Interview de Pierre Coiffet  : Gérant actions au sein de La Financière de l'Echiquier

Pierre Coiffet

Gérant actions au sein de La Financière de l'Echiquier

Banques européennes : pourquoi la valorisation actuelle du secteur n'est pas trop élevée

Publié le 08 Octobre 2025

Pour commencer, pouvez-vous nous expliquer ce que recouvre la notion de value ?
La value désigne d’abord des sociétés présentant une décote manifeste au regard de leur historique et de leurs perspectives de résultats — par exemple, un ratio cours/bénéfices (PER) passé de 35 fois à 20 ou 25 fois. Mais c’est avant tout une approche de gestion : il s’agit d’identifier des entreprises momentanément sous-valorisées, pour lesquelles nous percevons un catalyseur crédible — amélioration des fondamentaux, redressement opérationnel, changement de cycle — susceptible de provoquer à la fois une hausse du cours de bourse et une revalorisation des multiples.
À l’inverse, nous cherchons à éviter les value traps, ces sociétés durablement décotées sans perspective de redressement. Autrement dit, une entreprise n’est pas « value » par essence ou de manière permanente : elle le devient lorsque sa décote est temporaire et réversible.

L’année 2025 a semblé particulièrement favorable à la value en Europe. Quel regard portez-vous sur cette dynamique ?
Sur les dix dernières années, la value et la growth (croissance) ont affiché en Europe des performances globalement similaires, autour de 92%, mais selon des cycles distincts.
Cette alternance plaide pour maintenir une poche value dans toute allocation patrimoniale de long terme selon notre analyse : elle assure une diversification utile, compense certains biais de style et permet de capter des phases entières de rattrapage, comme celle que nous connaissons actuellement.

Restons un instant sur le secteur bancaire, principal moteur de la value en Europe. Comment l’analysez-vous aujourd’hui ?
Les banques représentent environ 28 % d’un indice value européen, et nous y sommes légèrement surpondérés. Après la crise de 2008–2009, douze années de durcissement réglementaire ont comprimé la rentabilité du secteur : le ratio de solvabilité moyen a été multiplié par trois ou quatre, ce qui a mécaniquement abaissé le retour sur fonds propres (ROE), les bénéfices étant répartis sur un capital plus important.
Depuis quatre ans, la situation s’améliore sensiblement :
• la montée en capital est désormais achevée, avec un ratio de solvabilité moyen d’environ 15 % en Europe ;
• les contributions aux fonds de garantie européens sont quasiment terminées (environ 85 milliards d’euros déjà constitués) ;
• le ROE progresse nettement, autour de 15 à 17 % selon les pays.

Trois moteurs principaux soutiennent cette trajectoire :
1. Les volumes de prêts repartent à la hausse, notamment en Espagne, avec une possible extension du mouvement à l’Allemagne via la relance budgétaire.
2. La marge d’intérêt demeure solide, portée par une courbe des taux toujours pentue et par la gestion actif-passif — le portefeuille de réplication — qui prolonge la rentabilité même si les taux se détendent.
3. Les commissions augmentent dans les modèles diversifiés (assurance, banque privée, gestion d’actifs), certains établissements (tel que Intesa Sanpaolo) leaders affichant désormais un équilibre 50/50 entre marge d’intérêt et commissions.
Sur le plan des coûts, les plans d’efficacité — réduction du réseau d’agences, digitalisation — ont permis d’abaisser le coefficient d’exploitation aux alentours de 50 % chez les meilleurs acteurs. Parallèlement, le coût du risque reste historiquement faible, grâce à une meilleure sélection des crédits et à l’externalisation des créances douteuses (ratio de prêts non performants d’environ 2 %, contre 8 à 10 % il y a dix ans).

En conséquence, les bénéfices par action attendus pour 2025 progressent de 8 à 10 %, révisés à la hausse après le premier semestre (+5 %), tandis que les prévisions pour 2026 tablent sur une nouvelle hausse d’environ 10 %.

Au-delà des fondamentaux, pourquoi dit-on que le secteur bancaire « a le vent en poupe » en 2025 ?
Parce qu’il est relativement préservé des grands vents contraires actuels : il ne subit pas directement les hausses de droits de douane américains, n’est pas exposé à un risque de change défavorable, et reste profondément ancré dans les économies domestiques — ce qui correspond à la préférence actuelle du marché pour les revenus locaux.
De plus, les stress tests européens menés par la Banque centrale européenne ont confirmé la robustesse accrue du système, ce qui autorise des retours à l’actionnaire substantiels.
Justement, que peut-on dire du retour à l’actionnaire dans le secteur bancaire ?
C’est aujourd’hui un catalyseur majeur. Les distributions de dividendes en numéraire atteignent fréquemment 50 % des bénéfices, et parfois jusqu’à 75 % chez certains acteurs italiens. À cela s’ajoutent des programmes de rachat et d’annulation d’actions, désormais validés au cas par cas par la Banque centrale européenne.
Combinés, dividendes et rachats portent souvent le rendement total autour de 11 à 12 % en moyenne européenne, contre environ 6 % pour le seul dividende.
Ces pratiques sont rendues possibles par une surcapitalisation confortable : le ratio de solvabilité moyen avoisine 15 %, bien au-dessus des exigences réglementaires, généralement inférieures à 11 %. 

La valorisation actuelle du secteur n’est-elle pas déjà trop élevée ?
Malgré sa progression, le secteur bancaire demeure attractif. Il se valorise autour de 9 fois les bénéfices estimés pour 2026, soit une décote d’environ 37 % par rapport au marché européen, quand la décote « normale » avant la grande crise financière se situait plutôt autour de 15 %.
Or, les fondamentaux — solvabilité, maîtrise des coûts, qualité du risque, rentabilité — sont bien meilleurs qu’il y a quinze ans. Cette décote paraît donc excessive. Nous anticipons à la fois la poursuite de la croissance des bénéfices et une modeste expansion des multiples (de 9 à 11 ou 12 fois), ainsi qu’une réduction de l’écart avec les banques américaines, encore valorisées avec une prime d’environ 26 %.

La consolidation du secteur peut-elle constituer un relais de performance ?
Les opérations de fusion-acquisition domestiques progressent — en Italie ou en Espagne notamment — mais la véritable création de valeur viendrait de fusions transfrontalières.
Celles-ci demeurent limitées par l’absence d’Union bancaire pleinement aboutie : des contraintes politiques et des exigences de fonds propres pays par pays diluent le rendement sur fonds propres des opérations. Tant que ces obstacles persisteront, les rapprochements resteront opportunistes. Si l’Union bancaire se concrétise, le champ des possibles s’élargira considérablement, et le M&A pourrait devenir un moteur à part entière.

Comment se répartit le reste de votre allocation sectorielle value ?
En dehors des banques et du secteur financier au sens large, nous détenons des assureurs et réassureurs décotés (AXA, Allianz, Munich Re). 
Nous restons sous-pondérés sur la consommation (de base comme discrétionnaire), l’énergie (notre fonds, classé article 9, exclut les valeurs pétrolières, mais nous avons pris quelques positions tactiques industrielles telles que Vallourec ou Technip Energies), la chimie (par prudence) et certaines industries cycliques (de manière sélective).
En revanche, nous sommes surpondérés en foncières — notamment en Allemagne, en Espagne — sur des dossiers de qualité, disposant de bilans solides et d’actifs de premier ordre selon nous.

Le secteur de la santé, en difficulté ces dernières années, est-il devenu un thème value ?
Le secteur a perdu son statut défensif en bourse : l’efficacité de la recherche et développement s’est affaiblie, tandis que la pression sur les prix s’est accentuée, y compris aux États-Unis.
Nous pensons que certaines valeurs présentent désormais une décote attrayante. Nous y sommes présents de manière sélective — par exemple Sanofi ou Roche — sans en faire un thème surpondéré. Nos critères de sélection reposent sur la rentabilité, la crédibilité du pipeline et la discipline dans l’allocation du capital.

Et qu’en est-il du luxe, qui a lui aussi souffert ?
Le repli des multiples de valorisation rend désormais certaines valeurs du luxe à nouveau intéressantes pour une approche value.
Nous restons toutefois prudents et exigeants : nous observons attentivement la croissance organique, la qualité du mix produits, la diversification géographique et la capacité de fixation des prix.

Enfin, le secteur automobile — avec un cas comme Renault — entre-t-il dans votre univers value ?
Oui, nous sommes investis depuis le redressement opéré sous la direction de Luca de Meo. Malgré quelques remous récents — départ du DG, révisions de perspectives, changement de ton dans la communication — la thèse d’investissement reste spécifique : exposition limitée aux marchés les plus concurrentiels (ni États-Unis ni Chine), repositionnement réussi sur le véhicule électrique avec une offre adaptée (notamment la R5), leviers internes encore importants et discipline capitalistique renforcée.
Nous demeurons constructifs et positionnés dans une optique de long terme.

Pourquoi privilégier un fonds value plutôt qu’un fonds spécifiquement bancaire ?
Un fonds value apporte une double diversification, à la fois de style et sectorielle, tout en permettant d’exprimer des surpondérations tactiques : surpondérer les banques, certes, mais aussi sélectionner des valeurs dans l’assurance, l’immobilier coté, les services financiers ou encore l’industrie.
Un fonds spécialisé dans le secteur financier peut parfaitement cohabiter (nous en gérons d’ailleurs un, très exposé aux banques et à l’Italie), mais le socle patrimonial gagne à s’appuyer sur une brique value plus large, capable de capter les différents catalyseurs de revalorisation au-delà du seul univers bancaire.

 Consultez la fiche transactionnelle achat/vente du fonds Tocqueville Value Euro ISR (FR0013230059)

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Imen Hazgui