Sébastien Korchia
Directeur Général - Directeur des Investissements chez Cogefi Gestion
Intelligence artificielle et économie américaine : quels enjeux pour 2026 ?
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Publié le 17 Novembre 2025
Si l’on se replace en tout début d’année, l’humeur dominante chez les investisseurs à propos de l’économie américaine était plutôt sombre. L’idée générale était que l’économie allait ralentir nettement, voire entrer en récession. D’un côté, les droits de douane et les mesures tarifaires mises en place auparavant étaient perçus comme un frein inévitable pour la croissance et l’emploi. Les économistes expliquaient que leur impact mettrait du temps à se diffuser, mais qu’il finirait forcément par être négatif. De l’autre côté, certains indicateurs commençaient déjà à montrer des signes de fatigue : une consommation moins dynamique, des chefs d’entreprise plus prudents, un climat d’affaires un peu moins porteur. Dans ce contexte, le scénario le plus commenté était celui d’une économie américaine qui ralentit fortement, sous la menace d’une récession, ce qui devait logiquement conduire la Réserve fédérale américaine à baisser les taux d’intérêt pour tenter d’amortir le choc.
La réalité a surpris une grande partie des investisseurs. Au lieu de l’enchaînement classique “fort ralentissement, récession, baisses de taux marquées”, l’économie américaine a mieux résisté qu’anticipé. La différence majeure est venue de l’essor
Alors que l’on attendait une économie qui cale, l’intelligence artificielle a joué le rôle de relais de croissance inattendu.
Concrètement, quel a été l’impact de ces investissements liés à l’intelligence artificielle sur la croissance ?
Les économistes qui ont tenté de quantifier l’effet de ces investissements estiment que la vague liée à l’intelligence artificielle a ajouté un supplément de croissance non négligeable. Les ordres de grandeur évoqués tournent autour de 0,8 point de croissance, d’autres estimations ont été plus ambitieuses. Même si l’on reste prudent et que l’on retient l’hypothèse basse, l’effet reste considérable. Ce surplus de croissance est arrivé exactement au moment où l’économie montrait des signes de ralentissement, ce qui a permis de compenser une partie de la faiblesse observée dans d’autres secteurs. Plusieurs institutions et banques d’analyse ont d’ailleurs souligné que, sans cette vague d’investissements dans l’intelligence artificielle, l’économie américaine aurait probablement affiché, au premier semestre 2025, une croissance très proche de 0. En résumé, ces investissements ont temporairement empêché l’économie américaine de s’enliser dans un scénario de stagnation ou de récession.
Selon vous, cependant, cette intelligence artificielle est « l’arbre qui cache la forêt ». Pourquoi ?
J’emploie cette expression pour dire que l’intelligence artificielle donne une image très flatteuse de l’économie américaine, mais qu’elle masque en partie une réalité beaucoup plus contrastée. Ce que l’on voit en premier, ce sont les grands gagnants. Les investissements massifs, les projets spectaculaires, les résultats solides de certaines méga-capitalisations technologiques et la performance brillante d’indices comme le Nasdaq donnent l’impression d’une économie en excellente santé. Pourtant, si l’on se tourne vers d’autres segments, en particulier ceux qui traduisent la dynamique de l’économie domestique, le tableau est moins réjouissant. Par exemple, l’indice Russell 2000, qui regroupe de nombreuses petites et moyennes entreprises plus ancrées dans le tissu économique local,
L’intelligence artificielle fonctionne un peu comme un projecteur extrêmement puissant braqué sur une partie de l’économie, tandis que le reste de la scène est bien plus sombre.
Il existe donc un risque de se laisser tromper par la performance spectaculaire d’un secteur et de sous-estimer la fragilité de l’ensemble.
Vous parlez ainsi de « deux Amériques ». Pouvez-vous préciser ?
Lorsque je parle de “deux Amériques”, je tente de décrire une fracture qui est à la fois économique, sociale et psychologique. La première Amérique est celle qui est pleinement connectée au monde de la Bourse, de la technologie et des grandes métropoles. Elle regroupe les cadres de la finance, les ingénieurs de la technologie, les dirigeants d’entreprises, les investisseurs et plus généralement tous ceux qui détiennent des actifs financiers et bénéficient directement de la hausse des marchés. Pour cette Amérique-là, l’intelligence artificielle est une opportunité, la valorisation de leurs actions ou de leurs stock-options crée un effet de richesse et la dynamique reste positive.
La deuxième Amérique, beaucoup plus nombreuse, regroupe les employés modestes, les travailleurs précaires, une partie des classes moyennes, les habitants de régions industrielles en difficulté ou de zones rurales. Pour eux, la hausse des loyers, des coûts de santé, de l’alimentation et de l’énergie est une réalité quotidienne. Ils ne possèdent souvent que peu ou pas d’actifs financiers, subissent l’inflation et sont davantage exposés au risque de chômage lorsque les entreprises automatisent ou rationalisent leurs activités.
Environ 10 % de la population américaine réalisent à eux seuls près de 50 % des dépenses de consommation du pays. [...] Ces mêmes 10 % détiennent autour de 80 % du patrimoine total. 
Avec ce contexte très contrasté, peut-on établir un scénario central pour l’économie américaine en 2026 ?
Dans un tel environnement, établir un scénario central solide pour 2026 est extrêmement compliqué, preuve en est même les membres de la FED ont des vues très différentes comme indiqué ci-avant. Nous devons commencer l’année avec des marchés actions américains à des niveaux de valorisation déjà très élevés, une concentration historique des indices sur un petit nombre de très grandes valeurs technologiques, une économie portée par l’intelligence artificielle mais aussi fragilisée dans d’autres secteurs, et une société très clivée. À cela s’ajoute une échéance politique majeure avec les élections de mi-mandat.
Prétendre définir un chemin central, stable et peu contestable pour l’économie américaine serait illusoire
Les actions américaines sont-elles vraiment surévaluées ? Comment comparer la situation actuelle avec celle de la bulle Internet des années 2000 ?
La question de la surévaluation des actions américaines divise profondément le monde de l’investissement. D’un côté, de nombreux investisseurs et institutions considèrent que les niveaux de valorisation atteints par certaines grandes valeurs, et par le marché dans son ensemble, sont excessifs. Ils se basent sur des indicateurs historiques comme le ratio cours sur bénéfices moyen, la capitalisation totale rapportée au produit intérieur brut, la prime de risque actions, et constatent que l’on se situe à des niveaux qui rappellent des périodes comme la bulle Internet.
La question de la surévaluation des actions américaines divise profondément le monde de l’investissement. 
Les particuliers américains jouent un rôle particulier dans cette dynamique boursière…
Oui, les particuliers américains ont pris une place de plus en plus importante dans la dynamique boursière récente. Grâce aux plateformes de courtage à faible coût et aux produits à effet de levier, ils disposent aujourd’hui d’un pouvoir d’action considérable, parfois supérieur, sur certaines valeurs, à celui des investisseurs institutionnels classiques. Leur comportement est souvent différent de celui des professionnels. Eux se soucient moins des métriques traditionnelles de valorisation. Ils raisonnent davantage en termes de symboles et d’icônes. Ils achètent par exemple telle ou telle grande valeur technologique parce qu’elle incarne à leurs yeux le futur, l’innovation ou le génie d’un dirigeant charismatique, plus que pour le niveau exact de son ratio cours sur bénéfices. Comme ces valeurs sont très concentrées dans les grands indices, leurs achats massifs font monter mécaniquement la Bourse, parfois en déconnexion avec les données fondamentales. Cette attitude contribue à la hausse, mais aussi à la fragilité du marché. Car si, pour une raison ou une autre, le sentiment se retourne, ces mêmes particuliers peuvent vendre avec la même vigueur qu’ils ont achetée, amplifiant les mouvements à la baisse.
Pensez-vous personnellement que l’on peut durablement ignorer les valorisations en Bourse ?
Je ne pense pas que l’on puisse durablement ignorer les valorisations en Bourse. L’histoire financière montre qu’à chaque fois que l’on a concentré une grande partie des capitaux sur un petit groupe de valeurs, tout en mettant de côté les repères habituels, cela s’est mal terminé.
On a vu ce phénomène lors de la bulle Internet, mais aussi dans d’autres périodes où quelques secteurs étaient considérés comme intouchables. Aujourd’hui, les entreprises qui portent l’intelligence artificielle sont sans doute plus solides financièrement que les sociétés de l’an 2000. Elles disposent de liquidités abondantes, de profits élevés et de positions dominantes. Cependant, nous sommes en train de voir apparaître un phénomène nouveau. Les montants d’investissement à financer deviennent tellement gigantesques que ces entreprises commencent à emprunter significativement pour certaines. L’autofinancement ne suffit plus toujours. Elles émettent de la dette, et l’on voit apparaître des signaux d’inquiétude sur les marchés obligataires, par exemple à travers la hausse du coût des assurances contre le défaut de crédit (CDS). Lorsque les marchés commencent à se demander si la rentabilité future sera suffisante pour justifier à la fois la valorisation boursière et le service de la dette, la tension monte.
Selon vous, l’intelligence artificielle restera-t-elle le “driver” principal des marchés en 2026 ?
Il est très probable que l’intelligence artificielle reste au centre du jeu en 2026. Elle restera le thème dominant, celui qui occupe l’attention des investisseurs, des entreprises et des régulateurs.
L’intelligence artificielle restera bien le driver, mais il faut accepter l’idée que ce driver peut fonctionner dans les deux sens. 
Qu’entendez-vous par « doutes sérieux » ?
Historiquement, des sociétés comme Amazon, Meta ou Microsoft étaient perçues comme des entreprises de logiciels, de services ou de plateformes. Elles étaient peu intensives en capital physique. Leur modèle reposait sur des services numériques, des abonnements, de la publicité, avec des coûts fixes relativement maîtrisés. Cela justifiait leur statut de valeurs de croissance, très fortement valorisées, car leur activité ne nécessitait pas des investissements matériels gigantesques pour croître et généraient des cash flows extraordinaires ce que la Bourse adore. Avec l’essor de l’intelligence artificielle et des infrastructures nécessaires, ces sociétés sont en train de devenir beaucoup plus capitalistiques, consommer leurs cash flows et comme déjà indiqué pour certaines utiliser de la dette.
La question se pose de savoir si la demande pour des services d’intelligence artificielle sera assez ample et assez rentable pour couvrir ces dépenses colossales dans un horizon raisonnable ? La réponse n’est pas encore évidente. 
De plus, la consommation d’électricité peut devenir un frein majeur au développement de l’intelligence artificielle telle que nous la concevons aujourd’hui. Les modèles actuels, qu’il s’agisse d’entraînement ou d’usage intensif, nécessitent des puissances de calcul gigantesques, donc des quantités d’énergie tout aussi gigantesques. Or, il existe un décalage structurel entre la vitesse à laquelle on peut construire de nouveaux centres de données et la vitesse à laquelle on peut développer de nouvelles capacités de production d’électricité. En règle générale, il faut environ 2 ans pour construire un grand centre de données, alors qu’il faut souvent entre 5 et 10 ans pour mener à bien un projet de centrale de production d’énergie, notamment nucléaire.
Le facteur énergétique est encore parfois sous-estimé dans les discours enthousiastes, mais il pourrait devenir déterminant dans la capacité réelle à déployer l’intelligence artificielle à très grande échelle.
Quel rôle devrait jouer la Réserve fédérale américaine dans une telle configuration ?
La Réserve fédérale américaine se trouve dans une position particulièrement délicate pour les prochains trimestres. Elle doit simultanément défendre son indépendance, gérer une inflation qui n’est pas totalement éteinte, et surveiller un marché du travail qui montre des signes de fragilisation. Sur le plan de l’indépendance, l’enjeu est crucial pour la crédibilité de la politique monétaire et pour la confiance des marchés obligataires et des marchés des changes.
La Réserve fédérale américaine devra trouver un équilibre extrêmement subtil pour éviter de donner le sentiment qu’elle se laisse dicter sa conduite
À quoi faut-il s’attendre en termes de volatilité des marchés en 2026 ?
Je pense que 2026 pourrait être une année particulièrement riche en volatilité, c’est-à-dire en variations de marché significatives, dans un sens comme dans l’autre. La volatilité n’est rien d’autre que l’expression, en temps réel, des débats et des désaccords entre les investisseurs. Tant que tout le monde va dans le même sens, les marchés montent ou baissent de manière relativement ordonnée.
Pour l’année qui vient, tous les ingrédients de ce désaccord profond sont réunis. [...] Dans un tel contexte, il serait étonnant que les marchés suivent un chemin linéaire. 
Un mot sur le dollar : après une année 2025 marquée par une grande faiblesse du dollar, que peut-on attendre pour 2026 ?
La question de l’évolution du dollar est probablement l’une des plus difficiles qui soit, car le marché des changes est le point de rencontre de nombreux facteurs. Le niveau du dollar dépend à la fois de la croissance relative des États-Unis par rapport au reste du monde, du différentiel de taux d’intérêt, de la perception du risque politique, des flux de capitaux, du rôle du dollar comme monnaie de réserve mondiale, et de la stratégie d’autres grandes puissances, comme la Chine, qui cherchent à renforcer le rôle international de leur propre monnaie.
Le plus sage est probablement d’admettre que le dollar restera un sujet à suivre de très près, plutôt que d’affirmer que sa trajectoire est déjà écrite. 
Dans ce contexte, faut-il rester positionné sur les actions américaines en 2026 ? Et comment le faire ?
À mon sens, il ne s’agit pas de tourner le dos aux actions américaines, mais plutôt d’ajuster la manière dont on y est exposé. Les États-Unis restent au cœur de la révolution de l’intelligence artificielle, et il serait illogique de s’en exclure totalement. En revanche, la configuration actuelle appelle à une plus grande prudence et à un meilleur équilibre. D’abord, il faut prendre conscience que certains produits indiciels classiques, pondérés par la capitalisation, sont devenus extrêmement concentrés sur les mêmes quelques valeurs. Acheter un indice technologique comme le Nasdaq et simultanément un indice large comme le Standard and Poor’s 500 revient parfois à acheter presque deux fois la même chose, à cause du poids très important des méga-capitalisations. Les 10 plus grandes capitalisations du Standard and Poor’s 500 représentent plus de 40 % de la capitalisation totale de l’indice. Les 490 autres valeurs se partagent donc moins de 60 %.
Il ne s’agit pas de tourner le dos aux actions américaines, mais plutôt d’ajuster la manière dont on y est exposé.
Couplé éventuellement avec une exposition aux valeurs de l’économie domestique américaine, celles présentent dans l’indice Russell 2000, une économie par ailleurs sensible aux baisses des taux à priori à venir de la FED.
Il y a dans ce binôme S&P équipondéré et Russell 2000 certes un positionnement moins dans « la mode du moment », mais plus équilibré entre les styles value et croissance et avec une valorisation moyenne déjà beaucoup plus en phase avec les valorisations historiques de Wall Street.
Il y a dans le binôme S&P équipondéré et Russell 2000 certes un positionnement moins dans “la mode du moment”, mais plus équilibré entre les styles value et croissance […]. 
D’ailleurs en parlant d’Europe, les valeurs d’énergie et assimilées, celles qu’on appelle les utilities et qui participent à leur manière à l’électrification dont l’Europe à besoin seront toujours probablement recherchées les prochaines années, comme elles l’ont été en 2025 ! Le plan de relance Allemand, même s’il fait l’objet de débats et d’arbitrages, est un soutient solide pour les les bourses européennes, tout comme les valeurs de défense.
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Imen Hazgui
Intelligence artificielle et économie américaine : quels enjeux pour 2026 ?