Interview de Philippe  Weber : Responsable des études économiques et de la stratégie de CPR Asset Management

Philippe Weber

Responsable des études économiques et de la stratégie de CPR Asset Management

Politique monétaire américaine : les taux directeurs de la Fed devraient déjà être à 4%

Publié le 20 Mars 2015

Quel regard portez-vous sur le communiqué et les propos de la présidente de la Fed Janet Yellen, mercredi soir ?
Nous n’attendions pas tellement de décision technique. Comme nous l’avions prévu, le terme « patient » intégré il y a trois mois dans le communiqué qui découle habituellement de la réunion du FOMC a été retiré. Cela renforce l’idée que la remontée des taux est prochaine bien que Janet Yellen, ait par ailleurs précisé que ce retrait ne signifiait pas pour autant que la Banque centrale se montrera impatiente de procéder au premier relèvement de ses taux.

Comment expliquez-vous ce retrait ?
L’économie américaine connait un net rétablissement même ci les dernières statistiques montrent quelques signes d’essoufflement. Elle peut ainsi supporter une politique qui ne serait non pas restrictive mais moins accommodante. Je rappelle que cela fait sept ans que les taux sont proches de 0.
De plus, bien que l’inflation soit basse, nous ne dénotons pas de pressions déflationnistes durables. Il n’y a pas de décrochage des anticipations d’inflation. Il y a tout lieu de penser que cette inflation s’élèvera lorsque le cours du baril reprendra de l’élan.
En outre, le marché de l’emploi connait un vif rétablissement. Les derniers chiffres rendant compte des créations d’emplois sont robustes et laissent supposer que nous devrions voir bientôt une hausse des salaires.

Au-delà de ces considérations, il est à noter qu’il faut environ 18 mois à deux ans pour qu’une mesure de taux d’intérêt ait un plein effet sur l’économie. Si la Fed maintient les taux au niveau où ils sont encore longtemps, elle court le risque d’être confrontée à un emballement du prix des actifs ou de l’activité du crédit. Elle pourrait alors se retrouver contrainte de remonter les taux à un rythme plus rapide et plus fortement, ce qui n’est pas souhaitable.
Qui plus est, la Banque centrale a besoin de se reconstituer une marge de manœuvre pour pouvoir le cas échéant intervenir en abaissant les taux dans le cas d’un ralentissement prononcé du cycle économique.

Enfin, lorsque l’on considère la corrélation entre le niveau des taux et la croissance nominale du PIB, les taux devraient être à un niveau bien supérieur aujourd’hui. Si l’on se fie à différentes formulations de la règle de Taylor qui s’efforce à déterminer le niveau adéquat des taux par rapport à un indicateur d’activité et un indicateur de prix, nous devrions être déjà à 4%. L’impact découlant du différentiel entre le niveau des taux et celui de la croissance était en grande partie maitrisé par les différents programmes de quantitative easing menés depuis 2009. A présent que ces programmes ne sont plus en vigueur, la normalisation de la politique monétaire est d’autant plus requise.

Qu’envisagez-vous aujourd’hui dans votre scénario central ?
Une première hausse en juin à hauteur de 0,25%. Ensuite, le FOMC pourrait de nouveau agir toutes les deux réunions avec une ampleur variable. La Fed pourrait aller jusqu’à 3,5%, à raison de 1% par an, pour éviter des perturbations exacerbées sur les marchés.

D’aucuns estiment que la situation d’urgence dans laquelle se trouve la Fed pour intervenir est tempérée par la vive hausse du dollar ?

L’appréciation du dollar est effectivement prise en compte dans les discussions des membres du FOMC. Elle équivaut d’une certaine manière à un resserrement monétaire. Je ne pense pas pour autant que celui-ci soit significatif. L’économie américaine est très fermée. La part des exportations dans le PIB national est limitée comparativement à d’autres grandes économies occidentales comme l’Allemagne.
Au demeurant la force du dollar n’empêche pas les agents privés américains à tirer bénéfice des taux bas pour emprunter davantage pour investir ou consommer. En cela le risque d’emballement du prix des actifs ou d’excès dans l’activité de crédit demeure.

Quels commentaires vous inspirent l’évolution de la parité euro dollar ?
Nous avions depuis 2008 une corrélation étroite du taux de change bilatéral avec le différentiel de taille des bilans de la Fed et de la BCE. Nous pouvons être surpris par l’accélération de la tendance qui s’est dessinée depuis octobre 2014. En prenant en compte la mise en oeuvre hypothétique d’un programme de quantitative easing par la BCE, nous avions prévu une parité à 1,15 fin 2015. Nous nous sommes retrouvés à 1,10 dès le début de l’année. Après le déclenchement du programme la parité s’est creusée à 1,05.
A mon sens ce creusement s’explique par le fait que le déterminant de la parité des changes dans l’esprit des investisseurs n’a plus été le différentiel de la taille des bilans mais le différentiel des anticipations des taux courts à trois mois dans un an. Or les chiffres du dernier rapport mensuel américain ont fait sensiblement monter les anticipations pour les taux américains. A cela s’ajoute le fait que l’abondante injection de liquidité par la BCE est allée se positionner sur des actifs en dollar plus rémunérateurs et plus stables que les actifs en euro.

L’actionnement du QE n’explique donc pas à lui seul la dépréciation de l’euro de 5% en l’espace d’une semaine ?
J’ai du mal à croire que les 10 milliards d’euros acquis aient à eux seuls provoqué la variation. Les opérations de repo ordinaires de la BCE, avant la crise, s’élevaient à 250 milliards d’euros par semaine.

A quelle suite des évènements vous attendez-vous ?

Il est difficile de le dire. La parité pourrait temporairement aller en dessous de 1. Vraisemblablement, compte tenu des fondamentaux, elle ne devrait pas le rester. Il y a différentes manières de calculer le prix d’équilibre, à partir du prix à la consommation, du prix à la production, des salaires, des biens échangeables dans le commerce international. Dans toutes les estimations, 1,15 est dans la fourchette.
Une étude a révélé récemment que si les autorités américaines sont en capacité d’influencer la valeur du dollar et ainsi de monter quand l’économie va bien et de l’abaisser dans le cas inverse, il en est différemment de la zone euro. Ceci étant, la donne semble avoir changé avec le président de la BCE, Mario Draghi qui a clairement exprimé sa volonté de voir la valeur de l’euro s’amoindrir pour soutenir l’économie de la région. Nous n’avons pas suffisamment de track record pour en tirer un enseignement.

De nombreuses critiques concernent l’aptitude de la BCE à poursuivre son QE. Qu’en pensez-vous ?
Il n’est pas aisé pour la BCE d’atteindre le montant fixé de 60 milliards d’euros de hausse de bilan, tous les mois, jusqu’en septembre 2016. Pour respecter son engagement, si l’on tient compte des opérations de TLTRO, et des achats d’ABS et d’obligations sécurisées, la Banque centrale doit pouvoir amasser pour environ 40 milliards de titres d’Etat au prorata de la participation des pays membres de la zone euro à son capital. Cela signifie que la BCE va devoir se porter acquéreuse de toutes les émissions brutes de l’Allemagne. La difficulté est accrue par le fait que certains acteurs ne peuvent pas vendre les titres qu’ils détiennent dans leur bilan pour des raisons réglementaires notamment les compagnies d’assurances.

Au-delà des actifs détenus par des fonds d’investissement européens ou des investisseurs étrangers, une des solutions que pourraient trouver la BCE c’est d’étendre le champ des actifs qu’elle peut acquérir, notamment à des actifs émis par des entités parapubliques non financières. Il est fait mention de cette possibilité dans les textes juridiques préparatoires du QE. La question reste ouverte sur la signification à donnée à ces actifs.
De toute évidence des éléments de réponse finiront par être apportés par Mario Draghi au fur et à mesure que la marge de manœuvre se réduira.



Propos recueillis par Imen Hazgui