Interview de Frédéric Rollin : Conseiller en stratégie d'investissement chez Pictet & Cie

Frédéric Rollin

Conseiller en stratégie d'investissement chez Pictet & Cie

Nous continuons à penser que le marché des actions japonaises sera un des meilleurs marchés en 2014 en termes de performance

Publié le 21 Février 2014

Quel regard portez-vous sur les derniers indicateurs économiques concernant le Japon ?
Nous pensons que le Japon devrait connaître en 2014 une croissance économique similaire à celle de 2013. Cependant l'année devrait être un peu plus compliquée du fait de la hausse de la TVA de 3% au 1er avril . Cette dernière aura deux effets consécutifs sur la consommation : un effet positif au premier trimestre, car le consommateur achètera avant la mise en place de la taxe, suivi d'un effet négatif au deuxième trimestre, pour des raisons exactement inverses. Les conséquences de la hausse de la TVA seront au total négatives, et impacteront à la fois le volume de consommation et les marges des entreprises.

C’est ce qui explique selon nous que si les ventes de voitures et les importations se tiennent bien, certains indicateurs avancés commencent à pointer vers le bas en anticipation de ce qui se passera au second trimestre.
Le stimulus budgétaire et la baisse des taxes des entreprises compenseront cet effet négatif, mais plutôt en deuxième partie de l'année.

Quels commentaires vous inspire le déficit record dévoilé ce jeudi ?
Ce déficit record n’est pas nécessairement une mauvaise nouvelle. Il s’explique principalement le renchérissement attendu des produits importés en raison de la forte dépréciation du yen. Il augure en revanche d’une hausse de la consommation significative pour février et mars, en amont de l’entrée en vigueur du relèvement de la TVA.

Certains mettent en avant la faiblesse de la demande internationale pour justifier la modération de l'accroissement des exportations comparativement à la dépréciation du yen ?
La demande internationale va rester solide en 2014. Les politiques monétaires sont maintenues et les politiques budgétaires deviennent plus accommodantes : les Etats-Unis devraient en 2014 connaître une croissance supérieure à celle de 2013 et la conjoncture en Europe continuera de s'améliorer.

Mais la croissance des Etats-Unis a vocation à avoir moins d’effet sur le reste du monde ?
Nous n'en sommes pas convaincus. Certes il y a eu des gains de productivité importants de la part des entreprises américaines, ce qui leur a permis de renforcer leur compétitivité. Cependant si ces gains de productivité ont un effet important à moyen terme, ils restent très progressifs. Ils ne suffirony donc pas à compenser à court terme les variations de cycle, qui ont généralement une incidence immédiate bien plus vigoureuse. Les entreprises japonaises bénéficieront bien de la croissance américaine de 2014.

Que penser de la mise à mal des pays émergents en raison d’un choc financier non négligeable, avec des hausses de taux considérables ?
Le phénomène explique sans doute pour partie la faiblesse des exportations des entreprises japonaises. Mais nous pensons qu'il est destiné à être temporaire.

Que voyez vous du coté de la hausse des salaires émanant des entreprises japonaises ?
Les salaires n’augmenteront qu’à partir du moment où la croissance sera plus installée et que les entreprises japonaises auront le sentiment que l’accroissement des bénéfices est acquis.
Nous commençons à percevoir des tensions sur le marché du travail. Certaines enquêtes montrent des difficultés rencontrées par certaines firmes pour embaucher et des facilités de la part des salariés à retrouver un emploi. La revalorisation des salaires devrait arriver, un peu plus tard dans l’année.
En attendant, ce ne sera pas un frein suffisant pour mettre à mal la reprise de l’économie japonaise.

Qu’escomptez-vous de la part de la Banque centrale du Japon ?
Nous sommes d’avis que la Banque du Japon conduira une politique ultra accommodante autant que nécessaire. Si l’économie continuait à se détériorer, si l’on avait une remise en cause des anticipations sur les actifs japonais, si le sentiment de confiance des ménages et des entreprises venait à davantage se dégrader, nous aurons vraisemblablement un surplus de stimulus.

Ainsi la BoJ suivra la variation de l’inflation et les indicateurs d’activité. Le niveau du marché des actions japonaises aura aussi de l'importance. L'effet de richesse négatif et la baisse de confiance consécutives à une correction sur les actions peut réduire les chances de sortie de déflation. Effectivement, si la valeur de leurs actifs baissent, les acteurs privés préfèrent rembourser la dette pour rééquilibrer leur bilans plutôt que de consommer ou d'investir.

Vous pensez donc que l’institution monétaire devrait parvenir à rassurer le marché ?
Elle devrait y parvenir effectivement. Nous avons d’ailleurs constaté que lorsqu’elle a décidé mardi d’intensifier ses programmes de prêts aux banques commerciales japonaises, le Nikkei était monté de près de 3%.

La vive amplification du bilan de la BoJ comparativement à la taille de l’économie japonaise ne vous inquiète-t-elle pas ?
Cela ne nous inquiète pas à ce stade. Mais la surveillance est de rigueur du fait de l’abondante liquidité injectée.
Nous sommes aujourd’hui encore loin de l’hyperinflation. Le niveau absolu de l’inflation arrive à peine à dépasser 0% et les accroissements de salaires se dessinent à peine.

Depuis la fin du rallye sur les actions japonaises en mai 2013, celles-ci prennent du retard par rapport aux autres actions des pays développés ?

Les conséquences de la hausse de la TVA nous semblent bien anticipées par le marché. La surprise de ce début d'année a été le retour de l'aversion pour le risque en raison des difficultés des pays émergents et de l'absence de statistiques économiques claires aux US, hiver historiquement froid oblige.
Le yen, traditionnellement refuge contre le risque s'est apprécié, réduisant les perspectives bénéficiaires des entreprises exportatrices. Les actions en ont naturellement souffert.
Nous continuons à penser que le marché des actions japonaises sera un des meilleurs marchés cette année en termes de performance.

Propos recueillis par Imen Hazgui