pour les grandes capitalisations.

Est attendu pour 2025, une croissance de 44, 4 % des bénéfices 

Cette année, du fait d'une base de comparaison plus favorable, et aussi du fait que de nombreuses petites entreprises sont parvenues à maîtriser leur base de coûts, s’est créé un levier opérationnel favorable.
Est attendu pour 2025, une croissance de 44, 4 % des bénéfices.

Est-ce qu'à l'intérieur justement de cette performance et de ce retour à la moyenne escomptée, certains segments d’activités émergents plus que d’autres ?
Notre approche bottom up de sélection titres nous amène vers des titres qui appartiennent essentiellement au secteur industriel et au secteur technologique. C'est là que nous voyons le plus d'opportunités à l'heure actuelle.

Nous voyons le plus d'opportunités dans le secteur industriel et dans le secteur technologique 

Dans le secteur industriel, nous sommes investis dans les sociétés qui évoluent dans la construction et l’ingénierie, les matériaux de construction, la construction de routes… qui ont en commun d’être implantées dans le centre des Etats-Unis, d'être très tournées vers l’économie locale et de bénéficier d'un certain nombre de tendances assez fortes dans l’économie américaine. Parmi ces dernières figurent un mouvement de relocalisation depuis la crise du covid, d’importants investissements publics et privés pour accélérer l’électrification de l’économie américaine, le déploiement de programmes de rénovation des infrastructures physiques…

Qu’en est-il du secteur technologique ?
Nous sommes notamment exposés à des sociétés qui appartiennent à l’écosystème de l’industrie des équipements de télécom et de l'industrie de semi-conducteurs. Par exemple, nous avons constitué des lignes dans des fournisseurs de composants et de services destinés aux centres de données et dans des sociétés qui fabriquent des cartes tests utilisées dans le processus de fabrication de semi-conducteurs.
Ce sont des sociétés qui participent aux tendances de long terme, en particulier des dépenses faramineuses qui sont engagées pour diffuser l'IA et qui bénéficient d’un champ élargi d’application, au-delà des équipements électroniques, dans les voitures électriques, les appareils électroménagers, ou encore l'aéronautique.

Si vous êtes particulièrement pondérés dans ces secteurs, êtes-vous sous exposés dans d'autres parties du marché ?
Nous sommes très peu exposés au secteur financier, et particulièrement les banques.

Nous sommes très peu exposés au secteur financier, et particulièrement les banques 

Le marché bancaire aux Etats-Unis est différent de ce qu'il est dans la plupart des pays européens, très consolidé, très concentré.
Il y a environ 5 000 établissements bancaires aux Etats-Unis de différentes tailles. Notre univers d’investissement naturel serait les petites banques locales. Or, elles ne sont pas très intéressantes sur le plan de la valorisation et aussi d'un point de vue fondamental. Les perspectives de développement sur les prochaines années sont médiocres. Il n’y a pas beaucoup de différenciation. Les établissement sont très régulés et font l'objet d’une vive concurrence de la part de nouveaux entrants comme les fintechs.
Ce n’est pas un secteur d'activité particulièrement propice à la recherche d’opportunités.

Qu’est ce qui fait la particularité de votre philosophie d’investissement ?

Notre approche est plutôt une approche de retournement 

Notre approche est plutôt une approche de retournement. On investit au moment où la société n’est pas en très bon état sans pour autant faire l’objet d’un risque existentiel.

Nous ne nous interdisons pas d’investir en bas de l'échelle, sur des sociétés ayant moins d'un milliard de dollars de capitalisation boursière. Celles-ci peuvent représenter entre 35 et 50 % de nos portefeuilles.
C'est un univers que la plupart des fonds activement gérés, dans la partie UCITS, tendent à éviter, ou dans lequel ils n'ont pas de grosse exposition.
Nous avons un centre de gravité, de ce point de vue là, qui est inférieur à de ce que font la plupart des fonds.

Et du coup, comment gérez-vous le risque de liquidité ?
Nous sommes très diversifiés. Le fonds se compose de plus de 200 lignes.

Le fonds se compose de plus de 200 lignes

Nous nous arrêtons aux alentours de 1 % par ligne. C'est ce qui permet de gérer le risque de liquidité en plus du risque spécifique à chaque titre.

Avez-vous un regard sur le phénomène Deepseek qu'on connaît sur les marchés depuis ce lundi et qui a impacté de plein fouet les grandes valeurs technologiques américaines qui évoluent autour de l’intelligence artificielle ?
Ce qui se passe ces derniers jours est très à propos. Je crois que ça renforce notre argument selon lequel il y a un certain risque dans les indices de grandes capitalisation compte tenu du niveau de concentration. Ces valeurs sont souvent corrélées. Il suffit qu'un événement externe se produise pour créer un impact assez important.

Le phénomène Deepseek est très a propos 

 
Nous n’opposons pas les petites capitalisations et les grandes capitalisations.
Nous sommes en accord avec l’idée que ces entreprises de croissance sont dans une certaine mesure incontournables.
Notre point de vue est de dire qu’étant donné la progression ces dernières années des indices grandes capitalisations, des niveaux de valorisation, des niveaux de concentration, il serait propice de constituer une poche même limitée de diversification avec des entités qui composent l’autre extrême du marché, qui sont en retard de performance, en retard de valorisation et dont la situation fondamentale est bonne.

Que pensez-vous des ETF équipondérés ?
Ces produits peuvent être une bonne option. D'ailleurs, on observe que quand l’indice équipondéré commence à mieux performer que l'indice pondéré, en général, cela traduit le fait que la performance se propage dans l’indice ailleurs que dans les principales lignes. Ceci est corrélé avec une meilleure performance des petits capitalisations.

Les ETF équipondérés présentent des limites 

 
Mais si on s'arrête à ces ETF équipondérés, on ne participe pas à ce qu'on a vu par ailleurs, à savoir la sous valorisation des petites capitalisations, ainsi que le redémarrage attendu de la croissance des bénéfices
Par ailleurs, nous sommes en faveur d'une gestion active, partant du fait que l’indice Russell, 2000, à l’inverse du S&P 500 où la plupart des sociétés sont de très bonne qualité et solidement rentables, est surtout constitué à partir d’un critère de taille.
45 % de l’indice Russell 2000 est en perte. Quand on achète l’indice, on achète un peu tout et pas forcément du très bon.

45 % de l’indice Russell 2000 est en perte 

Donc si on part de ce principe, un fonds activement géré peut offrir un alpha non négligeable, et une vraie espérance de gain, par rapport à un simple ETF qui suivrait le Russell 2000.

Il n’est pas anodin d’observer que les fonds activement gérés dans les small caps US sont une rares catégories du marché où les flux ont été positifs quasiment en continue depuis un an ou deux. Les investisseurs, admettent l'idée qu’il y a un réel argument en faveur la gestion active.

Est-ce que cette anticipation du retour à la moyenne vous a conduit à procéder à des changements dans votre allocation d'actifs ?
Nous avons un process très discipliné qui a d'excellents résultats sur longue période.

Nous avons un process très discipliné qui a d'excellents résultats sur longue période 

Nous cherchons à ce que le portefeuille soit meilleur marché que l’indice en s’exposant à des titres qui en plus d’un potentiel de valorisation, ont un potentiel de rattrapage qui est dû aux perspectives intrinsèques de chacune des valeurs inhérentes.
Nous ne modifions pas le portefeuille en fonction de nos vues sur le marché dans son ensemble même si la vue macro entre en ligne de compte.
Nous regardons objectivement où nous pensons trouver les meilleures opportunités et nous faisons évoluer le portefeuille très progressivement en fonction de ces critères très bien définis.

A présent, il est vrai que notre vue actuelle nous rend plus optimiste pour le marché dans son ensemble. Les entreprises qui sont plus sensibles à la conjoncture sont bien positionnées. Notre portefeuille a un aspect cyclique certain.
Le secteur industriel et le secteur technologique sont assez sensibles à la conjoncture.

Votre fonds le plus connu en France est notamment Royce U.S small cap Opportunity. Quelles sont les principales caractéristiques de ce fonds ?
A l'heure actuelle, le portefeuille compte 226 lignes. Son principal objectif est la captation de la hausse dans les phases de hausse du marché. Il a un historique de performances en phase avec cet objectif.
Quand on regarde sur longue période, lorsque le marché connait un rallye, on est en hausse plus que marché. La contrepartie, c'est que quand on a des périodes de stress, le fonds est davantage en baisse en raison de l’exposition à des titres plus bas dans le dans le spectre et en raison du positionnement plus cyclique.

Sur longue période, le fonds parvient à surperformer le marché dans la durée 

Notre démarche est de repositionner le portefeuille à la marge dans les moments de grande volatilité pour le rendre encore meilleur marché. On vend progressivement ce qui se tient un peu mieux dans les phases de baisse et on renforce les titres qui sont le plus affectés.
Un tel comportement est de nature à quelque peu accentuer à court terme la sous performance en amplifiant la cyclicité du portefeuille et en reculant son centre de gravité. Néanmoins, sur longue période, in fine, le fonds parvient à surperformer le marché dans la durée.

Quel serait le principal risque qui pourrait justement compromettre ce fameux retour à la moyenne des petites capitalisations américaines ?

Le risque principal résiderait dans un retour à la hausse des taux directeurs

Le risque principal résiderait dans un retour à la hausse des taux directeurs de la Réserve fédérale américaine notamment du fait d’un rebond de l’inflation consécutivement à certaines mesures prises par l’administration Trump.


AVERTISSEMENT

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Les performances passées ne préjugent pas des performances à venir. Elles ne sont pas constantes dans le temps et ne constituent en rien une garantie de performances futures. »


Imen Hazgui