Interview de Xavier  Hoche  : Directeur Général Délégué de Groupama Asset Management

Xavier Hoche

Directeur Général Délégué de Groupama Asset Management

Allocation d'actifs 2026 : tendances de fond aux États-Unis, gestion tactique et agile en Europe

Publié le 10 Décembre 2025

Est-ce que le panorama économique est suffisamment dégagé aujourd’hui pour établir un scénario central pour l’année prochaine ?
Oui. Même si l’incertitude demeure élevée, le contexte actuel permet désormais de définir un scénario central cohérent et crédible pour l’année à venir.

 Le contexte actuel permet désormais de définir un scénario central cohérent et crédible pour l’année à venir

Les marchés financiers comportent intrinsèquement une part d’inconnu, et cette caractéristique n’est pas propre à la période actuelle. L’environnement économique peut sembler complexe à appréhender, mais il ne l’est pas davantage que lors de périodes historiques très perturbées, comme le début des années soixante-dix, avant les chocs pétroliers. Les prévisions ont toujours exigé une part d’interprétation ; l’époque actuelle ne constitue pas une rupture dans cette réalité.

Pourquoi ne pas présenter plusieurs scénarios, plutôt qu’un seul scénario central ?
Nous examinons naturellement plusieurs trajectoires possibles, mais nous choisissons délibérément de ne présenter qu’un seul scénario central. La gestion financière impose de prendre des décisions effectives, fondées sur une lecture assumée de la conjoncture.

Ce scénario central unique constitue le socle sur lequel nous prenons réellement nos positions d’investissement

Présenter simultanément un scénario très optimiste, un autre très pessimiste et un troisième intermédiaire reviendrait à se prémunir intellectuellement contre toute erreur, sans véritablement engager une vision opérationnelle. Les scénarios alternatifs nourrissent notre réflexion, mais un scénario central unique constitue le socle sur lequel nous prenons réellement nos positions d’investissement. Cette approche reflète la responsabilité d’un choix, plutôt qu’une juxtaposition d’hypothèses théoriques.

Quelles sont les grandes caractéristiques de ce scénario central aujourd’hui ?
Le scénario repose sur une dynamique globalement favorable pour l’économie mondiale. Les États-Unis en sont le principal moteur, grâce à une croissance soutenue par un niveau d’investissement exceptionnellement élevé.

Le scénario repose sur une dynamique globalement favorable pour l’économie mondiale. Les États-Unis en sont le principal moteur

Des plans d’investissement publics et privés d’ampleur considérable se déploient chaque année, représentant une part substantielle du produit intérieur brut, et contribuent directement à renforcer l’activité économique.
En Europe, l’amélioration est plus progressive, mais elle s’affirme de manière tangible. Les entreprises sondées dans nos enquêtes manifestent une volonté croissante d’augmenter leurs investissements, notamment sous l’impulsion des initiatives allemandes et européennes en matière d’infrastructures et de modernisation industrielle.

En Europe, l’amélioration est plus progressive, mais elle s’affirme de manière tangible

L’Europe reste en retard par rapport aux États-Unis dans plusieurs domaines, mais elle amorce un mouvement de rattrapage, en particulier sur le terrain de la productivité.
Nous observons également un choc de productivité durable à l’échelle mondiale, largement lié aux avancées technologiques, dont le développement de l’intelligence artificielle. Il ne s’agit pas d’un phénomène transitoire, mais d’une transformation structurelle de l’économie. Par ailleurs, les États-Unis ont défini une stratégie méthodique pour gérer le refinancement de leur dette publique, ce qui réduit la probabilité d’une tension désordonnée sur les taux d’intérêt.

Comment les États-Unis gèrent-ils précisément le refinancement de leur dette ?
Les autorités américaines sont pleinement conscientes depuis plusieurs années de la nécessité de sécuriser le financement d’une dette publique importante, et ce dans un contexte où la réduction rapide du déficit n’est pas envisageable. Elles ont donc mis en place plusieurs mécanismes complémentaires permettant d’assurer une demande stable et durable pour les titres du Trésor.

 Un ensemble de mesures réduit sensiblement le risque de crise de refinancement 

La déréglementation bancaire favorise la détention d’obligation d’etat par les banques ce qui crée une demande structurelle. Les règles applicables à certains produits financiers, comme les stablecoin, orientent également une partie de l’épargne vers ces mêmes titres. Enfin, la Réserve fédérale réoriente graduellement la composition de son bilan de manière à accroître, d’ici à la fin de la décennie, la part des bons du Trésor qu’elle détient. L’ensemble de ces mesures réduit sensiblement le risque de crise de refinancement, malgré l’abondance de discours alarmistes qui émergent régulièrement dans le débat public.

La consommation américaine ne repose-t-elle pas trop sur les ménages les plus aisés ?
Il est exact qu’une part importante de la consommation est aujourd’hui alimentée par les ménages les plus favorisés. Certaines entreprises de la distribution ou de la restauration observent par ailleurs un recul de clientèle parmi les ménages les plus modestes, signe d’une fragilité réelle.

Nous ne considérons pas que la consommation américaine soit sur le point de connaître une correction brutale

Cependant, cette évolution n’entraîne pas encore de dégradation notable des grands indicateurs macroéconomiques.
Nous ne considérons pas que la consommation américaine soit sur le point de connaître une correction brutale. Le marché du travail demeure robuste, même si une légère hausse du chômage, particulièrement marquée chez les jeunes diplômés, constitue une zone de vigilance. Dans notre scénario, la dynamique centrale provient avant tout de l’investissement, qui joue traditionnellement un rôle précurseur dans le cycle économique. Tant que cet investissement reste vigoureux, la croissance est soutenue et la consommation bénéficie d’un appui structurel.

Quels sont selon vous les principaux points de vigilance sur le marché de l’emploi américain ?
Le premier point de vigilance est la remontée, encore modérée, du taux de chômage. À ce stade, cette évolution ne remet pas en cause la trajectoire globale du marché de l’emploi. Le second point est plus préoccupant : les jeunes diplômés rencontrent davantage de difficultés à trouver un premier emploi, et leur insertion professionnelle est plus lente qu’auparavant.

 Les jeunes diplômés représentent un point de fragilité que nous observons de très près

Ce phénomène ne constitue pas encore un choc majeur, mais il représente une fragilité que nous observons de très près, car une dégradation plus marquée pourrait peser significativement sur la consommation et sur la confiance des ménages.

Quelles sont les spécificités de l’Europe dans votre scénario ?
L’Europe se distingue principalement par un risque d’exécution. Les besoins d’investissement sont considérables, notamment dans les domaines de la défense et des infrastructures, en particulier en Allemagne où certains équipements nécessitent une modernisation urgente.

L’Europe se distingue principalement par un risque d’exécution

Les décisions politiques vont dans la bonne direction, mais l’histoire montre que l’Europe connaît souvent des lenteurs dans la mise en œuvre. Nous pensons néanmoins que ces investissements finiront par être déployés, car il n’existe pas d’alternative crédible à cette montée en puissance.

Quelle est votre lecture de la situation en Chine et dans les pays émergents ?
Nous suivons la situation chinoise avec attention, bien que cette région ne constitue pas notre domaine d’expertise prioritaire ni un axe d’investissement majeur dans notre stratégie.

 Nous maintenons une posture prudente, avec une exposition réduite dans nos portefeuilles.

Nous constatons que la Chine parvient à réorienter une partie de ses exportations vers l’Europe, ce qui modifie fortement certains équilibres commerciaux et crée des pressions importantes sur les industries locales. En revanche, nous ne formulons pas de prévisions chiffrées détaillées concernant la croissance chinoise et nous maintenons une posture prudente, avec une exposition réduite dans nos portefeuilles.

Les marchés actions américains ne sont-ils pas trop chers et trop concentrés sur quelques valeurs ?
La concentration constitue effectivement un point de préoccupation, car une partie substantielle de la performance boursière provient d’un nombre très limité de grandes entreprises, principalement dans la technologie. En ce qui concerne les valorisations, l’analyse est plus nuancée.

Renoncer à investir à court terme sous prétexte que le marché paraît cher n’est pas une stratégie robuste

Des niveaux très élevés constituent généralement de mauvais indicateurs de performance sur dix ans. Sur cinq ans, la pertinence de cet indicateur decroit fortement et sur un horizon d’un an, il est quasiment impossible d’en déduire une orientation claire. Renoncer à investir à court terme sous prétexte que le marché paraît cher n’est pas une stratégie robuste.
Pour un investisseur de long terme, les valorisations doivent cependant être intégrées à l’analyse. Les actions américaines sont plutôt onéreuses, notamment dans la technologie, mais la situation n’a rien de comparable avec celle de la bulle des années 2000. Les grandes entreprises technologiques actuelles disposent de revenus substantiels, de bénéfices solides et de perspectives tangibles, ce qui les distingue profondément des sociétés de l’époque qui affichaient des valorisations déconnectées de toute réalité économique.

Voyez-vous malgré tout des excès, notamment autour de l’intelligence artificielle ?
Oui. Certains acteurs très exposés à l’intelligence artificielle présentent des fragilités importantes, notamment ceux qui accumulent des pertes structurelles et dont la viabilité économique n’est pas encore démontrée. Dans plusieurs cas, les valorisations reposent davantage sur une promesse future que sur une réalité opérationnelle.

Une correction de l’ordre de 10% à 20% sur ces entreprises ne serait pas surprenante et pourrait même être salutaire

Cela ne signifie pas que ces entreprises sont vouées à l’échec, mais cela crée un risque élevé. Nous pensons que le marché évolue actuellement sur une ligne de crête. Une correction de l’ordre de 10 à 20% sur ces entreprises ne serait pas surprenante et pourrait même être salutaire, sans remettre en cause la tendance de fond.

Comment êtes-vous positionnés aujourd’hui sur le marché américain ?
Nous maintenons une exposition importante aux valeurs technologiques et, plus largement, aux secteurs porteurs de disruption.

Deux grands axes dominent notre allocation : la technologie au sens large et la santé 

Deux grands axes dominent notre allocation : la technologie au sens large et la santé. Nous renforçons en particulier notre présence dans la biotechnologie, un domaine où les avancées sont considérables. L’intelligence artificielle transforme en profondeur les processus de recherche et développement, accélérant les découvertes et augmentant la visibilité sur les futures sources de revenus.

Nous nous intéressons également à l’ensemble des thématiques liées à l’électrification

Nous nous intéressons également à l’ensemble des thématiques liées à l’électrification, qu’il s’agisse des réseaux, des infrastructures ou des matériaux indispensables à la transition énergétique, parmi lesquels certains métaux stratégiques comme le cuivre.
Il s’agit de tendances lourdes, profondément ancrées dans le long terme.

Et sur l’Europe, quelle stratégie privilégiez-vous ?
L’Europe ne bénéficie pas, pour le moment, de dynamiques structurelles aussi fortes que les États-Unis, à l’exception du secteur de la défense, difficile toutefois à exploiter en raison de valorisations déjà élevées et d’un univers d’investissement de valeurs cotées relativement restreint.

Notre approche en Europe est plus opportuniste

Notre approche est donc plus opportuniste. Elle consiste à conserver la flexibilité nécessaire pour passer des valeurs de croissance aux valeurs décotées en fonction des opportunités et de l’évolution des résultats. Alors que nous suivons davantage des tendances de fond aux États-Unis, l’Europe appelle une gestion plus tactique et agile.

Que pensez-vous des valeurs bancaires européennes sur le plan boursier ?
Le secteur bancaire européen continue de présenter des opportunités attractives.

Le secteur bancaire européen continue de présenter des opportunités attractives

Les bilans des banques affichent une solidité remarquable, avec des ratios de solvabilité élevés, des portefeuilles de crédits de bonne qualité et une liquidité abondante. Tant que la croissance ne s’effondre pas, rien n’indique une explosion des défauts des entreprises privées. Les défauts existent toujours dans l’activité de crédit, mais nous n’anticipons pas de dérapage généralisé. Les banques constituent donc un secteur porteur, à condition d’adopter une gestion rigoureuse et de prendre des bénéfices lorsque les valorisations deviennent excessives.

Quelle est votre vision sur le crédit, en particulier en Europe ?
Dans un environnement caractérisé par une croissance modérée mais positive, le crédit demeure attractif. Les primes de risque crédit sont relativement faibles, ce qui limite le potentiel d’une nouvelle phase de resserrement, mais le portage reste intéressant.

Le crédit demeure attractif [...], le portage reste intéressant 

Nous apprécions particulièrement le segment du haut rendement de bonne qualité en Europe, avec une sélection exigeante des émetteurs et une durée courte. Tant que le niveau de défauts demeure maîtrisé, cette stratégie conserve une forte pertinence. Nous attachons également une grande importance aux dettes subordonnées bancaires, dont la rémunération apparaît intéressante compte tenu de la solidité des établissements financiers, sous réserve, là encore, d’une gestion attentive des risques.

Comment voyez-vous l’évolution des taux longs américains et européens ?
En théorie, une croissance et une inflation élevées ne favorisent pas la baisse des taux longs, car ceux-ci reflètent l’anticipation de ces deux variables.

Nous demeurons prudemment baissiers sur les taux longs

Nous estimons cependant qu’aux États-Unis comme en Europe, les taux longs se situent aujourd’hui plutôt en haut de cycle principalement du a la prise en main de la banque centrale américaine, la FED, par l’exécutif américain ayant une féroce volonté de baisser les taux d’intérêts. Nous anticipons une baisse modérée au cours des deux prochaines années. Il ne s’agira pas d’un mouvement brutal, car notre scénario reste celui d’une croissance positive et d’une inflation toujours présente, mais d’une décrue progressive. Nous demeurons donc prudemment baissiers sur les taux longs, sans envisager un retour rapide aux niveaux exceptionnellement bas du passé.

Pouvez-vous préciser votre position sur le dollar ?
Nous considérons que le dollar est globalement surévalué, d’environ un quart par rapport à ses fondamentaux de long terme.

À court terme, le dollar peut parfaitement rester fort, voire se renforcer

Cette appréciation doit toutefois être replacée dans un horizon d’analyse de dix ans. À court terme, le dollar peut parfaitement rester fort, voire se renforcer, en fonction des différentiels de croissance ou de politique monétaire. Pour l’année qui vient, nous adoptons donc une position neutre, sans conviction marquée.

Qu’en est-il des principaux risques à surveiller ?
Le risque que nous observons avec le plus d’attention concerne le système financier non bancaire, souvent désigné sous le terme de finance de l’ombre ou « shadow banking ».

 Le risque que nous observons avec le plus d’attention concerne le système financier non bancaire 

Ce secteur, moins régulé, expose les marchés à la possibilité d’incidents ponctuels, en particulier dans le crédit privé. Des défauts multiples ne seraient pas anormaux, mais ils constituent une zone de surveillance essentielle. À ce stade, nous ne détectons toutefois aucun signe annonciateur d’une crise systémique.
Un autre sujet important concerne l’indépendance de la Réserve fédérale américaine. Dès lors que le pouvoir politique nomme ses propres responsables à la tête de l’institution, l’indépendance opérationnelle se trouve mécaniquement fragilisée.

Un autre sujet important concerne l’indépendance de la Réserve fédérale américaine

Cette évolution n’est pas souhaitable, mais elle constitue désormais une réalité avec laquelle les marchés doivent composer. Elle introduit une forme d’incertitude institutionnelle supplémentaire, qu’il convient d’intégrer dans l’analyse des risques.

AVERTISSEMENT
 Cet article ne doit en aucun cas s'apparenter à une recommandation d'acheter, de vendre ou de continuer à détenir un investissement. Il n’a aucune valeur contractuelle et ne constitue en aucun cas un conseil en investissement. Les valeurs citées sont données uniquement à titre d’exemple.
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Les performances passées ne préjugent pas des performances à venir. Elles ne sont pas constantes dans le temps et ne constituent en rien une garantie de performances à venir.

Imen Hazgui