Interview de Arnaud Morvillez : Gérant actions chez SPGP

Arnaud Morvillez

Gérant actions chez SPGP

Les principales considérations sur lesquelles nous nous focalisons pour investir dans les introductions en bourse

Publié le 07 Avril 2015

Le marché des IPO s’ouvre et se ferme suivant les zones géographiques. Qu’en est-il de l’Europe ?
Nous pensons qu’après une longue fermeture jusqu’en 2013, nous sommes à l’aube d’une ouverture durable du pipeline des IPO en Europe. Nous devrions assister à une succession d’opérations sur plusieurs années.
L’Europe a quasiment rattrapé les Etats-Unis l’année dernière en termes de nombre d’opérations et de volume collectés en 2014 (70 milliards de dollars contre 27 milliards de dollars en 2013). C’est une première depuis le début de la crise.
Nous sommes depuis janvier sur un rythme comparable voire meilleure que celui de l’année dernière avec des opérations de dimensions importantes (Elis, GrandVision, Sunrise, Aena,etc). 12 opérations ont ainsi pu être recensées sur Euronext.

Comment l’expliquez-vous ?

Par une combinaison de facteurs.
En premier lieu, la toile de fond macroéconomique s’est notablement améliorée. Le sentiment de confiance de nombreuses entreprises s’est renforcé quant à l’évolution de leur activité.

Ensuite, il y a un appétit grandissant pour les actions européennes. Nous observons des flux grandissants en provenance de l'étranger, des Etats-Unis par exemple. Les collectes des asset managers européens sont considérables.
Cette effervescence a vocation à perdurer. Ensuite, la compression continue des taux européens milite pour un rebasculement massif du compartiment obligations européennes vers le compartiment actions européennes.

Par ailleurs, une liste d’attente importante d’IPO s’est formée au fil des années. Cette liste se constitue aussi bien de fonds de Private Equity qui ont acheté des entreprises pendant la crise, et après les avoir restructurées, veulent les ressortir aujourd’hui sur le marché; que d’entreprises bloquées par un contexte de marché défavorable à la suite de la crise de 2008 et de la crise de 2011 et qui ont besoin de lever des capitaux pour financer leurs projets de croissance.

Enfin en janvier, un programme massif de quantitatif easing a été annoncé par le Président de la Banque Centrale Européenne sur 18 mois. Un tel programme a eu des effets tangibles sur le trend des IPO aux Etats-Unis ces dernières années. Nous escomptons la même chose en Europe.

Quel regard portez-vous sur les assouplissements réglementaires qui ont été apportés. Ont-ils également eu un effet stimulant ?

Le fait d’avoir une fourchette d’IPO plus grande est une bonne mesure pour palier la volatilité du marché qui, sur une ou deux semaines d’ouverture de book, peut changer la valorisation de l’entreprise. Cela permet aux banques en association avec le management d’être plus souples dans leur pouvoir de pricing.
Aux Etats-Unis, il est possible de pricer sous le range sans avoir à modifier le processus l’IPO. Dès lors que cela n’était pas possible en Europe, le deal était le plus souvent annulé.

La dynamique devrait également se prolonger en France ?

La tendance entamée au sein de l’Hexagone en 2013 avec Tarkett, Numéricable, s’est accélérée en 2014 avec quatre opérations d’envergure, Euronext, Worldline, GTT, la Coface. Elle s’est poursuivie en ce début d’année avec Elis. Si la croissance de l’économie française se confirme, il est vraisemblable que la dynamique des entrées en cotation pourrait se prolongée sur les années à venir, à l’instar de ce qui sera observé en Europe.

Doit-on s’attendre à une multiplication des IPO cross border, autrement dit des entreprises qui choisissent un autre pays pour se lister que leur pays d’implantation ?

Je pense que oui. D’autres sociétés françaises pourraient vouloir se coter sur le Nasdaq, comme Criteo ou Cnova ou plus récemment Cerenis.
Londres est une terre d’accueil pour les sociétés non européennes, notamment africaines.

Quels sont les risques principaux pour les IPO en Europe en 2015 ?

Le risque principal est de nature politique. De nombreuses élections doivent avoir lieu dans des pays européens importants comme au Royaume-Uni ou en Espagne.
Une déception au niveau macroéconomique pourrait également entrainer un ralentissement de la dynamique des introductions en bourse.
Les incertitudes liées à la remontée des taux aux Etats-Unis pourrait aussi engendrer des tensions sur le marché primaire américain.

L’année 2014 a été scindée en deux ? Pensez-vous que cela sera également le cas cette année ?

Il est vrai qu’alors que la première partie de l’année a été très animée, une nette accalmie a dominé le second semestre du fait des secousses sur les marchés actions entraînant une augmentation sensible de la volatilité. Ainsi de nombreuses opérations ont été reportées. Il est difficile de dire ce qu’il en sera pour 2015.
Les opérations lancées par des fonds de Private equity ont un peu moins fonctionné que des opérations d’entreprises traditionnelles (privatisation, spin off, financement de croissance)… Serait-ce également le cas cette année.
Le gap de performance s’est situé, selon nous, entre 5% et 6%, en moyenne l’année dernière. Cela s’explique notamment par le fait que certaines opérations orchestrées par des fonds de Private Equity se sont faites à des fourchettes de cours un peu moins raisonnables. Là aussi, il est compliqué de présager de ce que réservera la suite des évènements.

Vous avez fait le choix de créer une Sicav dédiée aux IPO. Pourquoi ?

Nous considérons que les IPO constituent une classe d’actifs à part entière, liquide. En moyenne sont dénombrés environ 250 milliards de dollars d’IPO par an, ce qui est largement supérieur aux émissions d'obligations convertibles par exemple (marché total estimé à 280 milliards de dollars en 2013)
Constituer un stock sur les IPO au niveau mondial a donc du sens. Cela nous permet également de détecter en amont des entreprises émergentes qui seront les leaders de demain et de les accompagner dans les premières années de cotation. Nous mettons également cette ressource au service de la gestion collective et de la gestion privée au sein de la SPGP.

L’investissement est basé sur l’anticipation qu’une décote affichée au moment de l’introduction devrait se résorber dans le temps. Comment expliquez-vous l’existence de cette décote ?
La classe d’actifs des IPO se caractérise par une dissymétrie d’information entre les vendeurs et les acheteurs. Il n’y a pas de track record de cotation, pas d’historique de publications des comptes de la société.
Cette décote est donc logique. Elle rémunère le risque pris par l'investisseur pour investir dans cette nouvelle histoire boursière. Elle a tendance à se résorber plus ou moins rapidement dans le temps vis-à-vis des comparables cotés.
Ce coussin de protection par rapport au marché est donc censé nous permettre de générer de l’alpha.

Cette décote de valorisation est-elle propre à certains secteurs ?

Cette décote est quelque chose que nous estimons à chaque dossier, et n'est donc pas spécialement liée à un secteur en particulier.

Quel est son délai de résorption ?
Ce délai est très variable. Si les sociétés comparables montent en même temps que progresse la valorisation de la société nouvellement introduite, techniquement la décote perdurera encore un moment.

Elle est traditionnellement moins favorable en Europe qu’aux Etats-Unis ?
Il y a en Europe de la recherche pre-transaction envoyée à un nombre choisi d'investisseurs institutionnels. Une entreprise qui souhaite s’introduire en bourse en Europe mandate des banques dont les équipes de recherche publient une recherche sur la société à l’issue de laquelle est déterminée dans certains cas une fourchette de valorisation estimée. Ensuite pendant deux semaines les investisseurs peuvent rencontrer ces analystes pour discuter de cette fourchette. C'est une phase que l'on nomme "investor education"
Cette publication écrite pré-transaction n'existe pas ainsi aux Etats-Unis. Il y a en cela beaucoup moins d’informations disponibles pour les investisseurs avant la réalisation de l’IPO.

En toute logique dans le contexte actuel, la décote se veut-elle moins importante ?
A priori, l’appétit des investisseurs est tel pour les actions, qu’il n’y a pas forcément besoin de payer une décote importante pour attirer les investisseurs. Ceci étant, tout dépend de la qualité de l’entreprise. La décote d’une entreprise de bonne qualité sera a priori moins importante que la décote d’une entreprise de moyenne qualité.

En quoi consiste votre univers d’investissement ?
Nous nous intéressons aux transactions au dessus de 100 millions d’euros.

Quand entrez-vous sur la transaction ?
Dès que le book est ouvert. Nous faisons en sorte d’effectuer notre propre travail d’évaluation sur une société donnée avant l’ouverture du book afin de pouvoir déterminer l’intérêt du positionnement.
Nous complétons ensuite notre exposition à l'entreprise si nous trouvons des points d’entrée satisfaisants une fois la cotation débutée.

Combien de temps restez-vous investis ?
En théorie l’investissement sur une IPO dure jusqu’à 5 ans.
Nous sommes des investisseurs fondamentaux avant tout. Sur chaque dossier nous avons deux objectifs de cours. Le premier objectif concerne la résorption de la décote d’IPO. Le second objectif correspond à la valorisation à moyen terme de l’entreprise. Tant que ces objectifs ne sont pas atteints, nous conservons le dossier si rien n’a changé dans l’absolu et que l’entreprise délivre aux investisseurs le message et la stratégie de développement auxquels elle s’était engagée pendant le processus d’IPO.

Sur quelles principales considérations vous focalisez-vous dans le cadre de votre stratégie d’investissement ?
En premier lieu, la valorisation de l'entreprise et l'écart avec nos cours cibles. Nous regardons également énormément de critères comme les actionnaires et les investisseurs de référence par exemple. Est-ce un actionnaire historique qui vend ? Est-ce une augmentation de capital? Le management achète-t-il des actions à l'IPO ? Comment s'est construit le livre d'ordre? etc.
Nous avons des dizaines d’éléments qualitatifs et quantitatifs pour juger de la qualité d'un dossier.
Enfin une fois la cotation débutée, et c'est naturel, les investisseurs regarderont attentivement les premiers sets de résultats pour vérifier que le management délivre le message exprimé lors du processus d'introduction en bourse.

Propos recueillis par Imen Hazgui