Interview de Luisa Florez : DIRECTRICE THÉMATIQUES DURABLES AU SEIN DE LA BANQUE POSTALE ASSET MANAGEMENT

Luisa Florez

DIRECTRICE THÉMATIQUES DURABLES AU SEIN DE LA BANQUE POSTALE ASSET MANAGEMENT

Informations sur la Responsabilité sociétale d'une entreprise : le danger principal réside dans le greenwashing

Publié le 13 Novembre 2019

De quelle manière alimentez-vous votre modèle de notation ESG des sociétés dans lesquelles vous investissez ?
Par le biais de diverses sources d’informations.
Une première source réside dans les agences de notation que nous avons retenu à l’issue d’un vaste appel d’offre lancé en 2016.
Eu égard à la pertinence de leur méthodologie, à leur réactivité, à leur capacité à nous accompagner, nous avons retenu les agences de notation Vigeo Eiris et MSCI.

Pourquoi avoir opté pour deux agences ?
Ces deux agences nous ont semblé complémentaires. Vigeo Eiris adresse davantage les sujets sociaux et sociétaux que nous retrouvons dans le pilier développement du territoire de notre philosophie GREAT. MSCI est plus spécialisée dans les données relatives à la transition énergétique et à la gouvernance.

D’où proviennent les informations collectées par ces agences ?
Elles proviennent des entreprises et des parties prenantes (associations de consommateurs, ONG, syndicats…)

Bien que votre choix ait été fait, vous restez en veille constante sur ce que propose d’autres acteurs sur ce marché ?
Nous rencontrons les représentants de fournisseurs de données de manière régulière. Au sein de notre équipe ESG, nous avons une personne dédiée au « quant ISR », spécialiste dans la donnée, en charge de tenir à jour l’outil, d’identifier les sources les plus pertinentes, de détecter de nouveaux services utiles, de s’assurer que les indicateurs que nous détenons traduisent au mieux la responsabilité sociale des entreprises. L’objectif étant de maintenir un modèle d’évaluation optimal qui couvre le champ le plus vaste possible (aujourd’hui de 9000 sociétés).

Vous avez également des questionnaires internes pour alimenter votre modèle sur des sociétés non évaluées par une ces agences notation ou sur une classe d’actifs spécifique.
Les informations collectées par les agences de notation intéressent surtout de grandes sociétés présentes dans les grands indices financiers.
Pour obtenir des renseignements sur des sociétés de plus petite taille, des sociétés qui s’introduisent en bourse, des sociétés émettrices de dette privée non présentes dans les benchmarks, nous avons développé des questionnaires en interne. Ces derniers ont été adaptés en fonction du secteur d’activité adressé.

Vous pouvez être amenés à interroger des entreprises déjà évaluées par les fournisseurs de données…
Absolument, ce afin d’approfondir certains aspects, mieux appréhender la dimension ISR de ces sociétés ou pour introduire une vision plus prospective de l’entreprise.
Ces interrogations peuvent se faire à l’occasion de rencontres spécifiques avec les directeurs généraux, les membres des conseils de surveillance, des responsables de ressources humaines…
En 2018, nous avons organisé des rencontres avec 80 entreprises en vue de recueillir des éléments supplémentaires liés à l’un des quatre piliers de notre philosophie GREAT.

Etes-vous enclins à vous appuyer sur des notes de brokers ?
Cela peut nous arriver. Cependant, nous avons aujourd’hui une recherche moins étoffée dans l’ISR que par le passé en raison de la réglementation MIFID qui en a renchérit le cout tend à pénaliser les équipes de recherche ESG chez les brokers.
Nous pouvons également être attentifs à certains rapports d’ONG. Récemment, l’association Foodwatch, spécialisée dans le domaine alimentaire, a accusé Danone et Nestlé au sujet des huiles minérales présentes dans les laits infantiles. Nous avons pris le temps de lire le rapport établi pour mieux définir les questions à poser aux sociétés interpellées.

De quelle manière jaugez-vous la fiabilité des informations communiquées ?

Les informations délivrées par les entreprises elles-mêmes sont souvent auditées par des certificateurs externes. Cela donne une première garantie de fiabilité.
Par ailleurs, il faut avoir conscience que lorsqu’une société fait une déclaration publique dans un communiqué ou sur son site internet, cela l’engage énormément. Les actions prises autour de cet engagement sont surveillées de près. Une pression est exercée pour que l’objectif annoncé soit effectivement atteint. Si les pratiques ne sont pas au rendez-vous, l’entreprise peut être sévèrement sanctionnée au niveau de sa valorisation financière réputation et parfois avoir un impact sur sa valorisation financière.
Cela étant, nos analystes ISR s’efforcent de confronter les informations obtenues par diverses sources. Ainsi une ONG peut porter une allégation à l’encontre d’une entreprise. Cette entreprise peut démentir par le biais d’un communiqué. Nous menons des investigations pour tenter de déceler la source de ce conflit de point de vue, notamment en nous rapprochons de l’entreprise. Dans certains cas extrêmes, la réalité est mise en lumière par le régulateur.

Comment gérez-vous la collecte d’informations sur les sociétés implantées dans les pays émergents ?

Les agences de notation ont élargi leur spectre d’analyse à certaines grandes sociétés de pays émergents. Davantage d’informations sont ainsi disponibles. Par ailleurs, nos gérants qui vont beaucoup sur le terrain qui investissent directement sur ces sociétés sont en mesure de nous livrer leur avis pour challenger les notations établies par nos pourvoyeurs de données. Dans le cas de divergence flagrante d’opinion, nous nous rapprochons de la société afin de mieux comprendre ce qu’il en est.

Quel regard portez-vous sur la disponibilité des informations ?
Aujourd’hui nous avons pléthore d’informations sur la Responsabilité sociétale d’une entreprise. Les sociétés communiquent de plus en plus à ce sujet.
Cependant parfois certaines informations sont uniquement descriptives et émises hors contexte. Une société peut ainsi déclarer qu’elle a un turnover de ses salariés de 23%. Ce taux ne signifie pas grand-chose dans une analyse pertinente. Ce qui est important de savoir c’est comment ce turnover est pris en charge par la direction générale, quelle est sa tendance de long terme et comment cet indicateur est un outil d’aide à la décision au sein de l’entreprise.
Par ailleurs, parmi les quatre piliers sur lesquels repose notre modèle interne d’évaluation de la responsabilité société d’une entreprise, le moins renseigné est celui du développement du territoire. Il est difficile d’évaluer l’impact de l’entreprise sur son bassin d’emploi ainsi que sa contribution pour créer de produits et services adaptés à son territoire.

Où réside le danger de cette multiplication des informations ?
Le danger principal réside dans le greenwashing notamment pour les grandes sociétés qui ont les moyens de financer un dispositif de communication d’envergure. Il arrive que lorsqu’on s’intéresse de plus près aux mesures prises pour concrétiser certains engagements, celles-ci ne soient pas à la hauteur. C’est la raison pour laquelle nous nous concentrons moins sur ce que peut raconter une entreprise que sur les résultats qu’elles délivrent, les impacts positifs perceptibles sur l’environnement, ses collaborateurs, ses parties prenantes…

En cela, il est bienvenu de relever que l’information n’est plus le monopole de l’entreprise.
Les informations transmises par les particuliers peuvent s’avérer très précieuses. Des agences spécialisées ou des entreprises d’intelligence artificielle n’hésitent plus à agréger les données provenant des parties prenantes (blogs, tweets, forums…). Bien souvent, celles-ci peuvent aboutir à une image contrastée d’une entreprise qui se présente comme vertueuse.

Quel regard portez-vous sur l’apport que sous-tend le reporting défini par la TCFD ((Task Force on Climate Disclosure) ?

Notre industrie a besoin d’avoir des standards pour permettre une meilleure analyse et comparabilité des informations extra financières. La TCFD établi un cadre de reporting très intéressant pour les risques climatiques. Toutefois nous n’avons pas d’équivalent sur la partie sociale et sur la partie gouvernance.
Le travail effectué par la Commission européenne sur la taxonomie va dans ce sens. Nous accueillons favorablement la démarche qui tend à structurer le marché.



Imen Hazgui