Les grandes sociétés ont supprimé plus de 45.000 emplois en octobre en Europe et aux Etats-Unis avec la morosité économique et l'IA
par Twesha Dikshit, Anuja Bharat Mistry et David Gaffen
(Reuters) - Des entreprises du monde entier ont récemment multiplié les suppressions d'emplois afin de réduire leurs dépenses, notamment des grands groupes allant d'Amazon à Nestlé en passant par UPS, alors que le moral des consommateurs s'assombrit et que les entreprises technologiques axées sur l'IA commencent à remplacer des postes par l'automatisation.
Selon un décompte de Reuters, les entreprises américaines ont annoncé plus de 25.000 suppressions d'emplois ce mois-ci, sans compter les 48.000 chez UPS depuis le début de l'année 2025.
En Europe, plus de 20.000 suppressions d'emploi sont comptabilisées ce mois-ci, le groupe suisse Nestlé représentant la majeure partie de ce décompte après avoir annoncé mi-octobre supprimer 16.000 emplois.
Étant donné que les chiffres sur les suppressions d'emplois ne sont pas disponibles pour l'ensemble de l'économie et que le gouvernement américain est en plein 'shutdown', les investisseurs accordent une attention particulière à ces annonces de licenciements. Et ce, même si les licenciements de fin d'année sont fréquents et que la plupart des suppressions d'emplois qui attirent l'attention s'étalent sur une longue période.
"Les investisseurs se demandent ce que cela signifie. Et plus précisément, quel est le tableau d'ensemble puisque nous ne pouvons pas le voir", a déclaré Adam Sarhan, directeur général de 50 Park Investments à New York, ajoutant que des réductions comme celles d'Amazon "(lui) font penser que l'économie ralentit, qu'elle ne se renforce pas. Il n'y a pas de licenciements massifs lorsque l'économie est forte."
LES ENTREPRISES VEULENT UN RETOUR SUR INVESTISSEMENT DANS L'IA
Amazon a annoncé mardi la suppression de 14.000 emplois dans ses services dans les bureaux, suivant ainsi l'exemple de Target, Procter & Gamble et d'autres entreprises qui ont supprimé des milliers de postes administratifs.
Les suppressions chez Target concernent 8% de son personnel administratif, alors que celles d'Amazon n'affectent que 14.000 postes sur un effectif total de 1,5 million de personnes.
Reuters a rapporté lundi que jusqu'à 30.000 emplois pourraient être supprimés chez Amazon.
Les raisons de ces suppressions varient. Certaines entreprises, comme Target et Nestlé, ont de nouveaux dirigeants désireux de restructurer leurs activités.
Ce qui ressort toutefois c'est que des entreprises comme Amazon et Target se concentrent sur des postes de cols blancs considérés comme vulnérables à l'automatisation induite par l'IA, plutôt que sur des emplois en magasins ou dans les usines.
Certains analystes estiment que la mesure prise par Amazon pourrait être un signe précurseur de changements structurels plus profonds, les entreprises s'efforçant de justifier les milliards dépensés pour les outils d'IA.
La dernière étude de KPMG auprès de cadres supérieurs américains, publiée en septembre, montre que les investissements prévus en matière d'IA ont augmenté de 14% depuis le premier trimestre, pour atteindre une moyenne de 130 millions de dollars (111,47 millions d'euros) au cours de l'année à venir.
Par ailleurs, 78% des cadres déclarent subir une pression intense de la part des conseils d'administration et des investisseurs pour démontrer que l'IA permet de réaliser des économies et d'augmenter les bénéfices.
D'après les économistes de Bank of America, les professions les plus susceptibles d'être touchées seraient celles où les emplois de premier échelon peuvent être remplacés par l'automatisation, selon une note du 22 octobre. Toutefois, jusqu'à présent, les entreprises qui emploient des cols blancs, comme dans les secteurs de l'information, de la finance et des services professionnels, ont connu une croissance de l'emploi en parallèle à l'utilisation accrue de l'IA, ont-ils écrit.
"(L'IA) a le potentiel d'avoir un impact sur le marché du travail, mais je ne pense pas que cet impact soit très fort pour l'instant", a déclaré Allison Shrivastava, économiste chez Indeed Hiring Lab à Saratoga Springs, dans l'État de New York, indiquant que le secteur de la technologie s'est replié depuis le pic de 2022.
'PEU D'EMBAUCHES, PEU DE LICENCIEMENTS'
Compte tenu du 'shutdown' américain, les données sont limitées. Les statistiques hebdomadaires du chômage dans les États ne montrent jusqu'à présent aucune augmentation notable des licenciements, mais la croissance de l'emploi reste modérée.
Les économistes affirment que le marché du travail est bloqué dans une phase 'peu d'embauches, peu de licenciements', les entreprises réduisant discrètement leurs effectifs en ne remplaçant pas les postes vacants.
Si les licenciements s'accélèrent, ils pourraient affaiblir davantage la confiance des consommateurs et l'économie américaine dans son ensemble, déjà mise à rude épreuve par les droits de douane et une inflation supérieure aux objectifs de la Réserve fédérale américaine (Fed). Des responsables de la Fed craignent que l'environnement 'peu d'embauches, peu de licenciements' ne glisse vers une accélération des licenciements.
"L'expression 'peu d'embauches, peu de licenciements' donne presque l'impression que nous sommes dans un nouvel équilibre, alors qu'en réalité les entreprises retiennent leur souffle, essayant de comprendre ce qui se passe", a déclaré Allison Shrivastava.
(David Gaffen à New York et Twesha Dikshit, Anshuman Tripathy et Anuja Bharat Mistry à Bangalore ; rédigé par Josephine Mason à Londres ; version française Coralie Lamarque, édité par Augustin Turpin)