Interview de Guillaume  Lasserre : Directeur des gestions de LBPAM

Guillaume Lasserre

Directeur des gestions de LBPAM

Actions européennes : performances, risques et perspectives 2026

Publié le 26 Novembre 2025

A un mois de la fin de l’année, les performances des actions européennes vous ont-elles surpris ?
Leur performance n’est pas si surprenante. Depuis la fin de l’année 2022 jusqu’à la fin de l’année 2024, nous étions progressivement engagés dans un atterrissage en douceur, orchestré par les banques centrales. La Réserve fédérale américaine devait encore réduire ses taux avec une inflation maitrisée vers des niveaux plus soutenables et la croissance restait présente, bien que ténue. Ce scénario d’atterrissage contrôlé, loin d’une récession brutale, a favorisé un climat de prévisibilité appréciable pour les investisseurs.

La normalisation progressive des taux a créé un environnement favorable aux actifs risqués 

 
L’activité économique est restée solide, ce qui a profité aux entreprises. La normalisation progressive des taux a créé un environnement favorable aux actifs risqués. Autrement dit, des conditions financières moins contraignantes, une visibilité plus grande sur les bénéfices et une prime de risque mieux calibrée sur les actions européennes.

Y a-t-il tout de même eu des éléments plus inattendus en 2025 ?
Oui, un élément a réellement surpris : le « liberation day », à savoir l'annonce d'une nouvelle politique commerciale menée par le président des États-Unis, Donald Trump, à la suite de son « discours de libération » du mercredi 2 avril 2025. Ceci a conduit à un mouvement d’une ampleur que personne n’avait réellement anticipé.
L’intensité de la réaction des marchés, notamment sur les secteurs exposés au commerce international, a témoigné d’une recomposition brutale des anticipations liées aux flux commerciaux, aux chaînes de valeur et à la compétitivité relative des zones économiques.

Une autre surprise a concerné la baisse du dollar…
Cet élément de surprise indéniable a joué un rôle important.

La forte baisse du dollar a reconfiguré la hiérarchie des performances  

La monnaie américaine a reculé d’environ dix pour cent, ce qui a eu un impact collatéral significatif sur les investissements libellés en dollars. Ce mouvement a reconfiguré la hiérarchie des performances : les actifs américains ont été mécaniquement pénalisés lorsqu’ils sont convertis en euros, tandis que les entreprises européennes importatrices d’intrants libellés en dollars ont gagné en compétitivité.
C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles, exprimé en euros, le Nasdaq a sous-performé le CAC 40.

Observez-vous des différences notables entre les pays européens ?
Oui, la situation varie sensiblement d’un pays à l’autre. La France a été légèrement à la traîne, en grande partie en raison d’une instabilité politique persistante. Cette incertitude a pesé sur la confiance des entreprises et sur les flux d’investissement. À l’inverse, l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne ont affiché de bonnes performances. L’Italie et l’Espagne bénéficient d’un cadre politique stabilisé et d’une gestion budgétaire plus rigoureuse, ce qui soutient leurs économies respectives.

 La notion de « périphérique » semble devenue obsolète

Les réformes structurelles engagées ces dernières années commencent également à produire leurs effets. La notion de « périphérique », utilisée autrefois pour désigner ces pays, nous semble d’ailleurs devenue obsolète.

Comment se situent aujourd’hui les valorisations des actions européennes ?
Elles sont globalement à un niveau moyen : nous ne sommes ni dans une zone de surchauffe, ni dans une zone de décote extrême. Il n’y a pas d’opportunité triviale. Autrement dit, les multiples de valorisation ne signalent ni excès d’optimisme, ni pessimisme marqué.

 Les valorisation ne signalent ni excès d’optimisme, ni pessimisme marqué

L’Europe présente donc des valorisations raisonnables d’autant qu’en termes sectoriels, elle n’est pas exposée à la même concentration technologique que les États-Unis. Cette moindre dépendance à quelques géants technologiques réduit également le risque de corrections brutales liées à un seul segment du marché. La supposée « bulle technologique » concerne donc moins les indices européens.

La performance récente semble avoir été portée par la "value". Comment l’interprétez-vous ?
En réalité, c’est un retour à un fonctionnement plus classique des marchés. Pendant près de quinze ans, nous avons évolué dans un environnement monétaire totalement atypique, marqué par des taux extrêmement bas, des politiques non conventionnelles et une courbe des taux souvent inversée. Cette situation exceptionnelle avait favorisé les valeurs de croissance, parfois indépendamment de leurs fondamentaux.

 Nous sommes revenus à quelque chose de plus normal ... 

Aujourd’hui, nous sommes revenus à quelque chose de plus normal : il existe de nouveau une pente sur les taux, et le long terme rémunère plus que le court terme. Dans ce monde plus « canonique », les entreprises moins valorisées mais bien gérées, retrouvent mécaniquement de l’attrait.

 ... les entreprises moins valorisées mais bien gérées, retrouvent mécaniquement de l’attrait 

Cela vaut également pour les petites capitalisations, qui bénéficient traditionnellement d’un environnement de croissance modérée mais positive. Le retour de primes de risque plus cohérentes améliore leur profil de performance attendu. En cela, la prise de risque est mieux rémunérée.

Ce qui a fonctionné en 2025 – la "value" et les small & mid caps – pourrait-il se prolonger en 2026 ?
Nous ne voyons pas de raison majeure de remettre en question ces tendances : les politiques de dépenses budgétaires devraient persister, la pentification des taux devrait perdurer. Dans un tel cadre, les investisseurs continuent de privilégier les actifs offrant une valorisation attractive ou un potentiel de rattrapage.

Nous ne voyons pas de raison majeure de remettre en question ces tendances ... 

Il y a un point d’incertitude important : l’impact des nouveaux droits de douane américains. Les États-Unis passent de tarifs moyens autour de trois pour cent à près de quinze pour cent en moyenne. C’est un changement considérable pour le commerce mondial et pour l’activité, dont nous n’avons quasiment pas de précédent récent.

... mais il y a un point d’incertitude important 

Les chaînes d’approvisionnement pourraient être reconfigurées en profondeur, créant des gagnants et des perdants difficilement identifiables aujourd’hui. Les effets perturbateurs sur certains modèles économiques traditionnels sont difficiles à estimer.

Les conflits géopolitiques peuvent-ils remettre en question cette perspective de relative stabilité ?
Ils peuvent créer des épisodes de volatilité, mais les marchés ont souvent montré une capacité étonnante à absorber ces chocs.

 Les marchés ont souvent montré une capacité étonnante à absorber ces chocs 

Le conflit israélo-palestinien en est un exemple récent. À court terme, l’évolution du conflit en Ukraine sera observée de près. Le dossier Taïwan constitue aussi une zone de vigilance. Toute escalade pourrait entraîner des tensions sur les matières premières, les semi-conducteurs ou les chaînes logistiques mondiales. Toutefois, ces facteurs ne remettent pas en cause la trajectoire générale, à ce stade : une croissance lente mais présente et une normalisation progressive des politiques monétaires.

Certains craignent un risque lié à l’intelligence artificielle ou à l’électrification, notamment aux États-Unis. Comment évaluez-vous ces risques ?
Le thème de l’intelligence artificielle attire des capitaux de manière massive, parfois plus rapidement que la capacité réelle de déploiement ou de monétisation. La question centrale est de savoir si les investissements colossaux engagés seront véritablement compensés par des gains de productivité, ou par des innovations suffisamment profondes. Nous n’en avons pas encore la preuve.

Cette incertitude technologique rend les paris sectoriels plus complexes et accroît le risque de rotations brutales 

Comme pour toute vague technologique majeure, un risque de surchauffe existe, notamment si les anticipations de bénéfices futurs deviennent déconnectées de la réalité opérationnelle.
En ce qui concerne l’électrification, elle nécessite des investissements énergétiques et industriels lourds qui prennent du temps à se déployer. Cela pourrait créer des décalages entre les dépenses engagées et les retours réellement observables dans l’économie.
À cela s’ajoute le fait que nous ne sommes pas à l’abri d’autres innovations comme le quantique qui viennent encore accélérer les performances de l’intelligence artificielle. Cette incertitude technologique rend les paris sectoriels plus complexes et accroît le risque de rotations brutales.

Une baisse éventuelle des marchés américains pourrait-elle peser sur l’Europe ?
L’Europe serait évidemment affectée, mais probablement moins que les États-Unis eux-mêmes. D’une part, elle a moins profité de la hausse, ce qui lui confère un certain coussin protecteur. D’autre part, nous l’avons évoqué, la structure sectorielle européenne est plus diversifiée et moins concentrée sur les mégacapitalisations technologiques. Les marchés européens reposent davantage sur l’industrie, la consommation, la finance ou la santé, des segments généralement moins volatils.

 La structure sectorielle européenne est plus diversifiée et moins concentrée sur les mégacapitalisations technologiques

Par ailleurs, je ne pense pas que le thème de l’intelligence artificielle puisse à lui seul orienter les espérances de croissance des bénéfices des sociétés européennes. Le fait de retrouver une situation normalisée sur les taux, la persistance d’une croissance relative, les dépenses budgétaires pour soutenir les infrastructures sont d’autres éléments qui ont porté le marché et qui ont vocation à rester.

Peut-on imaginer une année 2026 aussi bonne que 2025 ?
Il est difficile d’envisager une performance équivalente à celle d’une année qui frôle, à date, les quinze pour cent. Une partie importante de cette performance provient d’un effet de rattrapage sur certains secteurs et certaines valorisations. Le potentiel de surprise positive est donc mécaniquement plus limité.

Le potentiel de surprise positive est mécaniquement plus limité 

Le contexte macroéconomique reste celui d’une croissance modérée, ce qui ne justifie pas forcément une répétition d’un millésime aussi exceptionnel. Ce que nous pouvons affirmer à ce stade, c’est que nous sommes plus confiants sur le potentiel de performance des actions européennes et des actions émergentes, dans une autre mesure que sur celui des actions américaines.

Quels secteurs pourraient continuer à bien se comporter en 2026 ?
Les banques devraient encore bénéficier d’une structure de taux plus « normale » et d’un environnement réglementaire légèrement assoupli, notamment sur le capital.

Les banques devraient encore bénéficier d’une structure de taux plus « normale »

Ce cadre leur offre une meilleure rentabilité des fonds propres et une plus grande flexibilité dans l’allocation du crédit.
Le secteur de la défense, porté par une redéfinition des enjeux de souveraineté et par des besoins croissants, devrait également conserver une dynamique favorable. Ce secteur restera probablement volatil, mais la tendance de fond demeure.
Les programmes d’investissement pluriannuels engagés par plusieurs États européens assurent une visibilité appréciable pour les industriels du secteur.


AVERTISSEMENT 

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Les performances passées ne préjugent pas des performances à venir. Elles ne sont pas constantes dans le temps et ne constituent en rien une garantie de performances à venir.

Imen Hazgui