Interview de Sébastien  Korchia : Directeur Général - Directeur des Investissements chez Cogefi Gestion

Sébastien Korchia

Directeur Général - Directeur des Investissements chez Cogefi Gestion

Intelligence artificielle et économie américaine : quels enjeux pour 2026 ?

Publié le 17 Novembre 2025

Pour commencer, quel regard portez-vous sur cette année 2025 ?
Si l’on se replace en tout début d’année, l’humeur dominante chez les investisseurs à propos de l’économie américaine était plutôt sombre. L’idée générale était que l’économie allait ralentir nettement, voire entrer en récession. D’un côté, les droits de douane et les mesures tarifaires mises en place auparavant étaient perçus comme un frein inévitable pour la croissance et l’emploi. Les économistes expliquaient que leur impact mettrait du temps à se diffuser, mais qu’il finirait forcément par être négatif. De l’autre côté, certains indicateurs commençaient déjà à montrer des signes de fatigue : une consommation moins dynamique, des chefs d’entreprise plus prudents, un climat d’affaires un peu moins porteur. Dans ce contexte, le scénario le plus commenté était celui d’une économie américaine qui ralentit fortement, sous la menace d’une récession, ce qui devait logiquement conduire la Réserve fédérale américaine à baisser les taux d’intérêt pour tenter d’amortir le choc.

La réalité a surpris une grande partie des investisseurs. Au lieu de l’enchaînement classique “fort ralentissement, récession, baisses de taux marquées”, l’économie américaine a mieux résisté qu’anticipé. La différence majeure est venue de l’essor

Alors que l’on attendait une économie qui cale, l’intelligence artificielle a joué le rôle de relais de croissance inattendu.

de l’intelligence artificielle. Des investissements massifs ont été décidés et réalisés, en particulier dans les centres de données, les infrastructures de calcul et de réseau. Ces dépenses se sont traduites par une demande supplémentaire dans l’économie réelle au moment même où l’on craignait un affaiblissement marqué. Autrement dit, alors que l’on attendait une économie qui cale, l’intelligence artificielle a joué le rôle de relais de croissance inattendu.

Concrètement, quel a été l’impact de ces investissements liés à l’intelligence artificielle sur la croissance ?
Les économistes qui ont tenté de quantifier l’effet de ces investissements estiment que la vague liée à l’intelligence artificielle a ajouté un supplément de croissance non négligeable. Les ordres de grandeur évoqués tournent autour de 0,8 point de croissance, d’autres estimations ont été plus ambitieuses. Même si l’on reste prudent et que l’on retient l’hypothèse basse, l’effet reste considérable. Ce surplus de croissance est arrivé exactement au moment où l’économie montrait des signes de ralentissement, ce qui a permis de compenser une partie de la faiblesse observée dans d’autres secteurs. Plusieurs institutions et banques d’analyse ont d’ailleurs souligné que, sans cette vague d’investissements dans l’intelligence artificielle, l’économie américaine aurait probablement affiché, au premier semestre 2025, une croissance très proche de 0. En résumé, ces investissements ont temporairement empêché l’économie américaine de s’enliser dans un scénario de stagnation ou de récession.

Selon vous, cependant, cette intelligence artificielle est « l’arbre qui cache la forêt ». Pourquoi ?
J’emploie cette expression pour dire que l’intelligence artificielle donne une image très flatteuse de l’économie américaine, mais qu’elle masque en partie une réalité beaucoup plus contrastée. Ce que l’on voit en premier, ce sont les grands gagnants. Les investissements massifs, les projets spectaculaires, les résultats solides de certaines méga-capitalisations technologiques et la performance brillante d’indices comme le Nasdaq donnent l’impression d’une économie en excellente santé. Pourtant, si l’on se tourne vers d’autres segments, en particulier ceux qui traduisent la dynamique de l’économie domestique, le tableau est moins réjouissant. Par exemple, l’indice Russell 2000, qui regroupe de nombreuses petites et moyennes entreprises plus ancrées dans le tissu économique local,

L’intelligence artificielle fonctionne un peu comme un projecteur extrêmement puissant braqué sur une partie de l’économie, tandis que le reste de la scène est bien plus sombre.

montre une évolution nettement plus timide. Les résultats d’entreprises de la distribution ou de services de base traduisent aussi une consommation plus prudente et une pression sur les marges. Autrement dit, l’intelligence artificielle fonctionne un peu comme un projecteur extrêmement puissant braqué sur une partie de l’économie, tandis que le reste de la scène est bien plus sombre. C’est toute la notion dite de « croissance en K » ( K-shaped economy) qui est au centre des débats aux Etats-Unis actuellement. Cela met en lumière une économie à la croissance déséquilibrée qui pose d’ailleurs un problème aux membres de la Fed qui selon qu’ils regardent telle ou telle branche du K ont des opinions sur l’évolution de la politique monétaire à appliquer très opposées.
Il existe donc un risque de se laisser tromper par la performance spectaculaire d’un secteur et de sous-estimer la fragilité de l’ensemble.

Vous parlez ainsi de « deux Amériques ». Pouvez-vous préciser ?
Lorsque je parle de “deux Amériques”, je tente de décrire une fracture qui est à la fois économique, sociale et psychologique. La première Amérique est celle qui est pleinement connectée au monde de la Bourse, de la technologie et des grandes métropoles. Elle regroupe les cadres de la finance, les ingénieurs de la technologie, les dirigeants d’entreprises, les investisseurs et plus généralement tous ceux qui détiennent des actifs financiers et bénéficient directement de la hausse des marchés. Pour cette Amérique-là, l’intelligence artificielle est une opportunité, la valorisation de leurs actions ou de leurs stock-options crée un effet de richesse et la dynamique reste positive.
La deuxième Amérique, beaucoup plus nombreuse, regroupe les employés modestes, les travailleurs précaires, une partie des classes moyennes, les habitants de régions industrielles en difficulté ou de zones rurales. Pour eux, la hausse des loyers, des coûts de santé, de l’alimentation et de l’énergie est une réalité quotidienne. Ils ne possèdent souvent que peu ou pas d’actifs financiers, subissent l’inflation et sont davantage exposés au risque de chômage lorsque les entreprises automatisent ou rationalisent leurs activités.

Environ 10 % de la population américaine réalisent à eux seuls près de 50 % des dépenses de consommation du pays. [...] Ces mêmes 10 % détiennent autour de 80 % du patrimoine total.

Un chiffre résume bien la situation sur la consommation. Environ 10 % de la population américaine réalisent à eux seuls près de 50 % des dépenses de consommation du pays. Les 90 % restants se partagent l’autre moitié. Si l’on regarde la répartition des actifs, le constat est encore plus frappant. Ces mêmes 10 % détiennent autour de 80 % du patrimoine total, qu’il s’agisse d’immobilier, d’actions, d’obligations ou de placements divers. Les 90 % restants se contentent donc d’une faible part de la richesse globale. En parallèle, un Américain sur 8 dépend chaque mois de bons alimentaires pour se nourrir, ce qui illustre l’ampleur de la précarité.

Avec ce contexte très contrasté, peut-on établir un scénario central pour l’économie américaine en 2026 ?
Dans un tel environnement, établir un scénario central solide pour 2026 est extrêmement compliqué, preuve en est même les membres de la FED ont des vues très différentes comme indiqué ci-avant. Nous devons commencer l’année avec des marchés actions américains à des niveaux de valorisation déjà très élevés, une concentration historique des indices sur un petit nombre de très grandes valeurs technologiques, une économie portée par l’intelligence artificielle mais aussi fragilisée dans d’autres secteurs, et une société très clivée. À cela s’ajoute une échéance politique majeure avec les élections de mi-mandat.

Prétendre définir un chemin central, stable et peu contestable pour l’économie américaine serait illusoire

Or, les élections américaines, qu’elles soient présidentielles ou de mi-mandat, ne sont jamais des événements purement locaux. Elles influencent la fiscalité, la régulation des grandes entreprises, la politique commerciale, les dépenses publiques, la politique industrielle, et donc directement les marchés financiers du monde entier. La Chambre des représentants comme le Senat sont dans un équilibre précaire et les clivages idéologiques sont très profonds. Le consommateur américain est très important pour la croissance américaine et ce sont aussi des électeurs. Ceux qui ne profitent pas de Wall Street commencent à envoyer des signaux de déception notamment après le shutdown et aussi la hausse des prix des éléments de base d’où d’ailleurs la décision du Président Trump de faire machine arrière sur les tariffs de produits de base comme le café, la viande, les bananes, etc… Prétendre, dans ce contexte, définir un chemin central, stable et peu contestable pour l’économie américaine serait illusoire.

Les actions américaines sont-elles vraiment surévaluées ? Comment comparer la situation actuelle avec celle de la bulle Internet des années 2000 ?
La question de la surévaluation des actions américaines divise profondément le monde de l’investissement. D’un côté, de nombreux investisseurs et institutions considèrent que les niveaux de valorisation atteints par certaines grandes valeurs, et par le marché dans son ensemble, sont excessifs. Ils se basent sur des indicateurs historiques comme le ratio cours sur bénéfices moyen, la capitalisation totale rapportée au produit intérieur brut, la prime de risque actions, et constatent que l’on se situe à des niveaux qui rappellent des périodes comme la bulle Internet.

La question de la surévaluation des actions américaines divise profondément le monde de l’investissement.

Selon eux, il est très difficile d’imaginer que ces niveaux puissent encore se prolonger longtemps sans correction. De l’autre côté, certains affirment que la comparaison avec les années 2000 est trompeuse. À l’époque de la bulle Internet, de nombreuses sociétés étaient très endettées ou peu rentables, et souvent basées sur des promesses plus que sur des modèles économiques éprouvés. Aujourd’hui, les grandes entreprises de la technologie et de l’intelligence artificielle disposent de trésors de guerre en liquidités, de marges élevées et de positions dominantes. Elles sont donc, selon ce camp, beaucoup plus solides que les sociétés de la bulle Internet. On se retrouve ainsi, là encore, avec deux lectures opposées. La première dit en substance que, quelles que soient les différences structurelles, les niveaux atteints sont dangereux et prémices d’un excès. La seconde répond que nous sommes entrés dans une nouvelle ère, avec des entreprises d’une nature différente, ce qui justifierait de revoir les repères habituels.

Les particuliers américains jouent un rôle particulier dans cette dynamique boursière…
Oui, les particuliers américains ont pris une place de plus en plus importante dans la dynamique boursière récente. Grâce aux plateformes de courtage à faible coût et aux produits à effet de levier, ils disposent aujourd’hui d’un pouvoir d’action considérable, parfois supérieur, sur certaines valeurs, à celui des investisseurs institutionnels classiques. Leur comportement est souvent différent de celui des professionnels. Eux se soucient moins des métriques traditionnelles de valorisation. Ils raisonnent davantage en termes de symboles et d’icônes. Ils achètent par exemple telle ou telle grande valeur technologique parce qu’elle incarne à leurs yeux le futur, l’innovation ou le génie d’un dirigeant charismatique, plus que pour le niveau exact de son ratio cours sur bénéfices. Comme ces valeurs sont très concentrées dans les grands indices, leurs achats massifs font monter mécaniquement la Bourse, parfois en déconnexion avec les données fondamentales. Cette attitude contribue à la hausse, mais aussi à la fragilité du marché. Car si, pour une raison ou une autre, le sentiment se retourne, ces mêmes particuliers peuvent vendre avec la même vigueur qu’ils ont achetée, amplifiant les mouvements à la baisse.

Pensez-vous personnellement que l’on peut durablement ignorer les valorisations en Bourse ?
Je ne pense pas que l’on puisse durablement ignorer les valorisations en Bourse. L’histoire financière montre qu’à chaque fois que l’on a concentré une grande partie des capitaux sur un petit groupe de valeurs, tout en mettant de côté les repères habituels, cela s’est mal terminé.
On a vu ce phénomène lors de la bulle Internet, mais aussi dans d’autres périodes où quelques secteurs étaient considérés comme intouchables. Aujourd’hui, les entreprises qui portent l’intelligence artificielle sont sans doute plus solides financièrement que les sociétés de l’an 2000. Elles disposent de liquidités abondantes, de profits élevés et de positions dominantes. Cependant, nous sommes en train de voir apparaître un phénomène nouveau. Les montants d’investissement à financer deviennent tellement gigantesques que ces entreprises commencent à emprunter significativement pour certaines. L’autofinancement ne suffit plus toujours. Elles émettent de la dette, et l’on voit apparaître des signaux d’inquiétude sur les marchés obligataires, par exemple à travers la hausse du coût des assurances contre le défaut de crédit (CDS). Lorsque les marchés commencent à se demander si la rentabilité future sera suffisante pour justifier à la fois la valorisation boursière et le service de la dette, la tension monte.

Selon vous, l’intelligence artificielle restera-t-elle le “driver” principal des marchés en 2026 ?
Il est très probable que l’intelligence artificielle reste au centre du jeu en 2026. Elle restera le thème dominant, celui qui occupe l’attention des investisseurs, des entreprises et des régulateurs.

 L’intelligence artificielle restera bien le driver, mais il faut accepter l’idée que ce driver peut fonctionner dans les deux sens. 

Cependant, il faut corriger une idée reçue. Lorsque l’on parle de “moteur” ou de “driver”, on a tendance à penser uniquement en termes positifs, comme si ce moteur ne pouvait que pousser les marchés à la hausse. En réalité, ce même moteur peut amplifier les baisses. On l’a vu lors de la bulle Internet. Les valeurs qui avaient porté la hausse ont ensuite concentré l’essentiel de la baisse. Aujourd’hui, les grandes sociétés de l’intelligence artificielle sont au cœur des indices et dominent les flux d’investissement. Tant que la confiance persiste, elles tirent les marchés vers le haut. Mais si des doutes sérieux apparaissent sur la rentabilité des investissements, sur la capacité à financer durablement l’infrastructure, sur les contraintes énergétiques, sur la régulation ou sur l’arrivée d’une technologie concurrente comme l’ordinateur quantique, ces mêmes valeurs peuvent devenir le point de fragilité principal. L’intelligence artificielle restera donc bien le driver, mais il faut accepter l’idée que ce driver peut fonctionner dans les deux sens.

Qu’entendez-vous par « doutes sérieux » ?
Historiquement, des sociétés comme Amazon, Meta ou Microsoft étaient perçues comme des entreprises de logiciels, de services ou de plateformes. Elles étaient peu intensives en capital physique. Leur modèle reposait sur des services numériques, des abonnements, de la publicité, avec des coûts fixes relativement maîtrisés. Cela justifiait leur statut de valeurs de croissance, très fortement valorisées, car leur activité ne nécessitait pas des investissements matériels gigantesques pour croître et généraient des cash flows extraordinaires ce que la Bourse adore. Avec l’essor de l’intelligence artificielle et des infrastructures nécessaires, ces sociétés sont en train de devenir beaucoup plus capitalistiques, consommer leurs cash flows et comme déjà indiqué pour certaines utiliser de la dette.

La question se pose de savoir si la demande pour des services d’intelligence artificielle sera assez ample et assez rentable pour couvrir ces dépenses colossales dans un horizon raisonnable ? La réponse n’est pas encore évidente.

En général, pour rentabiliser des milliards investis dans des actifs lourds, il faut générer un chiffre d’affaires qui représente forcément un montant supérieur à l’investissement engagé, et dégager ensuite une marge suffisante. Cela place la barre très haut. Quand on compare ces montants aux chiffres d’affaires actuels de certaines activités, on mesure l’écart. La question se pose de savoir si la demande pour des services d’intelligence artificielle sera assez ample et assez rentable pour couvrir ces dépenses colossales dans un horizon raisonnable ? La réponse n’est pas encore évidente.
De plus, la consommation d’électricité peut devenir un frein majeur au développement de l’intelligence artificielle telle que nous la concevons aujourd’hui. Les modèles actuels, qu’il s’agisse d’entraînement ou d’usage intensif, nécessitent des puissances de calcul gigantesques, donc des quantités d’énergie tout aussi gigantesques. Or, il existe un décalage structurel entre la vitesse à laquelle on peut construire de nouveaux centres de données et la vitesse à laquelle on peut développer de nouvelles capacités de production d’électricité. En règle générale, il faut environ 2 ans pour construire un grand centre de données, alors qu’il faut souvent entre 5 et 10 ans pour mener à bien un projet de centrale de production d’énergie, notamment nucléaire.

Le facteur énergétique est encore parfois sous-estimé dans les discours enthousiastes, mais il pourrait devenir déterminant dans la capacité réelle à déployer l’intelligence artificielle à très grande échelle.

Ce décalage crée une tension. Ce facteur énergétique est encore parfois sous-estimé dans les discours enthousiastes, mais il pourrait devenir déterminant dans la capacité réelle à déployer l’intelligence artificielle à très grande échelle. On commence d’ailleurs à voir apparaitre aux Etats-Unis des datas centers qui ne fonctionnent pas en alors en sous-utilisation faute d’alimentation électrique suffisante. Au-delà du problème industriel, on peut imaginer à terme dans ces circonstances, un risque de décalage, et donc de déceptions au regard des PER élevés, entre réalisation et attentes des marchés.

Quel rôle devrait jouer la Réserve fédérale américaine dans une telle configuration ?
La Réserve fédérale américaine se trouve dans une position particulièrement délicate pour les prochains trimestres. Elle doit simultanément défendre son indépendance, gérer une inflation qui n’est pas totalement éteinte, et surveiller un marché du travail qui montre des signes de fragilisation. Sur le plan de l’indépendance, l’enjeu est crucial pour la crédibilité de la politique monétaire et pour la confiance des marchés obligataires et des marchés des changes.

La Réserve fédérale américaine devra trouver un équilibre extrêmement subtil pour éviter de donner le sentiment qu’elle se laisse dicter sa conduite

Si les investisseurs commencent à penser que la Réserve fédérale américaine agit sous la pression politique et non plus en fonction de ses propres analyses économiques, ils peuvent exiger un prime de risque plus élevée sur la dette américaine, ce qui renchérit le coût de financement pour l’État. Sur le plan économique, la banque centrale doit arbitrer entre 2 objectifs. D’un côté, elle a le mandat de stabilité des prix, ce qui suppose de ne pas relâcher trop vite la garde face à l’inflation. De l’autre, elle a la responsabilité de soutenir l’emploi et l’activité, surtout si le chômage commence à augmenter plus vite que prévu, en particulier dans les secteurs qui ne bénéficient pas de la dynamique de l’intelligence artificielle. Enfin, sur le plan politique, la banque centrale entre dans une période où ses décisions seront scrutées à travers le prisme des élections. Il y aura des pressions fortes pour baisser les taux et soulager le coût du crédit pour les ménages et les entreprises. La Réserve fédérale américaine devra trouver un équilibre extrêmement subtil pour éviter de donner le sentiment qu’elle se laisse dicter sa conduite, tout en prenant en compte la réalité d’un ralentissement et de tensions sociales croissantes.

À quoi faut-il s’attendre en termes de volatilité des marchés en 2026 ?
Je pense que 2026 pourrait être une année particulièrement riche en volatilité, c’est-à-dire en variations de marché significatives, dans un sens comme dans l’autre. La volatilité n’est rien d’autre que l’expression, en temps réel, des débats et des désaccords entre les investisseurs. Tant que tout le monde va dans le même sens, les marchés montent ou baissent de manière relativement ordonnée.

Pour l’année qui vient, tous les ingrédients de ce désaccord profond sont réunis. [...] Dans un tel contexte, il serait étonnant que les marchés suivent un chemin linéaire.

Lorsque les opinions divergent fortement, lorsque certains pensent que le marché est encore plein de potentiel et que d’autres jugent qu’il est à la veille d’une correction majeure, les mouvements deviennent plus abrupts et plus fréquents. Or, pour l’année qui vient, tous les ingrédients de ce désaccord profond sont réunis. Les valorisations sont élevées, la concentration sur un petit groupe de valeurs est extrême, la révolution de l’intelligence artificielle soulève autant de promesses que de questions, la société américaine est très clivée, la Réserve fédérale américaine se trouve sous une pression politique importante, et une échéance électorale majeure vient se greffer au milieu de tout cela. Dans un tel contexte, il serait étonnant que les marchés suivent un chemin linéaire. Il faut plutôt se préparer à des épisodes d’euphorie, suivis de phases de doute, avec des ajustements parfois brusques.

Un mot sur le dollar : après une année 2025 marquée par une grande faiblesse du dollar, que peut-on attendre pour 2026 ?
La question de l’évolution du dollar est probablement l’une des plus difficiles qui soit, car le marché des changes est le point de rencontre de nombreux facteurs. Le niveau du dollar dépend à la fois de la croissance relative des États-Unis par rapport au reste du monde, du différentiel de taux d’intérêt, de la perception du risque politique, des flux de capitaux, du rôle du dollar comme monnaie de réserve mondiale, et de la stratégie d’autres grandes puissances, comme la Chine, qui cherchent à renforcer le rôle international de leur propre monnaie.

Le plus sage est probablement d’admettre que le dollar restera un sujet à suivre de très près, plutôt que d’affirmer que sa trajectoire est déjà écrite.

Tout cela rend les prévisions très incertaines. Ce que l’on peut dire, en revanche, c’est que l’entourage de Donald Trump a souvent défendu l’idée qu’un dollar trop fort pénalise la compétitivité américaine et qu’il est souhaitable de disposer d’un dollar plus faible. Cette vision d’un dollar qui ne doit pas être excessivement fort reste présente. Elle va donc dans le sens d’une préférence, à moyen terme, pour un dollar plutôt modéré ou un peu plus faible, à condition que les autres facteurs ne viennent pas brutalement inverser la tendance. Mais il serait imprudent de présenter un scénario tranché. Entre la géopolitique, les décisions de la Réserve fédérale américaine, la perception de la dette américaine et les ambitions monétaires de la Chine, les forces en présence sont multiples et parfois contradictoires. Le plus sage est probablement d’admettre que le dollar restera un sujet à suivre de très près, plutôt que d’affirmer que sa trajectoire est déjà écrite.

Dans ce contexte, faut-il rester positionné sur les actions américaines en 2026 ? Et comment le faire ?
À mon sens, il ne s’agit pas de tourner le dos aux actions américaines, mais plutôt d’ajuster la manière dont on y est exposé. Les États-Unis restent au cœur de la révolution de l’intelligence artificielle, et il serait illogique de s’en exclure totalement. En revanche, la configuration actuelle appelle à une plus grande prudence et à un meilleur équilibre. D’abord, il faut prendre conscience que certains produits indiciels classiques, pondérés par la capitalisation, sont devenus extrêmement concentrés sur les mêmes quelques valeurs. Acheter un indice technologique comme le Nasdaq et simultanément un indice large comme le Standard and Poor’s 500 revient parfois à acheter presque deux fois la même chose, à cause du poids très important des méga-capitalisations. Les 10 plus grandes capitalisations du Standard and Poor’s 500 représentent plus de 40 % de la capitalisation totale de l’indice. Les 490 autres valeurs se partagent donc moins de 60 %.

Il ne s’agit pas de tourner le dos aux actions américaines, mais plutôt d’ajuster la manière dont on y est exposé.

Ensuite, il peut être judicieux de privilégier des approches qui réduisent cette concentration, par exemple en préférant l’indice S&P 500 dans sa forme équipondérée qui permet de raboter les excès de concentration et finalement d’acheter les mêmes 500 valeurs du S&P mais avec une décote significative de valorisation et un risque sectoriel réduit lié à une concentration beaucoup plus réduite dans les valeurs de l’AI.
Couplé éventuellement avec une exposition aux valeurs de l’économie domestique américaine, celles présentent dans l’indice Russell 2000, une économie par ailleurs sensible aux baisses des taux à priori à venir de la FED.
Il y a dans ce binôme S&P équipondéré et Russell 2000 certes un positionnement moins dans « la mode du moment », mais plus équilibré entre les styles value et croissance et avec une valorisation moyenne déjà beaucoup plus en phase avec les valorisations historiques de Wall Street.

Il y a dans le binôme S&P équipondéré et Russell 2000 certes un positionnement moins dans “la mode du moment”, mais plus équilibré entre les styles value et croissance […].

Au demeurant, il peut être judicieux de s’intéresser à l’intelligence artificielle à travers d’autres prismes, pourquoi pas, avec l’exposition aux technologies d’autres régions, comme l’Asie , et plus particulièrement la Chine. De nombreuses sociétés technologiques chinoises, actives dans le numérique, la donnée et les usages liés à l’intelligence artificielle, sont cotées sur des places internationales, notamment à New York via des certificats « reflets » (ADR), ou à Hong Kong. Elles se négocient avec des niveaux de valorisation souvent nettement inférieurs à ceux de leurs équivalents américains. Dans certains cas, les ratios cours sur bénéfices se situent autour de 10 à 14, alors que certaines grandes valeurs américaines se traitent sur des multiples bien plus élevés. Il existe aussi des ETF cotés en Europe sur des indices chinois et de technologies chinoises. Attention bien sûr aux effets de change qui peuvent contrarier la performance dès qu’on investit sur un sous-jacent hors d’europe.
D’ailleurs en parlant d’Europe, les valeurs d’énergie et assimilées, celles qu’on appelle les utilities et qui participent à leur manière à l’électrification dont l’Europe à besoin seront toujours probablement recherchées les prochaines années, comme elles l’ont été en 2025 ! Le plan de relance Allemand, même s’il fait l’objet de débats et d’arbitrages, est un soutient solide pour les les bourses européennes, tout comme les valeurs de défense.

AVERTISSEMENT 

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Imen Hazgui