Interview de David Gaud : Gérant, Zone Asie hors Japon au sein de Edmond de Rothschild Asset Management

David Gaud

Gérant, Zone Asie hors Japon au sein de Edmond de Rothschild Asset Management

La Chine multiplie les mesures pour structurer son marché boursier. Des effets devraient se faire ressentir dès cette année.

Publié le 10 Janvier 2013

Que pensez-vous des récentes mesures prises ou envisagées par les autorités chinoises pour dynamiser leur industrie de mutual funds. Parmi ces mesures figure notamment l’élargissement des quotas pour les investisseurs étrangers qualifiés…
Le montant des quotas a été effectivement élargi à 90 milliards de dollars. Aucun objectif temporel n’a été précisé concernant cet étalement.
A ce jour, le montant des quotas s’élève à 36 milliards de dollars. Les fonds actifs représenteraient entre 10 et 12 milliards de dollars.

Qu’en est-il de la répartition de ces quotas entre actions et obligations ?

Il est difficile de la savoir avec exactitude. C’est aux investisseurs étrangers, lors de leur demande de quota, de présenter les grandes lignes de leur stratégie d’allocation au Safe, l’organisme en charge de la distribution des quotas. Les relations sont donc essentiellement bilatérales.
Les autorités insistent régulièrement sur leur volonté d’avoir des investisseurs étrangers actifs. Ils ne veulent pas que ces derniers se contentent de jouer l’appréciation du yuan.
Ceci étant, la majeure partie des investissements se fait sur les actions, le marché obligataire chinois étant, qui plus est, peu accessible officiellement aux acteurs non bancaires.

Qu’entendez-vous par là ?
Nous pouvons distinguer deux segments dans le compartiment des obligations : l’interbancaire où s’échangent l’essentiel des obligations d’Etat et des obligations émises par les entreprises publiques chinoises auquel les investisseurs étrangers n’ont pas droit d’entrée ; et le marché officiel ouvert à tous mais très illiquide.

L’allocation obligataire est alors peu évoquée dans les dossiers de demande
de quotas.

Cela est en train de changer …
On observe clairement un grand mouvement de libéralisation du marché
obligataire.
De plus en plus d’acteurs devraient avoir accès à ce marché directement.
L’objectif étant d’aller vers plus de débancarisation pour diminuer la toute puissance des établissements bancaires.

Que pensez-vous du projet de l’Autorité de régulation chinoise des marchés financiers (la CSRC) de donner la possibilité aux compagnies d'assurances et aux sociétés de courtages de lancer et d'offrir au public des mutual funds ?
Ces acteurs devraient pouvoir vendre des fonds actions directement aux
épargnants. Jusqu’à présent, ces compagnies d’assurances et ces sociétés de
courtage avaient des filiales d’asset management mais devaient passer par la
vente de polices d’assurances pour avoir des fonds à gérer.
Ces acteurs vont se retrouver en concurrence avec les banques. Cela participe de ce fait également de la volonté d’aboutir à une moindre mainmise de ces institutions bancaires sur l’activité d’asset management.

Cela est également le reflet de la volonté d’améliorer la qualité des produits...
L’arrivée des compagnies d’assurances et des sociétés de courtage participe
de l’ambition d’assainir l’industrie des mutual funds.
Il existe actuellement 70 maisons exclusivement dédiées à l’asset management. Elles sont toutes plus ou moins indépendantes. N’ayant pas de
réseaux, elles sont contraintes à passer par les réseaux bancaires qui les chargent énormément. Elles souffrent d’un manque de profitabilité. Le lancement d’un fonds rapporte rien ou peu les deux premières années. Elles
ne peuvent alors pas massivement investir. Il n’y a pas de différenciation
dans les produits.
In fine, environ une quinzaine parviennent à supporter le choc. Beaucoup ont
vocation à disparaitre.

La plupart des maisons de gestion sont, de plus, étroitement liées à des
hommes politiques. Des conflits d’intérêts se posent.

Doit-on s’attendre à une multiplication des partenariats entre les maisons de gestion et les compagnies d’assurance ?

Nous pouvons nous attendre à des accords de certaines de ces maisons de
gestion avec les compagnies d’assurance. Mais cela ne devrait pas être une
tendance lourde. Ces compagnies ont davantage intérêt à étoffer leur équipe
de gestion et à commercialiser leurs propres produits plutôt que de proposer
les produits d’autres maisons.
Elles ont les moyens, l’envergure, les réseaux de distribution pour le faire.

La mesure devrait permettre de structurer le marché boursier chinois, qui
est au plus bas…

Nous devrions avoir plus de produits, à la portée de plus d’épargnants, plus
résistants, plus sophistiqués, et plus diversifiés.
Aujourd’hui les produits ont perdu de leur attractivité en raison de leur faible aptitude à fournir de la valeur ajoutée. Créer une meilleure offre permettra d’avoir une meilleure demande.
En gagnant en dynamisme grâce à cette nouvelle source d’opportunités, les compagnies d’assurance et les sociétés de courtage deviendront des investisseurs institutionnels plus influents.

Nous avons affaire à un processus de long terme ?
A vrai dire, les effets peuvent se déployer rapidement. Une société comme
Ping An a déjà sa société d’asset management. Elle n’aura pas de mal à se réorienter rapidement.
Il n’est pas exclu que nous ayons d’ici la fin de l’année des afflux de liquidité supplémentaires du fait de cette nouvelle réforme, contribuant d’autant plus à la stimulation du marché local.

Il est intéressant d’observer que cette mesure a été annoncée un 30 décembre, alors que le président n’a pas été mis en place et que le premier
ministre n’a pas été nommé officiellement. Cela prouve qu’il y a une réelle
détermination à agir pour faire avancer les choses.

Existe-t-il une menace pour les mutual fund de droit étranger? Y a-t-il un risque que les autorités finissent par instaurer une différence de traitement discriminatoire a l'égard des mutual funds étrangers ?

Les entreprises en mesure de proposer les meilleures performances, les
meilleurs reportings, les meilleurs expertises devraient dominer. Nous devrions avoir un mixe de sociétés chinoises et de sociétés internationales de pointe.
Il est certain que les sociétés domestiques seront dans une situation plus confortable pour s’adresser aux épargnants locaux et drainer des volumes importants.
Les sociétés étrangères doivent encore persuader les épargnants étrangers du
bienfait d’investir en Chine, et ne peuvent pas proposer leurs services aux épargnants chinois.

La Chine a d’énormes besoins en capital. Les banques ne peuvent plus autant
prêter que par le passé. Plus de 20% du marché actions est composé d’actions
non traitables car bloquées. Un débloquage est censé avoir lieu dans les années à venir. Plus de 800 sociétés attendent d’être cotées sur le marché
de Shanghai. Des investisseurs, y compris étrangers, devront absorber cette
liquidité massive. La Chine devra alors donner des gages de discipline.

D’un autre côté, il serait pourtant question de donner plus d'autorisations aux banques commerciales de créer des filiales de gestion de mutual funds…
Deux banques sont avancées sur le sujet, ICBC et BOCI. Elles sont déjà présentes dans l’asset management et le courtage.
Ce mouvement ne devrait pas être important en ce que les autorités recherchent avant tout un rééquilibrage des acteurs au niveau de l’industrie
au détriment des établissements bancaires.

Les banques ont bénéficié d’énormément de possibilité de développement au
cours des dernières années. Les banques privées constituent la seule alternative financière à tout un tas d’investissements disponibles.

Quelle vision avez-vous de la position adoptée par les autorités a l'égard des ETF? Dernièrement la CSRC a interdit aux investisseurs étrangers qualifiés d'utiliser des futures sur indices actions onshore pour structurer des produits dérivés offshore...
Les autorités veulent conserver le contrôle des achats de contrats futures
pour une activité exercée en dehors de la Chine. Cela s’inscrit dans la
logique d’une ouverture graduelle mais maitrisée.

Les hedge funds cherchent à investir davantage et avec moins de contraintes sur les marchés financiers locaux notamment sur le marche actions…
Les autorités veulent solidifier le marché, développer la présence
d’investisseurs institutionnels de poids, comme des fonds de pension, compléter la panoplie des instruments financiers de base, avant d’aller dans
plus de complexification avec des hedge funds ou d’autres acteurs à leviers
importants plus exotiques et plus spéculatifs.

A quelles conséquences ces mesures concernant l’industrie de mutual funds ont-elles conduit sur le plan de votre stratégie d’investissement ?

Nous sommes depuis longtemps très investis sur les compagnies d’assurance
vie. En revanche, nous nous sommes progressivement retirés des banques. Nous n’en avons quasiment plus en portefeuille.

Propos recueillis par Imen Hazgui