Interview de Sonia Bonnet Bernard et Alban Eyssette : Associés chez Ricol Lasteyrie Corporate Finance

Sonia Bonnet Bernard et Alban Eyssette

Associés chez Ricol Lasteyrie Corporate Finance

Cac 40 : on peut raisonnablement penser que le chiffre d'affaires des sociétés de l'indice en 2015 augmentera plus qu'en 2014

Publié le 22 Juillet 2015

Vous avez rendu compte fin juin des résultats de la 9ème édition de votre étude sur le Profil Financier du CAC 40 ? Pourriez-vous nous rappeler l’objet de cette étude et sa méthodologie ?
Sonia Bonnet Bernard : Cette étude permet de brosser un panorama complet de l’évolution de la situation financière des sociétés qui composent l’indice, avec un focus particulier sur les incorporels, l’endettement, l’investissement. C’est le 9è profil que nous publions (depuis le début de l’application des normes IFRS par les sociétés), et nous avons maintenant suffisamment de profondeur d’analyse pour tirer de grandes tendances.
L’étude est réalisée à partir des documents de référence publiés en février-mars. Nous palpons des premières tendances dans les comptes semestriels.

Pourriez-vous nous rappeler quels ont été les principales conclusions de cette étude ?
Sonia Bonnet Bernard : De prime abord, lorsque l’on regarde le début et la fin de l’année 2014, nous avons l’impression qu’il ne s’est pas passé grand chose. Le niveau de l’indice Cac 40 est resté relativement stable. Le chiffre d’affaires apparait facialement en légère érosion, l’investissement s’érode.
Après analyste plus détaillée, on s’aperçoit, toutefois, que des changements importants sont intervenus, en particulier des acquisitions et cessions significatives, notamment chez Vivendi, chez Alstom, chez L’Oréal. Si bien que sur la base de comptes pro-forma, à périmètre constant, des évolutions significatives peuvent être relevées.
Le chiffre d’affaires s’est amélioré, mais la part de l’Europe dans le total a reculé, au profit des autres continents.

Parallèlement, un effort important a été effectué sur l’endettement. Le levier financier (ratio Dette / fonds propres) est proche de son niveau le plus bas depuis que nous réalisons l’étude. L’actif des bilans avait par ailleurs été remarquablement assaini au cours des années passées, ce qui a permis en 2014 une amélioration considérable du résultat net, en particulier sous l’effet de la baisse des dépréciations d’actifs. Pour rappel, en 2013, GDF avait fait état de 15 milliards d’euros de dépréciation.

Alban Eyssette : Sur le front de l’investissement, une certaine prudence a néanmoins continué à être affichée. Le taux d’investissement mesuré par rapport au chiffre d’affaires est même en légère diminution. De nombreuses entreprises confrontées à des mouvements exogènes importants, à l’instar de Total avec le fort repli du cours du pétrole, ont été contraintes de mettre l’accent sur la génération de cash, et de réduire l’investissement.

Quid de la répartition géographique du chiffre d’affaires ?
Alban Eyssette : Depuis 2006, la zone Europe a perdu 12 points dans le total du chiffre d’affaires des sociétés de l’indice. La zone Amérique a gagné en importance. La zone émergente a plutôt eu tendance à ralentir, même si ce ralentissement s’est fait sur une base de croissance plus élevée que dans les pays plus matures.

Etes-vous parvenus à établir le pourcentage du chiffre d’affaires généré dans les pays émergents ?
Alban Eyssette : Pas vraiment, car les sociétés communiquent globalement par grandes zones et rarement par pays. Ainsi dans la zone Asie, nous avons à la fois la Chine mais aussi le Japon. De même en est-il de la zone Amérique où il n’y a pas systématiquement de véritable distinction entre Amérique du nord et Amérique du Sud

Comment expliquez-vous la forte diminution du niveau de dette malgré des taux de refinancement historiquement bas ? Comment justifier le fait que les sociétés n’aient pas profité de l’effet d’aubaine ?

Sonia Bonnet Bernard : Ceci s’explique par l’attentisme des sociétés vis-à-vis d’acquisitions structurantes. Elles ont le pied sur la pédale mais n’ont pas encore appuyé dessus. S’endetter davantage pour ne rien faire du cash récolté ne sert pas à grand-chose. On peut donc penser qu’elles se ré-endetteront une fois les réelles opportunités identifiées.

Pressentez-vous une évolution sur ce point cette année 2015 ?

Sonia Bonnet Bernard : Nous avons le sentiment qu’il y a beaucoup de projets dans les tuyaux. Difficile de dire si ces derniers se concrétiseront d’ici la fin de l’année. Si tel était le cas, cela irait vraisemblablement de pair avec une hausse du niveau de la dette, les sociétés bénéficieront alors des conditions d’emprunt favorables du moment.

Avez-vous été surpris par des conclusions de votre étude ?

Sonia Bonnet Bernard : Quelque peu par la faiblesse des dépréciations d’actifs. Nous sommes passés de 23 milliards d’euros en 2013 à 12 milliards d’euros en 2014, essentiellement sur les actifs corporels de Total. Certains champs pétroliers ont perdu de leur valeur en raison de la chute du cours du baril.
Les dépréciations des goodwills qui étaient très importantes les années passées ont diminué à un peu plus de 2 milliards d’euros, ce qui est rassurant.

Y a-t-il des spécificités qui ressortent par secteur ?
Sonia Bonnet Bernard : Le secteur bancaire est le seul secteur qui a à l’actif et au passif du bilan des instruments évalués en juste valeur. Nous pourrions imaginer que le niveau du bilan des banques est proche de leur capitalisation boursière. Or depuis plusieurs années, les banques cotent en dessous de niveau de leurs capitaux propres. C’est le seul secteur à être dans cette configuration en 2014. Tel n’est plus le cas notamment du secteur automobile ou de celui des télécoms.

Alban Eyssette : Le résultat affiché par le secteur bancaire apparait, par ailleurs, atypique en raison de l’amende infligée à BNP Paribas par les autorités américaines.

En termes de perspectives, la visibilité est-elle suffisamment bonne pour présager d’une tendance par rapport au chiffre d’affaires ?
Alban Eyssette :
Ce que l’on peut acter pour le premier semestre, c’est que nous avons eu un environnement en termes de devise plus favorable pour les sociétés de l’indice. La force de l’euro n’est plus un handicap. A l’issue du premier trimestre, le chiffre d’affaires est en augmentation de 4%. L’horizon sur ce point est plutôt propice.
Qui plus est, les dirigeants tiennent un discours raisonnablement confiant. Sans aller jusqu’à un excès d’optimisme, de bonnes surprises ont été avancées sur les perspectives. 34 sociétés se sont prononcées à ce sujet. Les deux tiers avaient une tonalité plutôt positive. Les objectifs de chiffre d’affaires ou de résultat ont été confirmés ou rehaussés.
Si l’euro reste à un niveau relativement faible, avec un maintien de la reprise au sein de la zone euro, on peut raisonnablement penser que le chiffre d’affaires en 2015 augmentera plus qu’en 2014.

Avez-vous tenté de palper les répercussions des risques géopolitiques pour les entreprises de l’indice ?

Sonia Bonnet Bernard : Cela dépend énormément du secteur d’activité et de l’exposition géographique. Il y a peu de sociétés de l’indice fortement exposées à la Grèce ou à la Russie. La diversification géographique des sociétés devrait leur permettre une relative résistance sur le plan de leur chiffre d’affaires.

Propos recueillis par Imen Hazgui