Face aux surtaxes américaines, les groupes européens de mode s'intéressent à la clause de "première vente"

Publié le 01 Août 2025

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Face aux surtaxes américaines, les groupes européens de mode s'intéressent à la clause de "première vente"

Face aux surtaxes américaines, les groupes européens de mode s'intéressent à la clause de "première vente"

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par Elisa Anzolin, Mimosa Spencer et Dominique Patton

PARIS/MILAN (Reuters) - L'Oréal et un nombre croissant d'entreprises européennes de mode et de cosmétiques explorent l'utilisation d'une clause douanière américaine, connue sous le nom de règle de la "première vente" (First Sale), comme un moyen potentiel d'atténuer l'impact des droits de douane instaurés par les Etats-Unis.

Le président américain Donald Trump et la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, ont annoncé dimanche un accord prévoyant des droits de douane américains de 15% sur la plupart des produits importés de l'UE. Cela représente un droit de douane dix fois plus élevé que celui imposé avant le retour de Donald Trump à la Maison blanche.

Certaines marques de vêtements et de biens de consommation craignent de devoir répercuter la hausse des droits de douane sur les consommateurs américains en augmentant leurs prix.

C'est pourquoi ces marques cherchent à invoquer la règle de la "première vente", qui permet aux entreprises de payer des droits de douane moins élevés en les appliquant à la valeur d'un produit lorsqu'il quitte l'usine - soit un prix bien inférieur au tarif de vente final.

"Cela fait partie des possibilités", a déclaré Nicolas Hieronimus, directeur général de L'Oréal, à Reuters mardi. "Nous prendrons des décisions", a-t-il ajouté, sans donner de calendrier.

Certaines marques, tels que le fabricant italien de baskets haut de gamme Golden Goose, le spécialiste des vêtements d'extérieur Moncler et la marque de mode Ferragamo, ont vanté les mérites de cette stratégie douanière.

"C'est un avantage significatif", a déclaré Luciano Santel, directeur exécutif de Moncler, lors d'un appel avec des analystes. Il estime le coût de production à environ la moitié du prix à l'importation.

Cette stratégie, qui ne peut être invoquée que pour des marchandises clairement destinées à être vendues aux États-Unis et impliquant de multiples transactions à l'étranger, n'est toutefois pas sans risque. Elle nécessite une documentation détaillée, une bonne maîtrise des chaînes d'approvisionnement et des structures juridiques permettant de gérer les transactions requises. 

Des cabinets de conseils tels que KPMG et PwC ont constaté cette année une augmentation des demandes de renseignements quant à la manière d'utiliser cette stratégie pour alléger le coût des droits de douane américains.

"Nous avons trois fois plus de demandes qu'habituellement", a déclaré Ruth Guerra, associée chez KPMG à Paris, au sujet des stratégies d'atténuation, y compris la règle de la première vente. Selon elle, cette règle peut être combinée avec d'autres mesures.

"AGIR AVEC LA PLUS GRANDE PRUDENCE"

Afin de bénéficier de droits de douane réduits, une entreprise doit prouver que les produits à destination des États-Unis ont fait l'objet de plusieurs transactions. En général, cela signifie que les marchandises sont vendues de l'usine à un intermédiaire, puis à une entreprise américaine qui les importe. Toutes les transactions doivent être effectuées dans des conditions de pleine indépendance par des entités clairement distinctes. 

En général, une filiale américaine est impliquée afin d'éviter de révéler des informations confidentielles à une entité externe, a expliqué Francesco Pizzo, avocat spécialisé en droit douanier et fiscal chez PwC.

"Dans notre cas, les droits de douane de 15% se traduiront potentiellement par un impact de 3% sur le prix de détail aux États-Unis", a révélé Silvio Campara, directeur général de Golden Goose.

Si plusieurs grandes entreprises du textile et de l'habillement utilisent la règle de la première vente depuis un certain temps, nombre d'entre elles l'ont négligé quand les droits de douane étaient peu élevés, a déclaré Mark Ludwig, responsable national des services de conseil en matière de commerce et de droits de douane au sein de la société de conseil RSM à New York.

"Aujourd'hui, le rapport coût-efficacité est beaucoup plus élevé", a déclaré Lucio Miranda, fondateur de la société de conseil ExportUSA, qui s'attend à ce que l'utilisation de la règle de la première vente augmente avec l'intérêt d'entreprises d'autres secteurs d'activité.

Il n'existe pas de données publiques sur les marchandises importées par le biais de la règle de la première vente, mais une enquête menée en 2009 par la Commission du commerce international des États-Unis a révélé que 8,5% des entités importatrices sur une année ont eu recours à cette solution. Cela équivaut à 2,4% de la valeur totale des importations américaines. Près de la moitié de ce montant était liée aux chaussures et aux vêtements.

Pour les producteurs français de cosmétiques, les droits de douane américains représentent un nouveau défi, l'industrie ayant bénéficié de droits de douane nuls.

"Si cet accord met fin à l’incertitude, il fait peser une menace significative sur la compétitivité de l’industrie cosmétique française", a déclaré Emmanuel Guichard, délégué général de la FEBEA, lobby français des cosmétiques.

La règle de la première vente n'est également accessible qu'aux entreprises qui peuvent se conformer à un processus strict, qui comporte également d'autres risques.

"L'un des principaux problèmes liés à la sélection de la règle de la première vente est que seules les entreprises dotées de ressources suffisantes peuvent vraiment se le permettre - à la fois les coûts de mise en conformité et les risques d'audit qui en découlent", a relevé Michael T. Cone, avocat américain spécialisé dans les questions douanières et commerciales.

Une utilisation inappropriée pourrait également entraîner des sanctions, a-t-il ajouté, notant que l'agence américaine des douanes et de la protection des frontières procède régulièrement à des audits et refuse d'appliquer cette règle.

"Les importateurs doivent agir avec la plus grande prudence", prévient-il.

(Reportage Elisa Anzolin, Arriana McLymore, Dominique Patton, Mimosa Spencer et Tassilo Hummel ; version française Etienne Breban ; édité par Blandine Hénault)

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