Interview de Malik Haddouk : Directeur de la Gestion Diversifiée et Convertibles chez CPR Asset Management.

Malik Haddouk

Directeur de la Gestion Diversifiée et Convertibles chez CPR Asset Management.

Etats-Unis, Europe : où en sont les valorisations des marchés actions et les perspectives de croissance des bénéfices des entreprises ?

Publié le 07 Octobre 2025

Quel regard portez-vous aujourd’hui, en septembre 2025, sur l’évolution des marchés par rapport à vos attentes initiales ?
Nous avons globalement été agréablement surpris. Les marchés financiers ont fait preuve d’une résilience remarquable, et ce malgré des valorisations relativement tendues et un environnement mondial marqué par de multiples incertitudes, qu’elles soient politiques – conflits géopolitiques, échéances électorales majeures – ou économiques – inflation persistante, tensions budgétaires. Contrairement aux scénarios prudents envisagés en début d’année, la croissance mondiale n’a pas connu de rupture significative.

Les entreprises, notamment dans les économies développées, ont affiché une solidité inattendue : leurs marges bénéficiaires se sont maintenues, voire améliorées. Cette performance tient à plusieurs dynamiques majeures :
• La baisse des prix de l’énergie, en particulier du pétrole, a soutenu de nombreux secteurs d’activité.
• L’essor spectaculaire de l’intelligence artificielle a stimulé non seulement les grands acteurs technologiques, mais également l’ensemble de la chaîne de valeur – des semi-conducteurs au cloud et à la cybersécurité.
• L’assouplissement progressif des conditions financières aux États-Unis, conjugué à une économie américaine demeurée robuste, a favorisé le maintien d’une demande intérieure soutenue.

Ces évolutions ont été renforcées par d’autres facteurs positifs :
• La relance budgétaire engagée en Allemagne, dont les annonces ont eu un effet psychologique immédiat, et qui devrait à présent se traduire concrètement par une réaccélération de la première économie de la zone euro, entraînant dans son sillage la région dans son ensemble.
• En Chine, la mise en place de mesures répétées de soutien à la consommation intérieure, qui ont permis d’éviter un ralentissement plus prononcé.

Comment expliquez-vous le “trou d’air” observé au printemps, entre mars et avril ?
Ce repli s’explique par une double source d’inquiétude.
D’une part, des doutes ont émergé quant à la capacité des grandes entreprises technologiques américaines à maintenir une trajectoire de croissance exceptionnelle après plusieurs trimestres de performances hors normes.
D’autre part, la crainte d’une récession mondiale s’est ravivée dans un contexte de tensions géopolitiques accrues – guerre en Ukraine, frictions commerciales, rivalités sino-américaines.
Ces craintes se sont toutefois rapidement dissipées, grâce à :
• Des résultats d’entreprises supérieurs aux attentes, notamment dans les secteurs technologique et énergétique.
• Une économie mondiale qui a continué de surprendre positivement.
• Des taux obligataires en hausse, mais demeurant en deçà de seuils jugés critiques pour l’investissement.

Quels sont les grands enjeux pour la fin de l’année 2025 ?
Le principal défi réside aujourd’hui dans la désynchronisation des politiques monétaires.
• La Réserve fédérale américaine poursuit son cycle de baisse des taux.
• La Banque centrale européenne adopte une posture prudente, sans initiative marquante.
• La Banque du Japon hésite encore entre le maintien d’une politique ultra-accommodante et une timide normalisation monétaire.

Cette divergence de trajectoires entraîne plusieurs conséquences :
• Un affaiblissement du dollar, susceptible de redonner de l’élan aux marchés européens et émergents.
• Mais également la persistance de risques notables : en Europe, les déséquilibres budgétaires, notamment en Italie et en France, pèsent sur la crédibilité des finances publiques ; sur le plan géopolitique, les tensions persistantes – guerre en Ukraine, protectionnisme commercial, rivalités stratégiques – continuent d’alimenter l’incertitude.

Quels sont aujourd’hui les principaux risques pour les marchés ?
• Un ralentissement du marché de l’emploi américain : un affaiblissement marqué de l’emploi pèserait lourdement sur la confiance des ménages et sur la consommation.
• Une remontée excessive des taux obligataires : aux États-Unis comme en Europe, une tension trop forte sur les rendements pourrait fragiliser les valorisations boursières et compliquer le financement des entreprises.
• La persistance de déséquilibres budgétaires, en particulier en Europe, où plusieurs économies doivent trouver un équilibre délicat entre soutien à l’activité et rigueur budgétaire.

À ce stade, le scénario central demeure celui d’une croissance modérée, mais un retournement rapide ne peut être exclu si le marché de l’emploi venait à se détériorer significativement.

Quelles perspectives de croissance des bénéfices des entreprises sont actuellement anticipées ?
• États-Unis : la dynamique reste solide, avec une croissance attendue des bénéfices d’environ entre +9 % et +11 % en 2025, puis +13 % en 2026.
• Europe : après une année 2025 contrastée (entre +0 % et +3 %), la reprise espérée en 2026 devrait porter la croissance des bénéfices entre +8 % et +9 %.

• Valorisations : bien que supérieures à leurs moyennes historiques, elles demeurent soutenues par des perspectives bénéficiaires favorables et un environnement monétaire plus souple :
o États-Unis : PER autour de 23,5 – 24
o Europe : PER autour de 15
o Japon : PER autour de 14
o Marchés émergents : PER autour de 13

Quelle est votre vision concernant le dollar ?
Nous anticipons une poursuite du mouvement de baisse du dollar américain, avec un objectif à 1,20, pour plusieurs raisons :
• La désynchronisation croissante entre une Réserve fédérale engagée dans un cycle de baisse des taux et d’autres banques centrales plus attentistes.
• La diversification progressive des réserves des banques centrales des pays émergents, qui tendent à privilégier davantage l’or comme actif de réserve.
• Une réallocation des flux d’investissement vers les marchés émergents, notamment en Asie et en Amérique latine, attirés par des devises plus stables et des perspectives de croissance supérieures.

Peut-on parler d’une dichotomie des stratégies d’investissement entre l’Europe et les États-Unis ?
Oui, indéniablement.
• Aux États-Unis, la stratégie demeure orientée vers la croissance, avec une prédominance des valeurs technologiques et des acteurs liés à l’intelligence artificielle.
• En Europe, l’approche est davantage axée sur la “value”, privilégiant les secteurs bancaire, industriel et énergétique, qui présentent des valorisations attractives.

Nous pensons que le dernier trimestre 2025 pourrait marquer un tournant, avec :
• Des rotations géographiques, traduisant un allègement partiel des positions américaines au profit des marchés européens et émergents.
• Des rotations sectorielles, avec des prises de bénéfices sur les mégacapitalisations technologiques et un regain d’intérêt pour les petites capitalisations, l’énergie (prénalisé entre autres par la hausse de la production de l’OPEP) et le secteur de la santé-pharmacie (mis à mal par la baisse des tarifs).

Comment structurer aujourd’hui un portefeuille diversifié entre actions, obligations et matières premières ?
• Actions : il convient de rester investi dans une optique de long terme, tout en conservant des liquidités mobilisables en cas de correction ponctuelle. Comme évoqué, une primauté est à donner aux actifs émergents, suivis des actifs européens et en dernier lieu des actifs américains.
• Obligations et crédit : ces segments apparaissent très attractifs dans le contexte actuel, en particulier aux États-Unis, où les rendements réels offrent un coussin de protection appréciable. Nous apprécions également la dette émergente. Nous sommes moins optimistes sur ce point concernant l’Europe.
· Matières premières : il est pertinent de maintenir une exposition stratégique, en particulier à l’or, en dépit de sa forte hausse, valeur refuge dans un contexte de dollar affaibli et de tensions géopolitiques persistantes.

Un dernier point à souligner ?
Le fil conducteur de cette période reste la résilience des entreprises. Portées par l’innovation – notamment dans le domaine de l’intelligence artificielle – et par un environnement monétaire plus favorable, elles ont su absorber les chocs externes.
Pour résumer, nous demeurons néanmoins attentifs aux signaux faibles : l’évolution du marché du travail américain, la trajectoire des finances publiques en Europe, ainsi que la résurgence possible de tensions géopolitiques.

AVERTISSEMENT

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Les performances passées ne préjugent pas des performances à venir. Elles ne sont pas constantes dans le temps et ne constituent en rien une garantie de performances à venir.


Imen Hazgui