Interview de Henri  Chabadel  : Directeur de la multigestion directionnelle et allocation chez Groupama Asset Management

Henri Chabadel

Directeur de la multigestion directionnelle et allocation chez Groupama Asset Management

Une sortie de la Grèce ne devrait pas provoquer une tourmente sur les marchés financiers comparable à celle que l'on a eue après la déroute de Lehman Brothers

Publié le 07 Juillet 2015

Quels commentaires vous inspire la progression du marché des actions de la zone euro ce début d’année ?
Nous avons connu un premier semestre en deux temps. Le premier trimestre s’est soldé par une performance relativement exceptionnelle. Celle-ci doit cependant être relativisée par le fait que le rebond avait correspondu au rattrapage de la sous performance enregistrée les deux années précédentes par rapport au marché des actions américaines justifiée par l’incertitude des investisseurs sur la détermination de la Banque centrale à mener la lutte contre le risque déflationniste au sein de la zone euro.
Cette menace s’étant éloignée à la suite des différentes déclarations et actions prises par la BCE, une réallocation des flux s’est faite sur les actions de la zone euro.
Les niveaux de valorisation ont été normalisés.

Comment expliquez-vous la vivacité de la performance ?

Les performances des indices Eurostoxx et S&P 500 depuis le début de l’année 2013 sont assez semblables, 19% contre 17%. La rapidité du rattrapage des actions de la zone euro en 2015 s’explique par le fait que la BCE a surpris très positivement en annonçant un programme de quantitative easing deux fois supérieur à ce qui était attendu par le marché. Ainsi les doutes assez sérieux des investisseurs sur l’aptitude de l’institution monétaire à éloigner le risque de déflation ont pu être levés.

Quelle lecture faites-vous de la phase de consolidation qui s’est ouverte en avril ?

L’atténuation de la crainte autour de la déflation a eu pour conséquence une remontée assez brusque des taux longs allemands. Ainsi la prime de risque négative qui existait dans ce compartiment s’est réduite. A cela s’est ajoutée une accentuation de l’aléa grec.

Jusqu’où pourrait aller cette phase de consolidation ?

Le mouvement de consolidation semble similaire à celui que nous avons pu observer en 2013 et 2014. Nous devrions avoir un retracement du marché de l’ordre de 10%.

Une sortie de la Grèce de la zone euro ne pourrait-elle pas conduire à un dérapage ?

Une sortie de la Grèce de la zone euro pourrait intensifier la sortie des flux des actions de la zone euro de la part des investisseurs européens et étrangers. Cependant je ne pense pas qu’elle amènera un effondrement total du marché. Elle ne devrait pas provoquer une tourmente comparable à celle que l’on a eue après la déroute de Lehman Brothers ou au paroxysme de la crise des dettes de la zone euro.

La sortie de la Grèce constitue-t-elle à ce jour votre scénario central ?

Pas encore mais sa probabilité a nettement augmenté avec le résultat du référendum.

La correction pourrait tout au plus égaler les 15%...

La Grèce est une petite économie qui représente moins de 2% du PIB de la zone euro. Les banques centrales restent en soutien. La liquidité est abondante. Les fondamentaux macroéconomiques sont en amélioration. La correction en cours a pour effet de reconstituer un gap significatif entre le marché européen et le marché américain.

A quelle suite des évènements vous attendez-vous pour le marché ?

Tout dépend de l’horizon auquel nous nous plaçons. A court terme, le vote négatif au référendum a accentué l’incertitude et provoqué des ventes sur les actions de la zone euro, sur l’euro et sur les taux des pays périphériques et des rachats sur les taux des pays cœur de la zone euro. Cela pourrait encore durer quelques semaines.
Si nous parvenons d’une manière ou d’une autre à réduire l’aléa grec, que ce soit par un nouveau plan d’aide et un maintien de la Grèce de la zone euro ou par un défaut de paiement et une sortie de la Grèce de la zone euro, le marché des actions de la zone euro se remettra à performer pour se remettre à peu près en ligne avec le marché américain.
C’est la première fois depuis quatre ans que nous observons une inflexion à la hausse des bénéfices par actions estimés des entreprises européennes. Le consensus table sur une hausse de 18%. La baisse de l’euro, la baisse du prix du pétrole et la faiblesse des taux de refinancement pourraient permettre d’aller au-delà.

Est-ce que l’annonce des résultats semestriels des entreprises européennes pourrait prendre le dessus dans l’esprit des investisseurs sur un défaut de la Grèce et son éventuelle sortie de la zone euro ?

Je pense que non. Ce qui domine dans le schéma de décision des investisseurs ce sont les problématiques macroéconomiques et monétaires. La microéconomie ne constitue pas souvent le catalyste principal de la performance du marché. Les investisseurs devront donc auparavant être rassurés par les données économiques et le positionnement des grandes banques centrales, BCE et Fed en tête pour voir un retour en grâce des actions de la zone euro.

Que représentent aujourd’hui les actions de la zone euro dans votre allocation d’actifs ?

Pour l’instant, de manière très tactique, nous sommes sous pondérés sur le marché actions. Nous voulons nous protéger contre la volatilité liée à la montée de l’incertitude entourant le dossier grec.
Si l’on prend en compte un portefeuille 45% actions, 45% obligations et 10% cash, la poche des actions européennes est passée 15% de l’ensemble des encours en début d’année à 5% il y a quelques semaines. Nous avons surtout réduit les larges capitalisations au profit des petites et moyennes capitalisations.
Nous ferons certainement évoluer notre exposition au fur et à mesure de l’année.

Que voulez-vous dire ?

Nous détiendrons vraisemblablement plus d’actions de la zone euro d’ici la fin d’année, dès lors que nous aurons plus de clarté sur le dossier grec, que nous serons rassurés par l’accueil des investisseurs du dénouement de ce dossier et que nous aurons par ailleurs un surcroit d’éléments macroéconomiques.
La poche pourrait aller au-delà de 15%.

Sur quels profils de titres vous rabattriez-vous ?

Sur les multinationales qui ont une forte présence en Amérique du nord ; sur les sociétés qui évoluent dans des activités de niche, en particulier les small et mid caps ; sur les entreprises bien positionnées dans une logique de fusion acquisition, notamment en tant que cible. De nombreuses sociétés européennes sont perçues comme très attractives pour des sociétés américaines grâce à la force du dollar.
Nous n’avons pas tellement de biais géographique. Nous en avons plus en termes de taille ou en termes de secteur.

Quel potentiel d’upside supplémentaire pourrait-on escompter sur le marché français ?

Nous avons une cible Cac 40 à fin décembre 2015 autour de 5300 points. Cela suppose un upside d’environ 10%.

Propos recueillis par Imen Hazgui