Interview de Bernard  Aybran : Directeur de la multigestion chez Invesco Asset Management

Bernard Aybran

Directeur de la multigestion chez Invesco Asset Management

Nasdaq : nous n'assistons pas à l'éclatement d'une bulle financière

Publié le 11 Avril 2014

Aujourd’hui, de nombreux observateurs font le parallèle entre la progression du Nasdaq ces derniers années et celle de l’indice à la fin des années 1990-début des années 2000. La question de l’existence d’une bulle est explicitement posée. Qu’en pensez-vous ?
Il existe effectivement des points communs non négligeables entre les deux périodes. En premier lieu le rythme de la performance. Un parcours spectaculaire a été fait dans une période relativement courte.
Ensuite, un réel engouement est perceptible chez les investisseurs à différents égards. Le Nasdaq était jusqu’il y a trois semaine, la plus grande position acheteuse chez les hedge funds. Le niveau de cette position était bien au-delà de la moyenne historique. De plus, une multitude de sociétés ont exprimé leur volonté de s’introduire sur le marché. Le montant des IPO avoisine celui de la deuxième moitié des années 1990. Beaucoup de sociétés sont entrées en bourse alors qu’elles ne font pas de bénéfices.

Néanmoins, il existe à côté de ces similitudes, des différences significatives. Si l’on considère les plus grandes capitalisations boursières du Nasdaq, qui sont Apple, Microsoft, Google, Amazon, Intel, Cisco. Toutes ces sociétés génèrent énormément de bénéfices. Ainsi nous ne sommes pas dans une configuration d’espérance de bénéfices hypothétiques avec des pertes avérées in fine comme ce fut le cas il y a une quinzaine d’années.
Même une société comme Facebook qui s’était introduite sans bénéfice, présente à présent des profits considérables supérieurs aux attentes.

Il y a une proportionnalité entre la taille de capitalisation et l’ampleur des bénéfices ?

La taille de capitalisation du secteur technologique dans le S&P 500 est de 19%. Cela équivaut exactement à la contribution des sociétés technologiques aux bénéfices des sociétés du S&P 500.
A la fin des années 1990, la taille de capitalisation des sociétés technologiques était de 32% alors que la participation aux bénéfices était infiniment moitié moindre : 16%.

Des excès peuvent être relevés dans le segment de la biotechnologie et sur celui d’Internet ?
Les sociétés de biotechnologies font 20% de la capitalisation du Nasdaq et ont presque le même poids sur le marché américain au sens large qu’en 2001.
Entre mars 2009 et mars 2014, le Nasdaq Biotech a gagné 36% par an, contre 25% pour le S&P 500.
Cela a conduit de nombreuses introductions en bourse sans avenir à se réaliser.
Mais là aussi, les sociétés les plus importantes qui sont Amgen, Biogen, Celgene ont un business mode robuste et des bénéfices récurrents.

Nous pouvons avoir le même raisonnement pour le segment Internet.

Pourquoi pensez-vous que des défauts seront très probablement actés ?

Les sociétés qui évoluent dans le segment de la biotechnologie ont un modèle de développement quelque peu binaire. Leur avenir dépend étroitement de l’obtention d’un agrément. Si celui-ci n’est pas délivré, la société ne vaut quasiment plus rien. Ainsi, il est fort possible que nous assistions à des disparitions.

Celles-ci n’auront pas de répercussions exacerbées car elles ne représentent qu’une part minime de l’ensemble de la capitalisation des sociétés de l’indice.

De quelle manière appréhendez-vous la correction du Nasdaq de ce dernier mois ?
Depuis son point haut du 5 mars dernier, à hier soir, l’indice a perdu 6,5%.
Le Nasdaq biotech a perdu 17%.
Ces corrections ne sont pas excessives si l’on tient compte du rallye qui s’est dessiné avec une faible volatilité. Cela fait cinq ans que les indices américains montent de manière quasi linéaire. Il faut donc mettre les choses en perspective.

Au demeurant, il est intéressant de constater que parallèlement à la contre performance des actions américaines, nous avons eu une violente hausse des actions émergentes sans facteurs explicatifs fondamentaux.
Nous pouvons légitimement nous dire que nous avons eu un débouclement de positions vendeuses sur les actions émergentes et le déclenchement de stop loss du coté des actions américaines.

Nous serions donc face à une normalisation ?
Tout à fait. Nous avons les retombées d’une accalmie d’une surchauffe dans les positions des investisseurs sur les actions américaines. Le Nasdaq est à 20% de son plus haut niveau de 2000.

Sur quelle suite des évènements tablez-vous ?

Nous pourrions encore avoir une correction de quelques pourcents.

Ceci étant, face à des taux bas, à des opportunités restreintes, il y a un appétit pour le risque. La masse des capitaux va se positionner à différents endroits qui rapportent encore un rendement intéressant. Ainsi les ventes de produits CLO et CDO sont revenus au niveau de 2007.

Les actions américaines, font partie de ces endroits plébiscités par les investisseurs.

La recherche de plus values et l’existence d’alternatives limitées devraient donc pousser les actions américaines, le Nasdaq, à poursuivre leur hausse avec un peu plus de volatilité.
Il n’est pas du tout impossible que le point haut du benchmark soit atteint au cours des prochains mois surtout si l’on a à l’esprit que l’un des seuls secteurs dans le monde où la révision des bénéfices est positive est le secteur des technologies.

Vous excluez une tendance baissière durable ?

A ce stade, oui. Si en revanche, un évènement conduit à un retour d’aversion pour le risque, la donne serait tout autre. Il est vraisemblable que les valeurs technologiques et biotechnologiques américaines souffrent en premier lieu. Pour l’instant, je ne vois pas d’arguments qui pourraient expliquer une telle aversion.

Avez-vous procédé à des ajustements dans votre allocation d’actifs à la suite du recul du Nasdaq ?
Non. Nous n’avons pas procédé à un allégement des sociétés technologiques américaines en portefeuille.

Qu’est ce qui pourrait vous pousser à cet allégement ?

Un faisceau d’indicateurs. En premier lieu, une correction supplémentaire importante de l’indice au-delà du support établi sur les grands indices. Ensuite des flux sortants conséquents des ETF qui suivent l’indice. Et l’orientation des positions des futures.

Êtes-vous retournés sur les marchés émergents ?
Nous ne sommes pas encore revenus sur les marchés émergents mais nous y réfléchissons de plus en plus.
Les valorisations sont très basses même si ce qui a le plus rebondi est également ce qui avait le plus corrigé : Turquie, Brésil, Argentine. Le PE est à 10 pour le MSCI EM contre 15 pour le MSCI Monde.

Propos recueillis par Imen Hazgui