Que doit-on attendre du monétaire en 2019 ?
(S. Déo) Clairement, il ne faudra pas s’attendre à grand-chose du côté du monétaire cette année.
La BCE n’est pas en mesure de normaliser ses taux à brève échéance. Nous voyons les taux directeurs dans la zone euro remonter à 0 seulement début 2020. Dès lors les marchés monétaires de ce coté-ci de l’Atlantique devraient rester négatifs au moins jusqu’à la fin de l’année.

Quid des devises et notamment de la parité euro-dollar ?

(S. Déo) Le taux d’équilibre du dollar contre l’euro se situe autour de 1,22-1,23. Jusque-là, le dollar valait plus cher en raison de la politique monétaire de la Fed plus avancée dans le cycle par rapport à celle de la BCE.
Si la Fed décide de ralentir considérablement son processus de hausse des taux, et que la BCE commence à montrer des signes tangibles de remontée de ses taux, nous pourrions avoir une normalisation de la parité euro-dollar dans le courant de l'année. C’est ce sur quoi nous tablons.

Quelle évolution envisager pour les taux à dix ans américain et allemand ?

(A. Caminade) Nous tablons sur un taux à dix ans américain autour de 3% en fin d’année, ce qui suppose une hausse d’environ 30 bps par rapport au niveau actuel. La politique monétaire de la Fed devrait rester accommodante. Nous voyons deux hausses de taux cette année de 25 bps, alors que le marché n’anticipe qu'une seule.
Par ailleurs, les émissions devraient être abondantes. Une levée de 1000 milliards de dollars est programmée, sans compter le fait que la Fed doit réduire son bilan d’environ 50 milliards de dollars par mois.

Alors que Bund allemand était attendu plus haut de 30 bps fin 2018 sur 12 mois glissants, il s’est amoindri de 20 bps, passant de 0,43% à 0,23%.
Nous avons, pour l’heure, une cible à 0,70% pour fin 2019. Nous expliquons cette vue en partie par la politique monétaire de la BCE. Cette dernière devrait procéder à un premier relèvement de ses taux directeurs en fin d’année 2019 et poursuivre avec une nouvelle hausse début 2020.
En outre la prime de « sécurité » qui justifie le bas niveau actuel du Bund devrait se réduire au fur et à mesure que les grandes incertitudes dans la région se dissiperont.

Que pressentez-vous pour la variation de l’OAT 10 ans et pour les taux longs des grands pays périphériques comme l’Italie, l’Espagne ou encore le Portugal ?

(A. Caminade)
Nous pensons que le spread entre le taux dix ans français et le taux dix ans allemand demeurera entre 40 et 50 bps. Des facteurs limitent le resserrement de ce spread : l’affaiblissement de la croissance française, la politique budgétaire de nature à devenir plus expansionniste, des émissions nettes importantes avec une BCE en retrait.
En revanche, nous ne voyons pas de fortes tensions se profiler à l’instar de ceux que l’on a observé en 2017, à l’approche des élections présidentielles.

(S. Déo)
Nous avons du mal à voir les spreads italiens se resserrer de manière substantielle cette année. L’Italie a une note de BBB à l’heure actuelle. Au regard des spreads, le marché lui attribue une note de BB.
Nous sommes d’avis que le gouvernement italien aura du mal à survivre. La Ligua veut baisser les impôts, tandis que le Mouvement des cinq étoiles veut dépenser davantage. L’équation risque politique/ volatilité pourrait s’avérer plus complexe. Qui plus est, une importante problématique est à relier à la croissance italienne. Au troisième trimestre, le PIB était en contraction. Des craintes sur la dynamique de l’économie nationale pourrait raviver des craintes sur la solvabilité de la dette.

En revanche, les fondamentaux de l’Espagne et du Portugal montrent une notable amélioration. Le Portugal pourrait voir sa note être rehaussée cette année du fait de sa capacité à réduire son déficit.
Toutefois, une grande partie des investisseurs qui étaient investis sur l’Italie se sont reportés sur l’Espagne et le Portugal. Aussi, les taux de ces pays se sont renchéris et offrent moins d’opportunités. De plus, les gisements, en particulier de la dette portugaise, sont restreints.

Quelles vues avez-vous sur le crédit ? L’investment grade (obligations bien notées) constitue-t-il un gisement intéressant ?

(A. Caminade) L’année 2018 a donné lieu à un élargissement des spreads significatif dans le compartiment du crédit investment grade européen. Le niveau est passé de 85 à 155 points de base. Cet élargissement s’est accompagné d’une décompression traditionnellement constatée lors des phases de normalisation. Les écarts entre les taux core et les taux périphériques se sont étendus. Une pentification s’est matérialisée. Les obligations ayant une maturité au-delà de dix ans ont plus souffert que les obligations d’une moindre maturité.
Fin 2017, la quasi intégralité du segment BBB traitait avec un spread en dessous de 100 bps. Aujourd’hui, la moitié de ce segment traite avec un spread compris entre 150 et 200 bps.
Nous sommes d’avis que nous devrions assister à un élargissement supplémentaire des spreads cette année, à 170 bps.

Si l’année dernière les premiers catalystes du marché étaient des facteurs techniques, notamment les rachats de la BCE, 2019 devrait donner lieu à un retour aux fondamentaux. Or, le levier des entreprises européennes reste modéré contrairement à celui des entreprises américaines. Il y a donc matière à se positionner dans ce compartiment.
Toutefois, la volatilité est plus conséquente. La sensibilité aux mauvaises nouvelles est beaucoup plus élevée qu’auparavant. Le risque spécifique s’est accentué. Le rendement offert n’est pas suffisant pour se permettre d’avoir des accidents dans le portefeuille. En conséquence, il faudra être très sélectif dans ses choix d’exposition.

Le high yield (obligations moins bien notées et offrant un rendement plus élevé) présente-il un meilleur couple risque/rendement ?

(A. Caminade) L’écartement relevé dans la poche high yield en 2018 s’élève à 230 bps. Les spreads ont quasiment doublé, avec une forte décompression associée.
L’Itraxx Crossover, un indice composé de 75 CDS d’émetteurs high yield, traite présentement autour de 350 bps. Un tel niveau compense un taux de défaut cumulé sur cinq ans de 25% avec une hypothèse de taux de recouvrement de 40%. Ce spread protège contre les défauts d’un quart de l’univers.
Or, sur les 25 dernières années, le taux de défaut cumulé sur 5 ans est de 4% dans le double BB, de 14% dans le B, 50% dans le CCC.
L’investisseur est largement compensé pour le risque de défaut.

A ceci près, qu’il est nécessaire de préciser que le spread n’est pas seulement lié au risque de défaut, mais également à la volatilité et à la liquidité. Le régime de volatilité n’est plus le même. Le niveau du VIX est monté de 10%-15% début 2018 à 20%-25% aujourd’hui. La sensibilité aux mauvaises nouvelles des entreprises notées high yield, à l’instar de ce qui est observé pour les entreprises notées investment grade est très important. Il est exacerbé par le manque de liquidité sur le marché, surtout au niveau émetteur.
Conséquence de cet environnement, il est primordial là aussi de se montrer très sélectif, et de plutôt monter en qualité. Préférer, 3,5% de rendement sur BB que 6% sur du B.

Au-delà de la sphère obligataire, quel regard doit-on porter sur la sphère actions, en particulier celle des actions européennes ?

(S. Fraenkel)
Les actions européennes ont perdu 17% entre la fin du mois de mai et la fin de l’année 2018. Le mois de décembre a été particulièrement chahuté. Une sorte de capitulation s’est matérialisée. Sur la gestion active actions, 50 milliards d’euros se sont retirés, un record historique.

Les valorisations sont devenues relativement attractifs. Les PER se situent à 12-13 fois, contre une moyenne historique de 15 fois.
La rentabilité des actions mesurée avec le taux de dividende est de 4,5%. L’écart avec le taux allemand dix ans n’a jamais été aussi élevé.
La mise en parallèle de l’évolution des indicateurs avancés économiques et l’évolution des prévisions de résultats laisse à penser que les analystes sont plutôt en retard par rapport à ce que l’on peut anticiper sur la macroéconomie. Le gap peut être évalué à environ 4%.

Le comportement du marché depuis le début de l’année est plutôt encourageant.
Plusieurs annonces négatives ont été relativement bien absorbées (Apple, Fnac, Continental).
La rencontre avec les entreprises ne laisse pas penser à un scénario pessimiste.

Pour beaucoup, cette année 2019 devrait donner la part belle au style value. Qu’en pensez-vous ?

(S. Fraenkel)
Nous avons connu 10 ans de sous performance du style value par rapport au style growth. Pendant une trentaine d’année de 1970 à la fin des années 1990, la tendance contraire dominait.

Cette année 2019 pourrait effectivement être plus salutaires pour certains secteurs massivement décotés, à l’instar du secteur bancaire. Les banques représentent environ 25% de la value en Europe. Le secteur affiche la pire performance sur un an, trois ans, cinq ans, dix ans, quinze ans. Le PE actuel est de 7. Le rendement de dividende est d’environ 7. La valeur de l’action rapportée à la valeur de l’actif tangible est de 0,6.
De tels ratios forgent a priori l’idée que le secteur bancaire est très bon marché.
Cela étant, c’est également un secteur sujet à de nombreux problèmes structurels sur les leviers de la banque retail, de la banque d’investissement, la compression des marges, le niveau des commissions, les taux d’intérêt très bas, les litiges non résolus ou qui pourraient apparaitre, le cout du risque.
De ce fait, une exposition au secteur bancaire se doit être très sélective. Le choix doit porter en priorité sur des valeurs qui ont un potentiel d’upside important, un rendement de dividende abondant, autour de 10%.

Un autre secteur qui montre un profil analogue au secteur bancaire est celui des télécoms. Les valorisations paraissent de primes abords très attractifs. Mais les sociétés de ce secteur doivent également faire face à des enjeux de taille.

Quoiqu’il en soit, il faudra s'efforcer d'éviter les « value trap », les valeurs qui paraissent très peu chères en raison d’un bilan endommagé, d’une stratégie de développement remise en cause.

Au sein de l’univers des matières premières, une vue peut-elle être donnée sur le cours du pétrole ?

(S. Déo)
Le cours du pétrole s’est caractérisé par beaucoup de volatilité en 2018.
Il y a une espèce de cours d’équilibre qui s’est érigée autour de 65 dollars par le jeu de l’offre et de la demande. Ce niveau est un point d’ancrage de moyen terme sur lequel nous pouvons avoir une forte conviction.
Bien en dessous de ce niveau, la production outre Atlantique tourne au ralentie, bien au-dessus, ce sont la consommation des ménages et l’investissement des entreprises qui en patissent.
Des deux côtés, les forces de rappel sont importantes.