Interview de Philippe  Kubisa : Associé marché de capitaux chez PricewaterhouseCoopers (PwC)

Philippe Kubisa

Associé marché de capitaux chez PricewaterhouseCoopers (PwC)

Les introductions en bourse pourraient dépasser 15 milliards d'euros en Europe au quatrième trimestre 2014

Publié le 13 Octobre 2014

Sur les neuf premiers mois de l’année, 40,3 milliards d’euros ont été levés par 289 entreprises, contre 11,7 milliards d’euros levés par 173 entreprises sur la même période en 2013. Quels commentaires cela vous inspire-t-il ?
Après une année 2012 sinistrée et une année 2013 difficile, le premier semestre 2014 s’est avéré très bon sur le plan des introductions en bourse en Europe. Le troisième trimestre a en revanche été plus mitigé. De nombreuses opérations ont été réalisées au mois de juillet. Aout et septembre se sont en revanche caractérisés par une certaine atonie.

Vous attendiez-vous à une telle levée de fonds ?
Fin 2013, nous avions un espoir que l’année 2014 serait meilleure. Nous ne l’escomptions pas d’une telle ampleur. L’introduction d’Alibaba a joué un rôle très conséquent. La société a réussi à lever 17 milliards d’euros.

Qu’est ce qui explique la performance enregistrée sur les sept premiers mois de l’année ?
L’économie a été plutôt porteuse sur les sept premiers mois de l’année. La macroéconomie a été relativement stable. La volatilité a eu tendance à baisser. Aussi les sociétés qui avaient décalé leur entrée en bourse les deux années précédentes ont décidé de se jeter à l’eau.

S’ils ont doublé par rapport au troisième trimestre 2013, les fonds levés sont tout de même passés de 22,3 à 6,6 milliards d’euros entre le deuxième et le troisième trimestre 2014. Comment l’interprétez-vous ?
Depuis 2011, le troisième trimestre a toujours été plus calme que les autres. Les vacances d’été expliquent en grande partie cette accalmie. Toutefois, l’ampleur de la chute étant importante, d’autres facteurs sont à intégrer dans l’analyse que sont les incertitudes géopolitiques liées aux événements en Ukraine et au Moyen-Orient ; le référendum qui a eu lieu en Ecosse. Ces considérations ont davantage refreiné les investisseurs que les émetteurs.
Plusieurs entreprises ont continué à afficher leur volonté de se coter en bourse et ont même constitué un dossier pour ce faire.
En revanche, les investisseurs ont alimenté des doutes sur la pertinence du prix de l’action proposé à l’introduction et sur la faisabilité des business plan présentés par les sociétés eu égard à l’évolution des échanges économiques internationaux.

Les fonds levés au dernier trimestre de l’année 2014 devraient dépasser les 15 milliards d’euros levés sur la même période en 2013. Qu’est ce qui vous faire dire cela ?

En premier lieu, de multiples entreprises travaillent sur leur processus d’introduction et préparent leurs prospectus et autres documents de référence. L’estimation que nous avançons n’est pas si significative en relatif.
Nous sommes passés de 3 à 14 milliards de fonds levés entre le troisième trimestre 2013 et le quatrième trimestre 2013. Nous nous situons sur un quatrième trimestre 2014 qui serait de l’ordre du quatrième trimestre 2013. Nous sommes par ailleurs encore éloignés du deuxième trimestre 2014 au cours duquel 22 milliards d’euros ont pu être collectés.
Ceci étant, nous ne sommes pas à l’abri d’un contexte macroéconomique plus défavorable. Si des données macroéconomiques continuent à être publiées et que cela agite le marché, le quatrième trimestre ne sera vraisemblablement pas aussi bon qu’on ne l’attend.

A ce sujet, plusieurs statistiques économiques décevantes ont paru la semaine dernière a propos de l’Allemagne. Cela ne vous inquiète-t-il pas ?

Les derniers chiffres ne sont clairement pas rassurants si l’on tient compte du fait que l’Allemagne est censée être la locomotive de la zone euro. Ceci étant il y a lieu d’avoir une vision plus globale que paneuropéenne. Même si les sociétés se cotent en Europe, elles ont pour la plupart un développement plus international également dans les pays émergents et aux Etats-Unis. Une distinction doit donc être faite entre le lieu de cotation et le domaine de jeu géographique des entreprises qui se cotent. Les entreprises qui devraient être le plus pénalisée par l’essoufflement de la dynamique en Allemagne et dans l’ensemble de la zone euro, sont les entreprises qui ont une activité majoritairement au sein de cette région. Pour ces sociétés, nous pourrions voir des reports voire des annulations d’opérations.

Ne peut-on pas s’attendre à un report ou à une annulation des IPO programmées ?
Oui. Par exemple, Spie a annoncé son report ce qui n’est pas un bon signal du fait de l’importance de la société. On observe également des phénomènes de report similaire en Italie (Italiaonline...) ou en Allemagne (Scout24...).

Plus de 70 % des fonds levés par IPO au troisième trimestre 2014 l’ont été sur les bourses de Londres, Milan et Euronext. Cette dernière place est toutefois restée le centre le plus actif du marché européen des IPO, avec 23 entreprises ayant levé 1,9 milliard d’euros. Va-t-on vers la même configuration au quatrième trimestre ?
La place de Londres devrait encore sortir dominante. On peut espérer qu’Euronext sera devant Milan ne serait ce que parce que la plateforme regroupe plusieurs zones géographiques.

Quid de la place de Paris ?
Nous pouvons espérer que la place de Paris saura attirer les sociétés de technologie et de biotechnologie.
Le secteur de la finance a dominé le troisième trimestre, avec 14 entreprises ayant levé 3,1 milliards d’euros, soit près de la moitié des produits totaux. Sur les dix principales opérations, quatre concernaient des entreprises financières.

Serait-ce également le cas ces trois prochains mois ?
Le secteur devrait continuer à tirer son épingle du jeu pour des raisons réglementaires d’ordre prudentielle. Ceci étant il a surtout un poids en termes de volume et non de nombre d’opérations. Les sociétés industrielles ou les sociétés de biens de consommation devraient être plus nombreuses.

Est-il prématuré à ce stade de l’année d’envisager un sentiment pour 2015 ?

Les aléas macroéconomiques, politique et sanitaires étant tellement foisonnants, il est très compliqué de dire aujourd’hui ce qui pourrait se passer sur le front des introductions en bourse en Europe l’année prochaine. Je serais donc très prudent sur mes prévisions en 2015.

Propos recueillis par Imen Hazgui