Interview de Charles-Henry Chenut  : Avocat associé du cabinet Chenut Oliveira Santiago, Conseiller du commerce extérieur de la France

Charles-Henry Chenut

Avocat associé du cabinet Chenut Oliveira Santiago, Conseiller du commerce extérieur de la France

Brésil : les autorités ont pleinement conscience des risques qui pèsent sur l'économie

Publié le 04 Septembre 2013

Le gouvernement brésilien a révisé à la baisse les prévisions pour 2013 et 2014. Qu’en pensez-vous ?
L’estimation est passée de 3% à 2,5% pour cette année et de 4,5% à 4% pour l’année prochaine. Ce niveau de 4% demeure encore particulièrement attractif. Le Brésil est un pays émergé qui subit la crise mondiale et qui de ce fait connait un ralentissement inexorable.

Les investissements directs étrangers et notamment les investissements directs étrangers français n’ont pas décru malgré cet essoufflement ?
L’investissement est toujours important mais il a quelque peu changé. Nous observons davantage d’opérations de fusion acquisition ou de prise de participation par les opérateurs étrangers qui cherchent à se positionner sur le territoire brésilien de manière durable.
En outre, de plus en plus d’entrepreneurs français, âgés entre 40 et 50 ans, n’hésitent plus à vendre leurs sociétés en France, strangulés par la pression fiscale et administrative dans le pays, poussés la main dans le dos pour quitter l’Europe en raison de l’absence de relai de croissance, pour finalement saisir les opportunités d'affaires qu'offre le Brésil et tenter l'aventure. Quasiment tous les secteurs de l'activité économique sont concernés dès lors qu’il n’y a pas d’exportations - les barrières douanières, très hautes, sont dissuasives.

De quelle manière appréhendent-ils la forte chute du réal brésilien de ces derniers mois ?
Les entreprises qui investissent localement commencent à se poser la question du taux de change réal-euro. Cela ne frêne pas l'investissement, mais l'engouement pour le Brésil est moins frénétique.

La dépréciation du réal est essentiellement due aux sorties massives des investissements de portefeuille. De quelle manière appréciez-vous ce mouvement ?
Beaucoup d’investisseurs à court terme, spéculant sur mes marchés, ont considéré le Brésil comme un eldorado, voire le nouveau casino de la finance internationale. Ils se sont aperçus que les gains escomptés n’étaient pas aussi rapidement réalisables qu’ils ne le pensaient. Ils se sont alors retirés. Cela était largement prévisible et ce retrait est plutôt sain à terme.

Depuis plusieurs mois, le Brésil mène, par ailleurs, une politique assez protectionniste comparativement à d’autres pays latino américains comme le Pérou, le Chili, la Colombie, et le Mexique, ayant signé l'Alliance du Pacifique - un accord régional de libre échange, d'inspiration très néolibérale. Le capital étranger a alors plus tendance à se détourner du Brésil pour aller vers ces autres zones plus attractives. Ce qu’offraient individuellement ces pays de l'Alliance était peu intéressant ; le marché commun qu'ils proposent aujourd'hui devient beaucoup plus séduisant.

Il y a une prise de conscience de la part du Brésil du caractère sensible de la situation…
Les autorités budgétaires et monétaires sont extrêmement vigilantes à maintenir une économie solide, et stable. Il y a un historique lourd d'hyper inflation par le passé dont l'apprentissage est très prégnant dans les politiques actuellement menées.
C’est ainsi que la Banque centrale a décidé d’injecter environ 60 milliards de dollars sur le marché des changes avant la fin de l’année. La conscience des risques est réelle même s'il ne ressort pas avec évidence que les politiques arrêtées par le gouvernement actuel s'inscrivent sur une longue période. Mais c'est peut être là un point culturel brésilien !
En toute hypothèse, je demeure confiant au sujet de la résistance de l’économie brésilienne observant au jour le jour les réactions officielles et les mesures de réformes prises ou entamées.

Une accentuation des troubles sociaux s’est dessinée dans le pays à l’approche des prochaines élections en 2014 ?
Ces émeutes étaient totalement prévisibles. ..Lula a grandement oeuvrer mais au profit principal de la classe pauvre du Brésil. Parallèlement, la classe la plus aisée s’est davantage enrichie, profitant des investissements internationaux. Entre ces deux extrêmes, la classe moyenne a été laissée peu ou prou pour compte. Celle-ci a décidé de se saisir de l’organisation des grands évènements sportifs - coupe des confédérations - pour se faire entendre et passer sous la lumière des caméras du monde entier leurs revendications.
Ces revendications, légitimes, étaient et demeurent totalement hétéroclites, dépourvues de leadership. Le mouvement n’ayant pas pu se fédérer réellement, il s’est éteint de son propre feu. Il pourrait bien entendu revenir à l’approche des élections mais avec moins d’exubérance dans sa démonstration.
Des problèmes connus, profonds ont été rappelés au gouvernement lors de ces émeutes et le débat politique à venir sera nécessairement nourri de ces manifestations. C'est peut être là le point positif de ce qui s'est passé dernièrement.

Quel bilan faites- vous du mandat de Dilma Roussef ?

Dilma Roussef a réussi à se démarquer de Lula, sur la forme comme sur le fond. Elle s’est attaquée à la corruption politique, entre autres, et à des chantiers nationaux d'ampleur. Elle a ainsi gagné en crédibilité. Elle a accentué son travail sur les dossiers locaux de la santé, de l’éducation, l’administration, des infrastructures, même si pas suffisamment. Les Brésiliens ne sont pas dupes de ces efforts et je pense que son bilan sera malgré tout positif, bien qu'encore imparfait. Mais n'est-ce pas là le sort politique ?

Propos recueillis par Imen Hazgui